La première impression que Na Yeong donne aux gens qui la regarde est celle d’une femme élégante et plutôt grande pour une coréenne. Habillée très strictement pour le boulot, le plus souvent d’un tailleur, ou à la dernière mode, cachée derrière de grosses lunettes noires, on pourrait la prendre pour un mannequin tant elle se tient droite et solidement sur ses jambes, avec une façon de marcher, très légère et souple, presque aérienne. Les hommes la prennent ainsi souvent pour une fleur fragile, sans imaginer les épines qu’elles cachent derrière ses pétales…

Néanmoins, lorsqu’on y regarde de plus près, Na Yeong est d’une maigreur inquiétante. Ses bras sont chétifs, les os de ses épaules sont saillants, ses jambes sont décharnées et ses cuisses creusées. Les nombreuses couches de vêtements qu’elle porte cachent habilement son corps grêle et elle utilise beaucoup de produits esthétiques et de maquillage pour masquer ses cernes et sa peau émaciée.

Cependant, peu remarquent au 1er abord ces détails car Na Yeong dégage une sensation de finesse et de douceur à cause de ses traits fins et de ses longs cheveux châtains foncés tombant en cascades sur ses épaules qui lui donne des airs de poupée. Son prénom signifiant par ailleurs "femme belle comme une fleur" ou "douce comme de la soie", on ne pouvait en attendre moins d'elle. S'il y a bien une chose dont elle prend grand soin : ce sont bien sa peau et ses cheveux, qu'elle dorlote de produits cosmétiques tous les jours. De la crème hydratante pour sa peau fatiguée et un peu d'huile d'abricot pour la repulper. Quant à ses cheveux, elle ne lésine pas sur les masques de beauté et l'huile d'argan pour les nourrir en profondeur et les rend doux et soyeux. Elle utilise un fer à boucler pour les onduler légèrement mais n'en abuse pas, de peur de les fatiguer. Le mieux est de se tresser les cheveux le soir avec un peu de gel fixant pour avoir de jolies boucles le lendemain sans effort. Cependant, la plupart du temps, c'est avec les cheveux raides, coiffés en demi-queue, en chignon ou avec des pinces qu'elle se rend au travail.

Là encore, il ne faut pas se fier à la couverture d’un livre… Na Yeong est très calme, douce, posée et souriante, mais ce n’est qu’une façade qu’elle utilise en société et avec ses collègues de travail. En réalité, c’est une femme fatiguée de la vie et très amère. Être un Twao est une malédiction pour elle. Depuis sa plus tendre enfance, elle souffre de sa condition. Le trop plein d’énergie qu’elle créé la rend malade (fièvre, maux de tête, évanouissements) et agressive. Qu’on lui ait imposé ce style de vie l’énerve. Elle se sent prise au piège dans un cercle vicieux infernal dont elle ne pourra jamais s’échapper. Soupe-au-lait, hostile, dédaigneuse et vindicative, elle a peu d’amis et parle peu d’elle si ce n’est pour cracher des crapauds et des serpents sur les notions de vie et de liberté.

Cependant, derrière ce caractère bien trempé et profondément désagréable se cache une volonté de se battre que Na Yeong elle-même ne soupçonne même pas. Parce qu’elle souffrait le martyr à cause de ce trop plein d’énergie qui la brûle de l’intérieur, Na Yeong a décidé un jour de prendre des mesures pour empêcher son corps de créer cette énergie : elle devint dès lors anorexique. Une forme de révolte contre sa condition, une lutte entre la vie et la mort qui illustre bien le dilemme qui la constitue : survivre dans la souffrance en se maintenant en vie avec des quantités minimum de nourriture et en étant obligé de cohabiter avec d’autres Twaos, ou mourir lentement avec le remord d’une vie perdue. Cette bataille qu’elle mène avec elle-même dénote une ténacité et une combativité peu commune. Un esprit fort dont Na Yeong ne se sait même pas capable. Elle se considère comme blasée et désespérée. Pour elle, l’anorexie est une fuite, un simple moyen de lutter contre sa condition. Elle a fini par se persuader que ne pas manger allège le poids de son état de Donneur, la rendant moins malade car son corps est désormais incapable de créer plus d’énergie. Hélas, il n’en est rien : elle créer toujours autant d’énergie, mais une énergie plus faible, moins nourrissante pour son Receveur. Quelque part, Na Yeong le sent, mais elle en refuse l’idée et continue de s’entêter dans sa bataille, désespérée de trouver un moyen de se débarrasser de ces chaines et d’avoir une vie normale.

Etant donné sa faible constitution, Na Yeong ne fait plus de sport, néanmoins elle essaie toujours de se dépenser pour se débarrasser – vainement – de son trop plein d’énergie. Ses seuls hobbies sont les balades, la piscine, la lecture, le dessin et la musique. Elle aime se balader dans les parcs de Seoul pour prendre l’air et profiter du soleil. Sa chaleur la réchauffe et lui fait du bien. Avec l’eau, c’est l’une des seules choses au monde qui lui procure du bien-être. Elle va régulièrement à la piscine pour y faire quelques brasses et se prélasser dans les bains bouillonnants ou le sauna. Y apporter un livre n’est pas possible et c’est bien dommage car c’est la 3ème chose que Na Yeong préfère : se plonger dans un livre né de l’imagination fertile de quelqu’un d’autre. Il lui donne alors l’impression de toucher du doigt la pensée de l’auteur, de faire connaissance avec lui et de s’en faire un ami, chose qu’elle a peine à faire en société car elle est très sauvage et parce que peu de gens qui finissent par la connaître intimement réussisse à supporter son pessimisme.

L'histoire de Na Yeong démarre à Jejudo, son île natale, lorsqu’elle eut 3 ans.

Au printemps suivant son anniversaire, la petite fille tomba malade. Jusque là rien de bien surprenant sauf que sa maladie, prise pour un simple rhume, empira. Un cercle infernal s’enclencha pour la petite fille : voyage à répétition pour consulter plusieurs médecins, examens, diagnostics, verdicts décevants, retour à la fatalité... Ses parents dépensèrent sans compter pour trouver un spécialiste qui connaisse l’origine de son mal et soit en mesure de la soigner, alors que la petite fille allait de plus en plus mal et n’était déjà plus capable de marcher sans s’écrouler en 3 pas. Ce qui ne fut pas en vain car, un jour, dans une ville du sud de la Corée, un pédiatre éclairé leur fit une révélation.

« Na Yeong est ce que nous appelons un Twao de type Donneur. Je suis désolé. Il va nous falloir trouver un receveur rapidement ou sa santé va se détériorer de plus en plus… »

La petite fille, qui avait été élevée à la campagne, si éloignée du monde bruyant et étrange de la ville et de la société de consommation, fut forcée de partir pour Séoul avec sa famille. Là, Na Yeong fut présentée à son sauveur.

« Na Yeong, je te présente ton Receveur. C’est un petit garçon comme toi. Il a la même maladie. Vous allez pouvoir vous soigner tous les deux. Tu ne veux pas lui faire un bisou ? »

Un bisou. Un simple bisou et la fièvre tomba. Un autre, les maux de tête disparurent. Un dernier, et Na Yeong fut autorisée à sortir de l’hôpital. Une belle histoire que le baiser magique du prince charmant qui sauve la princesse. La petite fille ne comprit pas, seul lui suffisait de savoir que ce petit garçon l’avait guérie. Hélas, un Twao l’est pour la vie et l’histoire se répéta encore et encore, tous les jours, jusqu’à ce que Na Yeong soit en âge de réaliser qu’elle n’aurait jamais plus le choix : sa survie dépendait désormais des autres.

« Na Yeong ! Soit raisonnable ! Va voir ton Receveur aujourd'hui ou tu vas encore être malade !! »

Na Yeong grandit ainsi, vivant de plus en plus mal sa condition, comme une prison. Elle alterna des périodes où elle se rendait malade en repoussant toujours ce moment où son énergie devait être donnée à quelqu’un pour qu’elle ne finisse pas par perdre connaissance, avec d’autres où elle se pliait docilement à cette vie rythmée par des dons d’énergie qui la soulageaient et lui donnaient l’impression de se vider de toutes ses forces en même temps.

« J'aurais mérité de naître libre, comme tout le monde !!! »

Désormais femme active à Séoul, travaillant dans le domaine de la publicité, Na Yeong est une solitaire et une célibataire endurcie. Elle refuse de croire à ces histoires d’âmes sœurs. Pour elle, il ne s’agit pas plus que de contes de fées servant à masquer la terrible réalité des Twaos. Une sorte de propagande de luxe pour faire passer la pilule à ceux qui n’ont pas d’autre choix que de subir leur génétique. Peut-être est-ce parce qu’elle a vécu dans la dissimulation toute son enfance que Na Yeong s’est sentie à l’aise dans le marketing et la publicité ? Elle y fait actuellement carrière en tant que chef de projet marketing pour la marque Etude House. Une manière très facile par ailleurs de se procurer des cosmétiques pour masquer ses traits tirés par la sous-alimentation.

«Ryu-sshi, comment faites vous pour être aussi mince ? Vous devriez donner des leçons aux autres chefs de projet, nous aurions une meilleure image auprès des clients. »

Sa famille est retournée depuis peu à Jeju-ville où sa mère voulait monter un café-restaurant de saveurs occidentales. Ses parents s’inquiètent peu de la maigreur de leur fille car elle a toujours été ainsi, s’en porte plutôt bien et parce que la mode est à la minceur à Seoul. Na Yeong retourne assez souvent les voir, le temps d’un week-end où sa mère lui prépare toujours une bonne soupe de vermicelle au bouillon de poule avant qu’elle ne s’endorme paisiblement sur un hamac face à la mer. Ces petits instants de paradis l’adoucissent et elle repart ainsi reposée à Seoul, sa prison dorée.

«Ma chérie, tu t'es bien reposée ? Je t'ai fait du bouillon comme tu l'aimes. Je t'aime ma chérie. »

La vie s’écoule ainsi pour Na Yeong qui se sent comme une coquille vide. Son existence ne lui apporte rien d’autre que de la souffrance et de l’amertume, et seuls quelques instants de quiétude valent encore la peine qu’elle continue à vivre. Ce qui la fait tenir ? L’espoir qu’un jour ce poids, cette malédiction, disparaisse et qu’enfin elle puisse vivre une vie normale. Elle continue ainsi d’avancer, patiente, cultivant en secret ce petit espoir en son sein, qui, s’il venait à disparaître, ne lui laisserait plus d’autre choix que la mort.

« Qu'est-ce que j'ai à attendre de la vie franchement ? Une clé pour sortir de mon cachot, ce serait trop beau. J'aimerais tellement partir loin, très loin d'ici... J'aimerais tellement... »