Le 28 août 2013 à 00:24. À l'extérieur d'un bar, Hongdae.
Quelle journée de merde. Sérieusement, je pense pas en avoir eu de bien pire. Déjà, quand tu finis à moitié allongé sur un trottoir, complètement bourré et avec peut-être une p'tite pillule pas très légale qui te court dans le sang, ça mérite le titre de sale journée. Mais si y avait eu que ça encore...
Je me relève comme je peux pour ne pas rester pitoyablement devant le bar d'où je me suis fait jeter. Faut croire que ma minorité ne les dérangeait pas avant que je me mette à vomir sur leur table. Après forcément, ils ont dit que j'avais rien à foutre et oust! Dehors le Joon Hee !
« Non mais tu t'rends compte ? »
J'm'assois sur un muret, à côté d'un chat qui me lance un air dubitatif. C'est fou, ce con a l'air plus frais et intelligent que moi sur l'coup. Faut dire, j'suis bien amoché aussi. Puis la Terre tourne un peu trop vite pour moi là. J'crois que j'vais pas tarder à vomir encore si ça continue. Mais en attendant, j'ai envie de me plaindre. Ouais, à un chat. J'suis bourré okay ? Je me plains à qui je veux d'abord ! T'façon, y a que lui qui m'écoute dans ce monde. Ou alors il fait bien semblant et j'lui filerai un Oscar.
« J'sais qu't'en as rien à foutre, mais j'ai b'soin d'vider mon sac t'vois. Tu veux bien ? »
Hey, c'est moi ou il a cligné des yeux ? Wouaaaah il est grave cool ce chat !
« Merci, t'es un vrai pote toi. Tu vois, ma journée elle a commencé comme d'hab', j'me lève, tout le monde m'ignore dans la maison, maman qui vante les mérites de Joon Jin... ou p'tet Joon Hyun... bref ! L'un de ces idiots qui m'servent de frères tu vois. »
Frères, tu parles ! De c'que j'peux en voir ailleurs, ceux-là n'ont rien de frères pour moi. J'me d'mande c'que j'ai fait parfois pour mériter autant de mépris de ma propre famille. J'ai peut-être été adopté ou un truc du genre. Bah... Ah merde, le chat attend la suite !
« Donc, j'me suis barré, j'ai fumé quelques clopes en traînant dehors et tout. Et là, qui que j'croise ? Se Jong ! Ouais, tu t'rends compte ? Il traînait encore avec cette peste d'Ae Ri. Tu penses bien, j'suis pas allé les voir. Pas besoin de voir sa face de plus près. Hey, entre nous, je crois qu'elle se met des lentilles colorées pour faire genre qu'elle a un truc de plus celle-là. Puis avec son air innocent là, genre elle essaye pas d'amadouer sa galerie. Une plaie c'te fille, une plaie. »
De bon matin, journée de merde !
« En parlant de plaie ! Regarde ma main ! Ça c'est en rentrant chez moi. J'ai pété le miroir. Ma mère m'a juste lancé un regard blasé et n'a rien dit. Je pissais le sang devant elle, et elle a juste passé son chemin. Franchement, ça pue comme vie non ? J'pourrais me couper les veines qu'elle s'en foutrait. C'est c'que j'ai fait d'ailleurs, et j'avais raison. Rien à battre. J'me sens aimé, tu peux pas savoir. »
Machinalement, je frotte mon poignet gauche où est appliqué la compresse. J'ai pas coupé assez profondément pour risquer quelque chose. C'était con franchement, vraiment con. Le pire, c'est que j'adore la vie et que j'aime pas quand les gens bousillent la leur. Mais depuis quelques temps, je vais à l'encontre de tous mes principes. De toute façon, qui me pleurerait si j'abandonnais ? Je soupire et me frotte le visage avant de me mettre quelques claques pour me réveiller. La nausée est partie et je commence à décuver. Je décuve toujours très vite quand j'arrête de boire.
« Tu sais le chat, j'ai beau me dire que c'était une grosse connerie, je risque de recommencer. J'ai fait ça pour la clope, l'alcool et la drogue alors... Tout ça, ça m'aide à oublier ce merdier. Tu crois que c'est mal de vouloir arrêter d'avoir mal ? »
Spoiler:
Tu fais arriver Im Hyun quand tu veux, elle peut avoir entendu ou pas, c'est toi qui voit :)
Un mercredi soir à plus de minuit passé, et Im Hyun était dehors. Elle était sortie ce soir-là pour essayer de se trouver quelqu’un et avait juste fini par marcher dehors dans les rues de Hongdae, ne restant pas bien loin des boîtes et des bars au cas où l’envie la reprendrait. Mais pour le moment, elle voulait simplement profiter de l’une des rares brises de vent qu’ils avaient eu lors de ce mois d’août dans la capitale coréenne. Elle n’était pas sortie avec des amies ce soir-là et n’avait pour tout dire, pas vraiment envie de voir quelqu’un finalement. Le calme avait juste envahi Im Hyun et elle ne sentait ni enjouée, ni mélancolique, ni triste, ni excitée… juste calme, un léger sourire ornant ses lèvres et pour tout dire, cela faisait un bien fou par rapport à l’ordinaire.
Im Hyun aimait bien le changement et elle aimait l’apaisement qu’il amenait en elle. Après l’excitation des premiers mois passés dans l’immense Séoul, elle se sentait mieux, plus à sa place en quelque sorte. Elle avait trouvé sa voie dans la capitale et elle en était simplement heureuse. Et pour cela, il fallait remercier toutes les magnifiques personnes qu’elle avait rencontré depuis qu’elle était arrivée, toutes celles qui avaient fait de sa vie ce qu’elle était aujourd’hui. Elle leur en était réellement reconnaissante, pensant alors qu’il faudrait peut-être qu’elle le leur dise. Oui, elle le ferait, il n’y avait pas à en douter.
Une voix sortit Im Hyun de ses pensées alors qu’elle approchait l’un des bars qu’elle avait l’habitude de fréquenter. Mais ce qui lui fit froncer des sourcils fut surtout qu’elle avait l’impression de connaître cette voix. « - qui que j'croise ? Se Jong ! Ouais, tu t'rends compte ? Il traînait encore avec cette peste d'Ae Ri. Tu penses bien, j'suis pas allé les voir. Pas besoin de voir sa face de plus près. Hey, entre nous, je crois qu'elle se met des lentilles colorées pour faire genre qu'elle a un truc de plus celle-là. Puis avec son air innocent là, genre elle essaye pas d'amadouer sa galerie. Une plaie c'te fille, une plaie. » »
Im Hyun ne sut pas si elle devait être surprise d’entendre Joon Hee parler dans la rue à cette heure-là devant un bar – il était encore lycéen bon sang ! -, énervée de la manière dont il parlait de Ae Ri – elle était son amie et surtout elle était adorable -, ou amusée de constater qu’il ne semblait pas en possession de tous ses moyens. Curieuse de voir à qui il pouvait bien parler aussi fort dans la rue, elle s’approcha silencieusement mais restant à une certaine distance quand même, histoire de juste entendre et voir clairement. Joon Hee était assis sur un muret pas loin du bar… et parlait avec un chat. Im Hyun retint un rire avec sa main, prenant tout de même en pitié le jeune homme qui semblait assez mal en point.
« En parlant de plaie ! Regarde ma main ! Ça c'est en rentrant chez moi. J'ai pété le miroir. Ma mère m'a juste lancé un regard blasé et n'a rien dit. Je pissais le sang devant elle, et elle a juste passé son chemin. Franchement, ça pue comme vie non ? J'pourrais me couper les veines qu'elle s'en foutrait. C'est c'que j'ai fait d'ailleurs, et j'avais raison. Rien à battre. J'me sens aimé, tu peux pas savoir. » Le sourire d’Im Hyun disparut lentement, alors que sa bouche prenait un rictus de tristesse. Elle n’avait jamais vu ce côté de Joon Hee et soudainement, elle n’avait plus du tout envie de se moquer de lui ou de le traiter de sale gosse. Après tout, au final, elle ne le connaissait pas si bien que ça.
« Tu sais le chat, j'ai beau me dire que c'était une grosse connerie, je risque de recommencer. J'ai fait ça pour la clope, l'alcool et la drogue alors... Tout ça, ça m'aide à oublier ce merdier. Tu crois que c'est mal de vouloir arrêter d'avoir mal ? » Le cœur lourd, Im Hyun l’écouta tristement parler. Quelle vie c’était ça, alors qu’il n’avait que dix-huit ans ? Il semblait si désemparé, si perdu… elle avait envie d’en pleurer pour lui.
Ne pouvant plus simplement rester là à l’écouter et l’observer de loin, Im Hyun s’approcha de lui, signalant doucement sa présence. « Joon Hee-ah… sale gosse. » Le surnom n’était plus moqueur, mais affectif. Après tout, même quand ils se prenaient la tête, elle l’avait toujours apprécié malgré tout. Et ce soir-là, elle ne pouvait pas rester sans rien faire. Elle se posa simplement devant lui, lui offrant un tendre sourire. « Tu n’as pas l’air en forme… » Piètre tentative, mais elle ne savait pas vraiment quoi dire. Elle voulait juste l’aider. Et puis, elle se souvint qu’elle était meilleure avec les gestes qu’avec les mots. Elle se saisit donc de la main de Joon Hee, celle qui n’était pas blessé, pour le faire descendre du muret. « Il faut soigner ta main, viens. »
Im Hyun ne savait pas vraiment où aller. Elle avait au départ pensé chez elle, mais elle ne voulait pas effrayer Joon Hee ou le braquer. Mais il fallait qu’ils s’éloignent des bars et des boîtes de nuit, tout comme de l’ambiance folle de la nuit à Hongdae. Elle se dirigea donc vers un petit parc qui n’était pas si loin que ça de ce qui était considéré comme le monde de la nuit, mais dont l’enceinte étouffait quelque peu les sons et surtout qui était éclairé. Elle se dirigea vers un banc posé près d’une fontaine d’où l’eau s’écoulait continuellement.
Faisant s’assoir Joon Hee, elle sortit son petit kit de secours de son sac à main, prenant la main du jeune homme dans la sienne afin de retirer délicatement la compresse et de grimacer à la vue du sang qu’elle s’empressa de désinfecter. Relevant le regard vers Joon Hee tout en continuant de faire son geste machinalement, elle lui offrit un léger sourire. « Alors sale gosse, tu es tout seul ? Abandonné par tous tes amis ? Ils en avaient marre de ton humour de nul ? » Elle ne voulait pas l’embêter, mais le pousser à retrouver sa flamme qu’elle lui connaissait. Le Joon Hee idiot, lourd et embêtant, mais toujours plein de vie.
Du bout des doigts, j'appuie assez fort sur ma compresse pour sentir la douleur des entailles qui se cachent derrière. Je me suis rendu compte cet après-midi qu'on ne se sentait jamais aussi vivant que lorsqu'on s'approchait de la mort. Bien évidemment, je ne me suis pas assez mis en danger pour ça, mais cette douleur m'a suffit pour que je me sente bien. Je ris jaune en me rappelant ce reportage que j'ai vu à la télévision et qui expliquait que la scarification était une addiction. Je comprends maintenant. Comme le tabac, l'alcool, la drogue ou n'importe quoi d'autre, il est facile de tomber dedans. Il ne faut qu'une seule chose : être trop faible pour réussir à en sortir seul. Pour les personnes comme moi, le mieux aurait été de ne jamais commencer. Trop tard.
« Joon Hee-ah… sale gosse. »
Je relève la tête, surpris de croiser le regard d'Im Hyun ici et à cette heure. Les effets de l'alcool commencent déjà à s'estomper, juste assez pour que je vois cette lueur de pitié dans ses yeux qui me fait comprendre qu'elle en sait un peu trop. Je ferme les yeux et soupire profondément. Quelle idée aussi d'aller raconter mes problèmes à un chat.
« Tu n’as pas l’air en forme… »
J'échappe un faible « Hmpf » qui signifie clairement « Comme si ce n'était pas évident. ». Je ne me suis pas vu dans un miroir mais j'imagine très bien l'état pitoyable dans lequel je suis. Je sais très bien que ce n'est qu'une formule de politesse, une phrase que l'on se sent obligé de dire pour se donner bonne conscience.
Je sursaute légèrement quand la main d'Im Hyun noona vient prendre la mienne et me tire doucement pour que je la suive. Je n'ai pas la volonté de résister, ni même de lui adresser nos éternelles piques. Ce soir, j'ai juste besoin de ne plus être seul. Alors je la laisse me guider dans le quartier jusqu'à ce que nous nous installions sur un banc et qu'elle commence à me prodiguer les premiers soins. Je grimace en sentant le désinfectant ronger les saletés qui avaient déjà commencé à s'accumuler sur ma plaie.
« Alors sale gosse, tu es tout seul ? Abandonné par tous tes amis ? Ils en avaient marre de ton humour de nul ? »
J'hausse les épaules, bien que je sache que ce n'est pas ce qu'elle attend de moi. Je n'ai pas envie de me battre, pas envie de remettre ce masque joyeux et farceur qui ne me quitte presque jamais. Je suis las. Demain, demain je le remettrai.
« Ça doit être ça. », dis-je d'une voix éteinte.
Les derniers effets de l'alcool s'estompent très rapidement, comme à chaque fois. Ne me reste que cette boule à la gorge, cette irrépressible envie de pleurer que je retiens de mon mieux. Je pense qu'aujourd'hui a été la goutte de trop.
« Désolé pour le pitoyable spectacle auquel tu as assisté Noona. Tu aurais dû passer ton chemin et faire comme si tu ne m'avais pas vu. Je veux imposer ça à personne. »
D'une main tremblante, je fouille dans mes poches à la recherche de mon paquet de cigarettes et de mon briquet. Cette situation m'angoisse, j'ai besoin de me calmer. Je jette un regard désolé à Im Hyun sans pour autant lui demander si le tabac la dérange ou pas : j'en ai trop besoin pour prendre le risque qu'elle me refuse le droit de fumer. Je coince la clope dans ma bouche et l'allume rapidement avant de ranger mon briquet et de tirer sur ce petit tube pour emplir mes poumons de sa fumée salvatrice.
« Noona, tu veux bien rester un peu ? Je ne t'oblige pas et je comprendrais parfaitement si tu ne veux pas. Mais ça me ferait du bien. Juste... ne pas être seul. »
Je laisse mes yeux fixés sur ma main qu'elle finit de panser, trop lâche pour la regarder en face. D'une pression sur ses doigts, je la remercie. Même si elle part, elle aura fait quelque chose pour moi. Ça me fait espérer un peu, espérer que quelqu'un me voit enfin.
Im Hyun s’attendait à tout. A une remarque pourrie, à ce que Joon Hee s’énerve, à une vanne bien lancée, à une pique presque méchante. Mais sûrement pas à cette voix éteinte. Absolument pas à cette voix éteinte. Ça, tout ça… ce n’était pas Joon Hee. Ce n’était pas le Joon Hee qu’elle connaissait. Il était drôle, stupide, fonceur, il cherchait les ennuis et ne faisait que l’embêter. Il n’était pas triste et renfermé. Et cela la déstabilisa grandement. Im Hyun avait l’habitude de rassurer, de consoler, d’être là pour les gens quand ils étaient mal et tristes. Mais jamais elle n’aurait pas imaginé Joon Hee dans cet état… pourtant comme les autres, il avait aussi besoin d’elle.
« Désolé pour le pitoyable spectacle auquel tu as assisté Noona. Tu aurais dû passer ton chemin et faire comme si tu ne m'avais pas vu. Je veux imposer ça à personne. » Sur le coup, Im Hyun se retient violemment de le frapper. Elle sent la colère monter en elle, lui brûler les veines et comprimer son cœur. Passer son chemin, mais quelle… comment ose-t-il croire que… mais quelle foutue… elle… jamais… cette idée… mais… que… c’est… jamais… ses pensées s’entrechoquent alors qu’elle reste là, choquée, même dans ses gestes.
Comment pourrait-on penser à passer son chemin ? Jamais, ô grand jamais, elle n’oserait fait une telle chose. Elle n’est pas le commun des mortels, elle n’est pas ces gens stupides qui ne pensent qu’à eux. Elle ne laisse pas quelqu’un de blessé dans la rue, sans ne rien faire. Et encore moins quand elle connaît ce quelqu’un.
Quand elle voit Joon Hee sortir son paquet de cigarettes, son deuxième réflexe est de lui retirer immédiatement cette cigarette de la bouche. Il n’a que dix-sept ans bon sang ! Pourquoi fumer à cet âge ? Pourquoi s’infliger ça ? Et en l’observant ça, elle se dit que finalement, elle ne le connait pas tant que ça le Joon Hee. Il est loin le garçon revêche et taquin. Elle ne voit qu’une enveloppe brisée en ce moment. Et cela lui rappelle-t-en elle-même qu’elle finit par renoncer à lui retirer sa cigarette. Il a besoin de fumer comme elle a besoin de coucher, une manière comme une autre de se sentir vivant. Si jamais on l’obligeait à arrêter de se perdre dans ces étreintes brûlantes, elle en mourrait. Réellement. C’était la seule chose qui lui permettait de s’éloigner de la réalité. Alors elle ne pouvait retirer ça à Joon Hee.
« Noona, tu veux bien rester un peu ? Je ne t'oblige pas et je comprendrais parfaitement si tu ne veux pas. Mais ça me ferait du bien. Juste... ne pas être seul. » Un sourire tendre aux lèvres, Im Hyun finit de soigner Joon Hee sans un mot. Une fois le tout fini, elle leva une de ses mains qu’elle vint poser sur la joue du garçon, le regardant doucement. « Je ne vais pas partir Joon Hee-ah. Il est hors de question que je te laisse seule. Et je ne trouve pas pitoyable, pas du tout même. » Laissant retomber sa main, elle laissa le silence s’imprégner pendant quelques secondes, regardant toujours le jeune homme. Elle voit bien à quel point il est mal, à quel point il est mal.
« Tu me racontes ? » Elle sait que c’est dure, elle sait que parler ce n’est jamais facile. Mais elle sait aussi à quel point ça soulage. Alors elle lui laisse la possibilité, mais elle ne le met pas face à une obligation. « Si tu veux, je peux te parler de moi aussi. Te dire pourquoi je suis arrivée à Séoul. Tout le monde n’a pas une vie facile, et je crois qu’on en fait de belles preuves. » Petit rire. Elle n’est pas amusée pourtant. Mais il vaut mieux qu’elle rit plutôt qu’elle se mette à pleurer.
« Je ne vais pas partir Joon Hee-ah. Il est hors de question que je te laisse seul. Et je ne trouve pas pitoyable, pas du tout même. »
Ces mots me font tellement de bien que je manque d'échapper un petit rire. Je le retiens, parce que je sais qu'il se serait rapidement transformé en pleurs. Je me suis assez donné en spectacle, inutile d'en rajouter avec des larmes et de la morve au nez. C'est con, mais même au plus bas j'ai encore un minimum de dignité. Il n'y a que Se Jong qui peut me voir dans le pire des états. Sauf que Se Jong, il n'est pas là ce soir, comme trop souvent en ce moment. J'évite d'y penser et me concentre sur les mots d'Im Hyun. Elle dit que je ne suis pas pitoyable, mais c'est faux. À ce moment précis, je le suis, et je sais qu'elle ne dit ça que pour me remonter le moral. C'est gentil d'essayer. C'est gentil de rester.
Je tire une nouvelle fois sur ma cigarette, soufflant doucement pour faire sortir la fumée qui vient d'emplir mes poumons. Elle n'a rien dit et je lui en suis reconnaissant. Putain, cette clope me fait un bien fou. Un joint aurait été encore mieux, mais on ne peut pas tout avoir.
« Tu me racontes ? »
La question est innocente, posée comme ça, comme si elle me demandait l'heure. Mais on sait tous les deux que le sujet est bien plus grave que ça. Je secoue la tête lorsqu'elle me propose de me parler de sa propre histoire : je ne veux pas l'y forcer. Elle le fera si elle le veut vraiment, mais elle ne me doit rien et je ne compte pas le lui demander. Elle a déjà remporté le prix de la Noona de l'année en s'intéressant un peu à mes malheurs et en m'écoutant. Ça me suffit.
C'est pas dans mes habitudes de parler, surtout de ça. Mais ce soir, je suis incapable de fuir, de me cacher sous mon masque. Alors je lui raconte. Ma naissance indésirée, mes cinq frères et mon invisibilité dans ma famille. Je lui raconte tous mes efforts pour que mes parents et mes frères m'acceptent, puis toutes les conneries pour qu'ils me remarquent au moins un peu. Je lui parle de Se Jong et de son éloignement, de mes nouvelles fréquentations pas très nettes. Je lui dis que le tabac est la seule chose qui m'aide à tenir le coup, mais que j'ai aussi testé d'autres choses. Mais surtout, je lui avoue que je suis fatigué de tout ça, fatigué d'être le garçon souriant que tout le monde apprécie mais dont personne ne se soucie vraiment.
D'un geste, j'écrase le mégot d'une cigarette que j'ai fini depuis un bon moment déjà. J'en aurais peut-être besoin d'une autre, mais je n'ose plus bouger dans le silence qui suit. Je ne sais même pas combien de temps j'ai parlé, vomissant littéralement mes sentiments dans une rue froide de Séoul. Im Hyun ne s'attendait certainement pas à un bagage pareil quand elle a posé sa question, sans doute même qu'elle ne voulait pas en entendre autant. Je me sens désolé de lui avoir imposé ça, mais j'étais incapable de m'arrêter une fois que j'avais commencé.
« Désolé. C'était un peu trop. »
Je ne sais même pas pour qui je suis le plus désolé. Pour elle parce qu'elle a dû supporter mes plaintes, ou pour moi parce que je vais perdre une amie suite à ça ? Je ne lui en veux pas. On a tous suffisamment de problèmes pour rajouter ceux des autres. Elle a le droit d'être égoïste et de ne pas vouloir s'imposer ça. Face à son silence, je me lève en évitant de la regarder. Je préfère fixer ma main fraîchement bandée.
« Merci de m'avoir écouté. Je ne vais pas t'embêter plus longtemps noona. À plus tard. »
Je le dis mais je n'y crois pas. Il n'y aura pas de "plus tard". Je ferai en sorte de ne plus me trouver sur son chemin pour ne pas lui imposer le souvenir de cette nuit. Je pense que c'est ce qu'il me reste de mieux à faire.
Im Hyun n’a pas besoin de parler pour que Joon Hee s’ouvre à elle. Il semble perdu, désemparé. Et elle se souvient qu’il n’est qu’un gosse. Que derrière ce masque d’adolescent turbulent et sûr de lui, il n’est qu’un jeune de dix-sept ans. Un gamin qui a l’air d’avoir vécu plus que d’autres à son âge. Et Im Hyun pense que c’est injuste. Être fatigué de la vie à dix-sept ans, c’est injuste. Elle veut le prendre dans ses bras, le serrer jusqu’à lui en faire oublier ses problèmes. Mais elle ne peut pas, ne veut pas. Parce que lui-même refuse de se laisser ainsi aller. Et elle comprend cette volonté, elle l’accepte. Alors elle ravale ses larmes, elle ravale ses paroles compatissantes, elle ravale ses gestes trop tendres. Elle ravale sa pitié. Parce que ce n’est pas ce que Joon Hee veut.
Parce qu’elle a vécu ça. Parce qu’elle a été au fin fond du gouffre elle aussi. Et qu’elle a refusé les gestes tendres, les mots doux et la pitié. Surtout la pitié. Elle sait maintenant que, parfois, la pitié est un réel signe d’attention, un vrai souci de la personne. Mais elle ne veut pas imposer ça à Joon Hee. Alors elle se tait. Et elle respecte son vœu silencieux. Ils restent assis sur ce banc, dans la nuit chaude de Séoul, les bruits lointains d’une vie se faisant entendre. Mais entre eux, seulement le silence. Et leurs pensées. Leur cœur lourd. Tout ce qu’ils veulent dire mais qu’ils taisent. Le temps s’écoule, mais ils ne le réalisent pas. Ils sont coupés du monde réel.
Joon Hee est le premier à briser leur bulle intemporel. Il se lève. S’exprime. Im Hyun ne dit toujours rien. Elle veut qu’il parle, qu’il soit le premier à dire ce qu’il pense. Mais elle le connaît. Et sait ce qui va sortir de sa bouche. Un rictus déforme presque ses lèvres quand il s’avère qu’elle a raison. Il se voit comme un fardeau. Comme s’il l’avait dérangé, embêté. Comme si elle avait pu être gênée par ce qu’il a dit. C’est ironique, pense Im Hyun. Quand elle songe au fait qu’un peu moins d’un an auparavant, elle était dans la situation de Joon Hee. Celle qui parle et qui pense déranger. Aujourd’hui, elle se rend compte à quel point elle a pu avoir tort. Comme Joon Hee a tort. Jamais il ne la dérangera. Pas pour ça.
Quand elle sent que Joon Hee est prêt à partir, à s’effacer dans la nuit, elle se lève à son tour. Elle lève la main et la pose simplement sur l’épaule de Joon Hee. Elle le force à se tourner vers elle. A la regarder droit dans les yeux, tout comme son propre regard sonde le jeune homme. « Tu ne me déranges pas Joon Hee. Jamais. » Pas plus de mots, elle a dit ce qu’elle avait à dire. Toujours pas de pitié ou de tendresse. Il n’a pas besoin de ça. Mais du soutien, elle peut lui en offrir. Lui montrer que rien n’a changé, qu’il est toujours Joon Hee et qu’elle est toujours Im Hyun. Qu’ils sont toujours eux.
Alors elle glisse sa main de son épaule et se retourne. Elle fait quelques pas, prête à partir, s’éloignant du jeune homme torturé. Puis se tourne de nouveau, un sourire malicieux aux lèvres, ce sourire qu’elle réserve toujours à Joon Hee quand elle l’embête. « A plus tard sale gosse ! Fais pas le débile, la rentrée est bientôt ! Tu ne voudrais pas devenir encore plus idiot ! » Et elle fait volte-face, partant complètement. Mais elle lève sa main, grand ouverte, en un signe de salut. Un au revoir, pas un adieu. « A la prochaine Joon Hee-ah. »
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Just a little boy
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