Regardez-là qui arrive. Sun Hee n'est pas le genre de personne qui fait tourner toutes les têtes sur son passage. Au fond elle reste plutôt commune pour une coréenne. De grands yeux noirs aux aguets, observant les moindres détails avec attention, ce regard pétillant qu'elle arbore malgré elle. Et cet air sérieux et concentré. A quoi peut-elle bien penser ? Rares sont ceux à le deviner. A la voir avancer sans se soucier de ce qu'il y a autour d'elle, on pourrait croire qu'elle se détache du reste, pourtant c'est loin d'être le cas. Sun Hee fait attention et remarque tout. Observez-la se faufiler entre les passants, si rapide, si légère, presque invisible. Clignez des yeux une fois et elle disparaîtra de votre champ de vision pour réapparaître de l'autre côté de la rue. Et autant dire que son mètre soixante-deux l'aide a passer inaperçu quand elle le souhaite. Un coup de vent met ses cheveux en pagaille. Râlant toute seule, quelques regards se tournent vers cette jeune femme soupirant et parlant avec elle-même. Ramenant sa longue chevelure brune en un chignon bien serré, Sun Hee reprend finalement son chemin comme si de rien n'était, ignorant totalement les regards posés sur sa personne. Sun Hee se moque qu'on l'observe, si les gens n'ont que ça à faire, c'est leur problème, ça ne va pas l'empêcher de vivre.

En la voyant évoluer de la sorte, presque inaccessible, beaucoup font l'erreur de la penser froide, détachée. N'accordant que de légers sourires fugaces, avançant en ayant l'air de n'avoir besoin de personne, Sun Hee ne se rend même pas compte de ce qu'elle dégage. La démarche assurée et le pas sûr, c'est par sa présence et non son physique qu'elle attire l'attention. Après tout, sa fine silhouette est tout ce qu'il y a de plus normal pour une femme de son âge, et même si elle garde une allure sportive du fait de courir un peu partout, ce n'est pas ça qui va faire qu'on se souvient d'elle. Non, si on la remarque, c'est bel et bien grâce à cette "énergie" qu'elle dégage, comme si elle rayonnait, comme si une aura étrange l'entourait, attirant les regards malgré elle. Le visage doux, ce dernier laisse deviner une sagesse bien à elle qu'elle a su intégrer au cours de ses nombreux voyages. Bien sûr il est très facile de l'approcher, et elle vous gratifiera d'un sourire poli en prime ! Mais il y aura toujours un moment où elle se dérobera, s'échappant. Dans le fond sa peur de l'attachement est restée ancrée en elle, et il faudra du temps pour avoir droit a son grand sourire joyeux. Seuls ceux qu'elles considèrent comme ses proches et qui ont gagné sa confiance ont droit à son beau sourire. Avec ses proches, Sun Hee se montre toujours plus chaleureuse. La pudeur ne faisant pas partie de son éducation, la jeune femme a pris l'habitude des contacts physiques et n'a aucun mal à les établir, et encore moins lorsqu'il s'agit de celui qui occupe ses pensées.

Quand on l'observe plus attentivement, on prend vite en note certaines de ses mimiques et autres tics. Comme sa manie de se pincer les lèvres lorsqu'elle est concentrée, ou de jouer avec l'anneau qui lui sert d'alliance quand elle se plonge dans ses pensées. Elle semble souvent ailleurs, comme si une partie d'elle était encore là où elle est allée. On peut souvent la voir la tête baissée sur son appareil en train de regarder ses captures, ou bien le regard vissé derrière son objectif en train d'immortaliser un instant. Mis à part son alliance, son appareil photo est le seul objet qui ne quitte jamais Sun Hee. Jamais elle n'ira quelque part sans, et quand elle ne prend pas de photos, elle ne manquera jamais de passer en revue celles qui sont encore sur son appareil. Quant à son style vestimentaire, on peut dire que ... Qu'elle n'en a pas vraiment de précis. Pour Sun Hee, tant que c'est confortable et simple ça lui va, et quand on fait attention, tout lui va. En fait, tout dépend de son humeur du jour (et du temps qu'il fait aussi). Si elle est de bonne humeur, elle penchera plus pour quelque chose de très coloré et qui dénote ; quand elle n'a pas envie de parler, elle se cachera constamment derrière une grosse écharpe en laine ou un foulard. A savoir aussi qu'elle s'habille en conséquence des lieux où elle se rend, ou avec qui elle sera. Elle porte souvent des bracelets également, des babioles qui fond du bruit comme elle le dit. Ah, et ne lui parlez pas de maquillage, ce dernier étant sa bête noire. Non pas qu'elle n'aime pas en mettre, mais disons qu'à chaque fois qu'elle essaie, elle l'enlève inconsciemment, sans jamais s'en rendre compte. Et puis ce n'est vraiment pas son truc, à elle, qui a toujours préféré le simple et le naturel.

« La jeune femme assise là-bas ? Et bien ... Elle a l'air calme, posée. Je dirais même qu'elle est détachée. Regardez, il y a plein de monde qui passe devant elle et elle n'y fait même pas attention, le nez baissé sur un appareil photo. Elle m'a l'air très concentrée comme ça ! J'dirais même qu'elle doit être solitaire, non ? Pourtant elle est toute seule, et ça ne semble pas vraiment la déranger. Et puis dès que quelqu'un s'adresse à elle, elle se contente d'afficher un sourire timide avant de retourner dans son monde. Ah, attendez. On dirait que ... Bah oui, quelqu'un va vers elle. Tiens, elle est toute souriante maintenant. Peut-être qu'en fait, ça lui est égal ? Comment ça de quoi je parle ? Du fait de rester seule ! Faut écouter quand on vous parle. C'est fou, moi qui la croyais plutôt froide, la voilà qui part à rire sans se soucier du reste. En fait c'est ça, elle semble ne pas prêter attention à ce qui l'entoure, comme si elle s'en fichait. Oh, attendez, je crois qu'elle nous a vus. Non ? Si, c'est à nous qu'elle fait signe ... »

« Choi Sun Hee ? Je dirais que c'est quelqu'un de très passionné. Je veux dire, dans son travail en tout cas. Vous voyez, je suis caméraman, alors je la vois bien évoluer sur le terrain. C'est quelqu'un de très curieux ! Elle veut toujours tout essayer, tout voir, autant vous dire qu'il faut être sur le qui-vive avec elle ! Elle adore les choses nouvelles, les trucs qui lui sont encore inconnus, tout ça la fascine. Pour le coup, elle est aussi très ouverte d'esprit. Je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi respectueux envers les différentes cultures, religions et modes de vie. Je pense qu'en privé, Choi Sun Hee est une personne à qui l'on peut tout dire, je ne pense pas qu'elle juge les gens ou leur fait la morale. A la voir comme ça, elle est très à l'écoute, compréhensive. Mais ce qui m'impressionne le plus chez elle, c'est sa mémoire. Je vous jure, elle n'oublie jamais rien ! Même le nom et le visage des gens qu'elle n'a rencontrés qu'une seule fois, je suis sûr qu'elle peut s'en rappeler même dix ans après. Au boulot on s'amuse toujours à lui demander des détails sur nos précédents voyages, on fait même des paris, et elle joue le jeu en plus ! Tout ça, sa curiosité, son ouverture d'esprit, sa mémoire hors-normes, je pense que ça fait d'elle quelqu'un de très intelligent et vif d'esprit, surtout quand elle vous parle de ses voyages. C'est très agréable de travailler avec elle. »

« Sun Hee ? Je pense que quelqu'un de plus souriant et joyeux qu'elle, ça n'existe pas. J'vous jure ! C'est vrai qu'elle n'a pas l'air comme ça, avec son air concentré sur le visage, mais ça c'est quand elle est toute seule. Dès qu'elle voit quelqu'un dont elle est proche - comme moi par exemple - elle se transforme en vrai rayon de soleil. Elle est vraiment adorable. Quand on est toutes les deux, elle rigole tout le temps, s'amuse de pas grand-chose et se tape même quelques délires bien à elle. Dans ces moments-là elle est très énergique, j'ai même du mal à la suivre des fois. Je ne sais pas si elle devient vraiment elle-même quand elle est comme ça, ou si c'est plus le fait qu'elle s'adapte à moi. Je veux dire, je l'observe des fois, quand elle est avec d'autres personnes, et j'ai remarqué qu'elle s'adaptait souvent aux personnes en face d'elle, soit pour les mettre à l'aise, soit pour être elle-même à l'aise. Au fond elle reste quelqu'un de réservé qui ne veut pas "déranger" les autres. La seule chose récurrente chez-elle, c'est quand elle est avec ses proches : elle ne peut s'empêcher de les taquiner - moi la première - les embêter. Qui aime bien châtie bien comme elle dit ! Enfin, même-là, elle finit toujours par s'excuser. Tsss ... Cette fille est vraiment trop gentille. Vraiment, je le lui répète tout le temps, que des fois, elle devrait gueuler un coup ou envoyer bouler les gens lourds, mais elle me sort toujours que ça va, qu'elle préférait sourire plutôt que de s'énerver, "on dépense moins d'énergie" comme elle dit. Elle pourrait se retrouver en face d'une personne insupportable et quand même trouver le moyen de sourire. Elle cherche tout le temps des excuses aux gens, comme quoi on a tous une raison d'être comme on est. A force elle en devient incapable d'en vouloir à qui que ce soit ! Au fond je crois qu'elle n'a jamais aimé les conflits, c'est pour ça qu'elle sourit tout le temps, même devant ceux qui mériteraient une bonne claque. Les seules fois où je la vois râler, c'est quand elle lit ou qu'elle regarde quelque chose, là, vous pouvez la voir s'énerver toute seule sur son livre ou sa télé, grondant des personnages de fictions ou les gens que l'on voit aux infos. Elle me fait rire quand elle est comme ça. J'pense que c'est le meilleur moyen qu'elle a trouvé pour évacuer son stress "sans faire de tort à personne". Je vous le dis : Sun Hee est vraiment trop gentille ... »

« Ma petite Sun Hee ? Je pense que jamais personne ne saura vraiment ce qui lui trotte dans la tête. Et je dis ça en connaissance de cause ! Je suis sa mère, je sais tout d'elle, je la connais par cœur, et pourtant elle arrive encore à me cacher des choses, à ne pas tout me dire. Dans le fond, si ma Sun Hee s'est développé cette réserve vis-à-vis des autres, cette peur de l'attachement, c'est simplement parce qu'elle est trop dépendante d'eux, trop sensible à leur jugement et leurs actes. Dès qu'une personne entre dans sa vie, c'est plus fort qu'elle, elle lui fait confiance, lui pardonne tout, lui cède tout, elle existe à travers cette personne. Alors quand vient le moment de se séparer, comme lorsqu'elle voyageait avec nous, ça la rendait malade, c'était comme si une partie d'elle restait alors qu'elle, elle s'en allait. Pourtant elle a toujours gardé le sourire, faisant toujours comme si tout allait bien. Elle a toujours été convaincante pour ça, si bien que même-moi je suis assez bête pour la croire et lâcher le morceau. Sun Hee se préoccupe plus des autres que d'elle-même, elle en devient incroyablement facile à vivre. C'est quelqu'un qui a appris à s'adapter rapidement et à toutes les situations, à ne pas s'attacher à des choses matérielles - si ce n'est son appareil photo que personne n'arrivera à lui faire lâcher. C'est une fille très simple, qui ne demande pas grand-chose en fin de compte, si ce n'est de l'amour. Oui. Sun Hee en a toujours eu besoin, pour aller bien, pour se rassurer, c'est une chose essentielle dans sa vie. La moindre attention lui décroche un sourire immense et chaleureux, la touchant bien plus profondément qu'on ne pourrait le penser. Pour Sun Hee, les choses les plus importantes sont aussi les plus simples. Elle aime la simplicité : un chocolat chaud en hiver, s'allonger dans l'herbe et faire une sieste au soleil, se balader tranquillement en prenant son temps, c'est tout ce qu'elle aime. Sun Hee a horreur de se prendre la tête, surtout pour un rien. Raison pour laquelle elle n'a jamais aimé les mathématiques, se fatiguer à réfléchir pour des problèmes, ça n'a jamais été son truc. C'est pourquoi elle fuit souvent les conflits, préférant laisser les choses aller d'elles-mêmes avec le temps. Elle a toujours vécu au jour le jour, profitant de chaque instant. Elle ne veut pas gâcher sa vie à attendre, elle ne veut pas avoir de regrets, c'est pour ça qu'elle continue de voyager encore aujourd'hui. Je pense qu'avec son père, nous lui avons donné le gène de la bougeotte, sur ce point-là, je vous l'accorde, c'est de notre faute ! »

« Je pense trop aux autres. Enfin, c'est ce que me répète tout le temps Ryu Jeong ! Mais je sais qu'il a raison. C'est vrai, je pense tout le temps aux autres avant moi-même. Je m'inquiète toujours plus pour mon entourage que pour ma personne, leur demandant tout le temps si ça va, prenant souvent des nouvelles, j'ai besoin de savoir que tout va bien. Et si ce n'est pas le cas, je ne peux m'empêcher d'aller les voir et d'être là pour eux, avec eux. Haneul me dit souvent que je suis trop gentille, je pense qu'elle aussi a raison. Après tout je ne sais pas dire "non" à mes amis, et encore moins à Ryu Jeong ! J'ai juste envie de faire plaisir, de voir des sourires sur le visage de ceux que j'aime, c'est plus fort que moi. J'ai toujours été quelqu'un qui écoute plutôt que quelqu'un qui se confie. Ah ça, je n'y arrive jamais, pas entièrement en tout cas. Parler de moi, de mes états d'âme, ça reste quelque chose d'extrêmement compliqué et difficile pour moi, je n'y arrive pas, même avec les personnes les plus proches de moi. Je ne sais pas, je dois faire un blocage. J'ai pour principe de ne pas faire aux autres ce que je ne voudrais pas qu'on fasse, et comme je supporte difficilement les gens qui s'imposent et qui se plaignent tout le temps, et bien, je ne le fais pas, préférant largement feindre un sourire. Et même si j'essayais, même si je voulais, je sais que j'aurais beaucoup de mal. Surtout que dès que ça me touche personnellement, j'ai la larme facile, alors autant dire que si je me mets à parler de ce que ressens au plus profond de moi, je risque de me mettre à pleurer sans pouvoir m'arrêter, et je n'ai jamais aimé ça. Pleurer devant quelqu'un, surtout une personne qui m'est chère, je ne veux pas. On s'inquiéterait pour moi, et je ne veux pas causer de soucis à mon entourage. Même Ryu Jeong ne m'a jamais vue pleurer, vraiment je veux dire. (Oui parce que pleurer quand la maman de Bambi meurt, ça ne compte pas) Alors oui, je m'isole quand je sens que je ne tiendrais plus, et je reviens seulement après avoir sécher mes larmes. Je n'aime pas me plaindre, pas après tout ce que j'ai vu dans tous les coins du monde. La théorie de la relativité, vous connaissez ? Et bien voilà, pour moi c'est une réalité et mon quotidien. Je me dis qu'il y a toujours pire quelque part dans le monde, qu'au fond, ça ne va pas si mal que ça, alors je me remets à sourire et continue d'avancer, quoi qu'il arrive, continuant de vivre ma vie, en profitant au maximum. Voilà tout. »

Une voix féminine résonnait dans les haut-parleurs ; son vol allait avoir trente minutes de retard. Ce genre de désagréments, Sun Hee en avait l'habitude, ça ne la dérangeait pas tant que ça. Moins que ce couple submergé par les bagages et leurs deux enfants surexcités en tout cas. Elle ne put retenir un sourire en coin en voyant s'amuser les deux enfants avec un porte-bagage. Elle s'est souvent demandé ce qu'aurait été sa vie si elle avait eu un frère ou une sœur. Peut-être que ça aurait changé du tout au tout ? Ou alors cela aurait été exactement pareil. Jamais elle ne le saura, et elle préfère ne pas s'embrouiller l'esprit avec ce genre d'histoires imaginaires. Sa vie est très bien comme elle est, et elle ne voudrait l'échanger pour rien au monde. Être enfant unique ne l'a pas rendue pourrie-gâtée comme d'autres après tout, loin de là. Ayant grandi en suivant ses parents dans leurs péripéties autour du monde, Sun Hee a appris à ne pas s'attacher aux choses matérielles et à vivre au jour le jour. Pourtant elle s'est rapidement faite à cette vie de bohème, se baladant entre Moscou, New York et Singapour. Et aujourd'hui la voilà qui continue de voyager sans fin tout autour du monde, son appareil photo à la main. Cette envie de tout voir, de tout découvrir, de profiter de sa vie, tout ça l'a conduite dans le journalisme. D'ailleurs elle s'apprêtait à rentrer de son dernier reportage. Ce dernier s'était passé en Inde, spécialement pour la Holi, ou fête des couleurs comme on l'appelle souvent. Ce n'était pas la première fois qu'elle y participait bien que ce fut son premier reportage fait sur le sujet. Sun Hee avait toujours aimé cette fête, elle avait l'occasion de faire des photos magnifiques. La jeune femme était d'ailleurs en train de les passer en revue. Toutes ces couleurs, tous ces sourires, elle adorait cette fête. Elle s'était d'ailleurs promis d'y aller avec Ryu Jeong une fois.

Ahn Ryu Jeong. C'était aussi en Inde qu'ils s'étaient rencontrés tous les deux. Elle se souviendra toujours de ce sud-coréen à l'air rêveur qui l'avait intriguée plus que d'ordinaire, cet homme qui avait réussi à percer sa bulle rien qu'en la faisant rire. Et il est resté tel quel d'ailleurs, pour son plus grand bonheur. Sun Hee se surprit à jouer avec son alliance. Qui l'aurait cru ? Qui aurait cru qu'elle se fiancerait ? Elle-même n'y avait jamais pensé sérieusement, jusqu'à ce que ce simple mot de trois lettres sorte de sa bouche. « Oui. » Surtout qu'avant de le rencontrer, Sun Hee était loin d'avoir des amis dans les quatre coins du monde, au contraire. A force de devoir partir, de devoir dire au revoir aux gens auxquels elle tenait, la sud-coréenne développa rapidement une peur de l'attachement, devenant réservée et préférant être un électron libre sans attache plutôt que de souffrir de nouvelles séparations. Et voilà finalement monsieur Ahn qui débarque dans sa vie et la chamboule complètement. Pourtant jamais elle ne le regrettera, ça non. Elle en est tombée amoureuse, irrémédiablement, et elle se refuse de le perdre, pas lui. Préférant ne même pas imaginer cette possibilité, Sun Hee leva finalement les yeux sur sa montre et tendit l'oreille afin de voir si son vol était là. Un sourire se dessina sur ses lèvres quand ce fut le cas. Attrapant son sac et plaçant la bandoulière sur son épaule, Sun Hee continuait de regarder les photos qu'elle avait prises. Il y en avait même d'elle peinturlurée de la tête aux pieds ! Elle se demanda alors si Ryu Jeong arriverait à la reconnaître avec toute cette poudre de couleur sur la tête. Souriant légèrement, elle donna son billet à l'hôtesse et s'engouffra dans l'avion.

C'était devenu une routine pour elle, voyager en avion, et ça se voyait. La façon qu'elle avait de se diriger directement vers sa place sans vérifier le numéro, cette facilité qu'elle a de mettre son sac dans le porte-bagage au-dessus d'elle, elle connaissait toutes les manœuvres et mesures de sécurité par cœur. Elle avait bien dû passer le quart de sa vie dans des avions. S'installant sur son siège, Sun Hee continuait de détailler les images défilant sur son appareil, ignorant les autres passagers évoluant à ses côtés. Et comme d'habitude, sans qu'elle y fasse attention, l'avion décolla. Pendant les quelques heures de vol, Sun Hee fit ce qu'elle faisait tout le temps pendant les temps de trajet : relire ses notes. Car oui, comme depuis toujours, Sun Hee prenait des notes sur ses voyages, écrivant des anecdotes qu'elle ne voulait pas oublier, accompagnant toujours le tout des photos qu'elle avait prises. Sa vie se trouvait dans ses carnets, et elle en avait déjà un bon paquet. Tant d'histoires courtes et sans suites, Sun Hee devenait toujours nostalgique en les relisant. Mais elle gardait toujours le sourire, comme d'habitude, son petit sourire en coin qui faisait toujours craquer son fiancé. Au final, toutes ces histoires, tous ces souvenirs, c'était comme si elle vivait partout à la fois, comme si elle vivait plusieurs vies en une seule et même fois. Toutes ces cultures, tous ces modes de vie qu'elle a découverts et appris, ils font tous parties intégrantes d'elle. Toutes ces personnes qu'elle a observées évoluer de loin, tous ces schémas qu'ils reproduisent sans cesse. Sun Hee vit au travers de ce monde en constant changement, ce monde qui ne cessera jamais de tourner et avec lequel elle veut tourner, elle-aussi. Après-tout, peut-être cherche-t-elle à réaliser ce vieux rêve d'enfant, et ainsi avoir la réponse à cette question pleine d'innocence : et si quelqu'un arrivait à faire le tour du monde au même rythme que la Terre tourne, qu'est-ce qu'il se passerait ?

Mais voilà que l'avion atterrit, tirant la jeune femme de ses songes. Inspirant calmement, elle arrive finalement à se frayer un chemin parmi les passagers, récupérant son sac et descendant de l'appareil. La voilà de retour chez elle, dans son pays natal, à la capital, Séoul. Avant, Sun Hee n'avait pas d'attache, pas vraiment de point d'arrivée ou se poser, ou se sentir "chez elle". Et puis Ryu Jeong lui a proposé d'aller à Séoul, pour y vivre. Et comme toujours, elle n'a pas su refuser. Au fond, la seule raison pour se sentir chez elle ici, c'était lui. N'importe tout où où elle pouvait aller, il suffisait qu'il soit là et elle se sentait chez elle. C'était aussi simple que ça. Alors vous pouvez imaginer à quel point elle était heureuse à chaque fois qu'elle rentrait. Bon, ça ne l'empêchait pas de continuer à partir à l'autre bout du monde pour ses reportages, mais ces derniers n'empêchaient pas non plus qu'elle soit amoureuse, alors où était le problème en fin de compte ? Avançant rapidement, toujours ce même sourire en coin sur les lèvres, Sun Hee se faufilait entre les gens, comme à son habitude, toujours aussi légère et rapide. Sortant de l'espace de débarquement, la jeune femme se mit à observer les alentours en quête d'un visage qu'elle connaissait plus que bien. Le voilà. Souriant comme jamais elle ne le fait en présence d'autrui, Sun Hee accéléra le pas avant de se jeter au cou de celui qui occupait son cœur et ses pensées. Au final, tous ces voyages qu'elle faisait, ils finissaient tous par reconduire ses pas vers lui, et elle espérait juste que ce voyage-là n'ait jamais de fin.