Point de vue externe.
17 ans.
Quand Lee Yum ouvrit les yeux, le soleil venait tout juste de faire son apparition à l’horizon. Machinalement, il tendit le bras en direction de sa table de chevet et chercha à tâtons son portable avant de consulter l’heure qu’il affichait ; 06h48. Il laissa échapper un grognement incompréhensible avant disparaître à nouveau sous les draps. Il était bien trop tôt pour que le jeune homme daigne de sortir de son lit. Et pourtant… Il se retourna plusieurs fois, agacé. Impossible d’arriver à retrouver le sommeil. C’était bien sa veine, tiens. L’un des jours où il n’avait pas cours, il était,
forcément, obligé de se réveiller plus tôt que lorsqu’il en avait…ironie du sort ?
Il se leva de mauvaise grâce, les cheveux en broussaille et le visage rougi, sur lequel étaient encore apparentes quelques marques rouges dues aux plis de ses draps. Croisant son reflet dans un miroir, il soupira. Ça y est, il était bon pour passer le casting d’un film d’horreur…
Point de vue interne.
17 ans.
C’est d’une humeur exécrable que je descendais dans la rue qui longeait mon établissement, cigarette en bouche. Je détestais particulièrement ma modique chambre d’interne et l’environnement dans lequel je vivais. Rester tout le temps dans l’enceinte du lycée sans pouvoir rentrer chez soi le week end était quelque chose de particulièrement désagréable. J’avais l’horrible sensation d’y être enfermé et c’était plus ou moins le cas…
Tirant sur ma cigarette, j’eus un faible rictus. Après tout je n’avais pas vraiment de « chez moi ». Et cette situation était sans aucun doute plus enviable que d’être trimbalé dans des dizaines de foyers différents. Oui, je préférais de loin rester cloîtré ici. Au moins, il n’y avait personne derrière moi pour me dire de faire ceci ou cela et d’obéir à de quelconques tâches. J’avais plus ou moins un semblant de liberté, en dépits des couvres feu qui m’étaient imposés. Quoique…il y avait toujours un problème. Un seul et unique problème, qui n’avait pas changé depuis mes quatre premières années.
Ce foutu problème. Effectivement, je devais recharger deux ou trois fois par jours avec plusieurs de mes donneurs, chose qui m’était problématique de par son usage fréquent et son imprévisibilité. Cela pouvait me tomber dessus, juste comme cela, au beau milieu de la nuit ou d’un cours. Et dans ces cas-là, rejoindre un de mes donneurs rapidement était une chose qui relevait de l’impossible… Comment expliquer à vos professeurs ou autres personnels de l’établissement que vous devez sortir, là, tout de suite ? Ce n’était pas facile. Vraiment pas facile. Et encore, s’il n’y avait que cela… Si seulement ma simple nature ne m’inspirait pas autant de répulsion et aurait été une chose que j’assumais pleinement…les difficultés qui se présentaient à moi seraient moindres. Mais dans mon cas ce n’était rien de plus qu’une gêne, une contrainte insupportable qui, pourtant, dépendait de ma survie.
Bref. Je m’attardais encore sur des choses bien déplaisantes.
Il devait être dix heures passée lorsque je gagnais le centre-ville. Je m’étais attardé quelques temps dans un café avant d’attendre que les magasins n’ouvrent. J’avais tout simplement horreur de passer mes journées enfermé dans ma chambre sans rien faire de particulier. J’avais juste besoin de bouger, de me changer les idées. Et pour cela, rien de mieux que d’effectuer quelques achats. J’avais presque honte de l’avouer, mais les deux principales choses dans lesquelles partait mon argent étaient les vêtements et les cigarettes…en il fallait bien que celui-ci parte quelque part, non ? Mon père –que je n’avais du rencontré qu’une ou deux fois- s’occupait de mes frais scolaires et s’assurait de me verser chaque mois un peu d’argent sur un compte. Je ne pensais pas que mon existence signifiait beaucoup pour lui, mais j’existais et il ne l’avait démenti. C’était l’essentiel. Il savait que j’existais. Tout simplement. Nous n’étions pas attaché l’un à l’autre ou quoi que ce soit. Il avait sa vie, j’avais la mienne. Et aucun de nous deux ne cherchait plus loin. Nous étions des inconnus liés par le sang. Cela ne cherchait pas plus loin.
Je m’arrêtais devant la vitrine d’un magasin que j’appréciais particulièrement. Leur nouvelle collection n’était pas trop mal… J’y entrais sans vraiment prendre le temps de réfléchir. Je n’avais rien à faire sauf perdre mon temps après tout.
Ce n’est qu’une bonne vingtaine de minutes plus tard que je me présentais à la caisse, une veste en cuir sous le bras. J’en cherchais une depuis déjà un bon bout de temps mais sans succès. Il y avait toujours un problème de taille ou de coupe avec celles que j’avais trouvées auparavant.
La vendeuse me fit signe d’attendre quelques secondes tandis qu’elle renseignait une cliente à l’essayage. Je portais mon regard vers l’autre vendeur qui se hâtait de servir les clients qui ne cessaient de défiler. Il ne semblait plus savoir où donner de la tête… Je jetai un coup d’œil vers la jeune femme qu’il était en train de faire passer à la caisse depuis déjà un petit moment. Une occidentale, pensais-je distraitement.
La commerçante me rejoignit aussitôt et je reportais mon attention sur elle, déposant ma veste sur le comptoir. Une fois que j’eus réglé mon achat, elle me tendit mon sac que je saisis en ajoutant un bref merci.
Alors que je sortais du magasin, il se mit à souffler un vent qui me fit frissonner. Je regardais le sac que je tenais en main. Je pouvais d’ors et déjà porter ma veste, non ? Glissant ma main à l’intérieur j’en sortais le vêtement…avant de me rendre compte qu’il s’agissait d’un haut pour femme. Je restais de marbre, ne sachant comment réagir. Si c’était une blague, elle était vraiment pourrie… J’ouvrais le sac en grand, regardant ce qu’il y avait à l’intérieur. Au total, cinq autres articles, tous féminins, et aucun signe de ma veste. L’espace d’une seconde, je fus tenté de rire tant la situation était comique. C’était totalement ridicule…
Je rangeais le vêtement dans le sac et m’apprêtais à rentrer une nouvelle fois dans la boutique pour le déposer et récupérer ce que je voulais lorsque mon regard fut attiré par un éclat blond sur ma droite. L’occidentale qui passait en caisse au même moment que moi se trouvait à plusieurs mètres, se fondant peu à peu dans la foule. Je plissais les yeux. Et si…
Sans réfléchir, je la suivis, cherchant à la rattraper. Peut-être avait-elle mon sac ? Lui demander ne me coutait rien, je pourrais tout aussi bien revenir au magasin si ce n’était pas le cas.
Alors que j’arrivai à sa hauteur, je l’attrapais doucement par le bras, essayant de ne pas l’effrayer.
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Excuse-moi mais je crois que tu as mon sac…Je me mordais la joue, espérant qu’elle comprenait le coréen…