Lost and Found

Hwang Hyun Hee & Kang Ae Ri

Le Dimanche 17 Mars 2013 à 15h13

Dimanche après-midi, rien à faire. Ae Woon est occupé, Min Hwan doit préparer sa semaine de classe… Et je n’ai pas de devoirs à faire puisque demain commencera mon stage à Seoul Mate. Rien à faire. Mais je ne peux pas rester seule à la maison. Maman et Papa sont partis chez des amis, et j’ai sculpté toute la matinée. Si je reste encore tout l’après-midi dans mon atelier,  je vais devenir dingue. Ces derniers temps, le travail de la terre ne m’aide plus autant qu’avant… Et j’ai envie de sortir, de m’accrocher un peu. Et puis les parents m’ont déprimée pendant le repas. On dirait que je m’en vais demain à l’abattoir ou à un exam super important. Non, je vais juste commencer mon stage, chez un homme que Min Hwan connaît visiblement très bien et qui a l’air franchement sympathique. Alors après le repas me vient une idée. Je dois me faire pardonner mes âneries d’après mes retrouvailles avec Se Jong. Je gribouille un message à l’attention de mon ange gardien, Hyun Hee, pour l’inviter à passer un peu de temps avec moi cet après-midi. Et j’ai très rapidement ma réponse.

Jean foncé, Converses oranges, chemise orangée, trench coat beige, et c’est parti pour rejoindre Hyun Hee, mes cheveux châtains clairs laissés totalement libres retombant sur mes épaules. Et puis j’ai tout dans mes poches : mon porte-monnaie, mes papiers d’identité et mon téléphone. Et c’est parti ! J’ai donné rendez-vous à Hyun Hee devant le Starbucks de Hongdae. Je n’ai absolument aucune idée d’où il se trouve, c’est maman qui m’a conseillée ce point de rendez-vous. Selon elle, tout le monde connaît le Starbucks Coffee. C’était sans compter sur mon sens de l’orientation plus que foireux. Autant le trajet jusqu’à Hongdae s’est bien passé, autant ma recherche du Starbucks s’est avérée bien plus épique !

Et puis d’abord, ce n’est pas de ma faute ! D’habitude, je viens ici pour voir mon frère ou Min Hwan, donc forcément, par réflexe, j’ai rejoint leur bâtiment sans réfléchir. Et comme j’étais un peu en avance, j’ai eu l’idée folle de terminer le chemin à pied. Le résultat ne s’est pas fait attendre : je me suis perdue. J’ai du prendre la mauvaise droite quand le vieil homme m’a expliqué comment rejoindre les rues commerçantes… C’est le coup classique. Je m’écharne  chercher mon chemin, en vain. J’ai un don pour faire ce genre de choses, un don que je partage visiblement avec Hye Mi. Et en plus, à force de chercher, je me suis mise en retard. Je soupire en sortant mon portable de ma poche et en écrivant un second message à mon ami lui demandant de me rejoindre finalement devant l’université de Woonie. Quoique je ne sois pas sûre de la retrouver non plus…  

J’essaie de suivre les indications mais, maintenant que j’ai autant tourné dans le coin, je me sens plus désorientée que jamais. Si Seo Min était là, il serait écroulé de rire, et il me prendrait la main pour me montrer le chemin. Sauf qu’il n’est plus là, et qu’il n’y a personne pour me mener sur la bonne route. A force de déambulations, et avec dix bonnes minutes de retard, je finis par trouver, par le plus grand des hasards, l’entrée de l’université. J’y suis pourtant souvent venue, je me suis à chaque fois faite accompagner ou je me suis arrêtée au bon endroit en transport en commun. Et e n’étais pas pressée.

Je distingue rapidement la silhouette de Hyun Hee. Je ne l’ai vu qu’une fois, mais je suis plutôt physionomiste. Ce sont les prénoms que j’ai plus de mal à retenir ! Je cours donc vers lui pour le rejoindre.

« Pardon pour le retard ! Et pour le changement de plan aussi ! Je suis vraiment désolée ! »

Soulagée d’avoir à peu près retrouvé mon chemin,  j’affiche un grand sourire joyeux.

« En fait, je suis descendue au mauvais endroit, et j’ai voulu rejoindre le Starbucks à pied, mais je me suis perdue… »

Je soupire, lasse de ma propre bêtise. Quand on a ce don pour se perdre et une telle malchance, on ne doit pas se lancer à l’aventure ! Mes joues rosissent légèrement.

« Euh… Tu sais rejoindre le Starbucks à partir d’ici ? Je te dois au moins un bon café ! »

Mes grands yeux bleus sont accrochés à ces prunelles. Personne ne résiste à mes demandes quand je supplie ainsi du regard.

« A moins bien sûr que tu ne préfères un autre endroit... »

Au moment où je sortais de table, ma domestique m'apporta mon portable que j'avais laissé dans le salon, me signalant que j'avais reçu un message texte. Je m'empressai de le lire quand je vis qu'il venait de la jeune fille intrigante qui avait passé une nuit chez moi. Elle me proposait de la rejoindre au Starbucks Coffee d'Hongdae. Ce lieu de rendez-vous me fit quelque peu tilter mais je supposai que c'était un endroit convivial pour les lycéens et les personnes ordinaires. Pour ma part, j'aurais plutôt choisi le nouveau bar au bout de la même rue, pour son service discret et ses cocktails alléchants. Mais qu'est-ce qu'une fille aussi jeune pouvait y connaître ? Encore une fois, c'était une supposition, mais elle ne devait pas avoir été élevée dans une famille très fortunée.

Quoi qu'il en soit je devais me préparer à sortir. J'allais donc me changer, délaissant mon jeans pour un pantalon de costume sombre, l'assortissant avec une veste cintrée du même noir. Seule ma chemise saumon contrastait avec l'ensemble. J'avais encore un peu de temps devant moi, alors après avoir demandé à ma femme de ménage de prévenir le chauffeur, je m'autorisai une petite cigarette avec vue sur mon jardin apaisant. Aujourd'hui je décidais de mettre ma quête de côté pour me concentrer sur cette adolescente au sourire radieux, ce même sourire qui semblait me cacher tant de choses. J'avais déjà deviné qu'elle ne laissait pas facilement filtrer d'informations sur cette lueur triste dans ses yeux. Je considérais comme un honneur le fait d'avoir eu le droit de l'apercevoir.

L'heure tournait et je fus bientôt en route pour Hongdae. Mon chauffeur connaissait la ville par coeur, je lui faisais confiance pour retrouver notre chemin. Il me déposa à deux pas du Starbucks et je le remerciai avant de le laisser repartir. Les journées, malgré le soleil timide, restaient fraîches. J'étais content d'avoir pris mon écharpe un ton plus foncée que ma chemise. Mais au moment où je m'avançais vers le café, mon portable sonna dans ma poche. Je l'en sortis et fronçai les sourcils. Ae Ri venait soudainement de changer le lieu du rendez-vous. J'avais une minute de retard, alors je ne pouvais pas lui en vouloir de faire de même, seulement j'étais plutôt déstabilisé par ce brusque changement. Je lui répondis rapidement puis tournai dans la rue qui menait à l'université. Elle était plutôt longue, alors il me faudrait bien cinq minutes pour la parcourir.

Cinq minutes, c'était le temps depuis lequel j'attendais devant le grand portail. Où était-elle ? Je regardai ma montre, puis les différentes rues dont elle pourrait arriver, sans pour autant la voir.

" Pardon pour le retard ! Et pour le changement de plan aussi ! Je suis vraiment désolée ! "

A l'entente de cette voix familière, je me retournai et tombai sur le visage radieux de celle que j'avais prise sous mon aile. Instinctivement, mon agacement s'envola et un sourire attendri étira mes lèvres.

" Ce n'est rien, content que tu sois arrivée saine et sauve. "

J'avais cru comprendre qu'elle était plutôt du genre maladroite alors si en plus elle avait été malchanceuse... je devais bien avouer que je m'étais inquiété pour elle durant ce retard.

Elle s'expliqua et me révéla implicitement que son sens de l'orientation n'était pas au top niveau, ce qui ne m'étonna qu'à moitié. Après tout, les hommes avaient cet avantage naturel sur les femmes, ces dernières n'étant pas doté de la partie régissant l'orientation justement. Alors je ne pouvais pas lui en vouloir.

" Euh… Tu sais rejoindre le Starbucks à partir d’ici ? Je te dois au moins un bon café ! "

Je regardai instinctivement la longue avenue qui menait presque tout droit à notre première destination, me retenant de lui faire remarquer que c'était simple comme bonjour. Et puis c'était quoi ces yeux qu'elle me faisait ? Quelqu'un lui avait-il déjà dit qu'elle pouvait obtenir quelque chose sans se rendre irrésistiblement attendrissante ?  

" A moins bien sûr que tu ne préfères un autre endroit... "

Ah bah justement !

" J'avais pensé à un bar qui est tout près du Starbucks. Ils servent des bonnes choses et c'est moins bruyant. Est-ce que ça te plairait ? "

Dans tous les cas nous devions descendre cette rue. Je lui emboîtai donc le pas tranquillement, plus très pressé maintenant qu'elle était là. J'avais des questions à lui poser, bien qu'elle reste certainement sur la réserve. Alors je comptais la mettre dans une ambiance plus intime, si elle était d'accord bien évidemment. Une main dans ma poche, je levai les yeux en l'air et observai les bourgeons qui se formaient jour après jour sur les branches nues des arbres. Le printemps serait bientôt là et avec lui les visages plus lumineux. L'hiver avait tendance à être rude et à peser vers la fin, alors le soleil chaud était de plus en plus attendu.

Nous descendions calmement l'avenue bondée de monde en ce jour de repos dominical. Et je me permis de reprendre la parole.

" Tu ne sais pas comment aller au Starbucks mais apparemment tu connais l'université. Tu comptes y entrer après le lycée ? "

Je tournai doucement mon visage vers elle tout en surveillant du coin de l'oeil notre chemin. Hors de question qu'elle se prenne un poteau ou un truc du genre en me répondant, je m'en voudrais trop.

" Ce n'est rien, content que tu sois arrivée saine et sauve. "

Je lève les yeux au ciel en rougissant. Se serait-il inquiété pour la petite Ri ? Ce ne serait pas vraiment étonnant. Je ne lui ai pas fait la plus forte des impressions lors de notre rencontre. En fait, je lui ai même totalement exposé ma faiblesse, que ce soit ivre ou sobre au réveil. Enfin je trouve quand même marrant que lui aussi me sorte ce genre de phrases. Qu’est-ce qu’ils ont à tous croire que je ne peux pas faire deux pas seule sans qu’il m’arrive des trucs incroyables. Hé ! Ce n’est pas parce que je me suis retrouvée une fois dans une situation embarrassante devant lui qu’il doit pouvoir en faire une généralité ! Bon en fait, il a raison, il m’arrive toujours des trucs incroyables. Bien que je prétende que ça me plaît, j’aimerais qu’il ne m’arrive jamais rien, comme aux autres, comme aux gens normaux. Enfin passons.

" J'avais pensé à un bar qui est tout près du Starbucks. Ils servent des bonnes choses et c'est moins bruyant. Est-ce que ça te plairait ? "

J’ai la vague impression que ça lui dirait bien plus que le Starbucks. Dommage ! Mais il aurait du me dire que ce lieu ne lui plaisait pas. Ou alors j’aurais du m’en douter. J’ai l’habitude d’agir en toute simplicité, qu’importe avec qui je traîne. Sauf que Hyun Hee n’est pas comme les autres personnes qui remplissent ma vie. Je note ! Il commence à avancer et je le suis.

« Si tu penses que c’est mieux, je te fais confiance ! Allons-y ! »

Je le suis puis me place à son côté pour marcher. Cette balade qui n’en est pas une est plutôt agréable. Je n’ai pas de mal à garder mon sourire accroché à mes lèvres. De temps en temps, je jette quelques regards curieux à Hyun Hee. Il semble presque rêveur, parfaitement détendu.

" Tu ne sais pas comment aller au Starbucks mais apparemment tu connais l'université. Tu comptes y entrer après le lycée ? "

Je laisse une moue boudeuse s’installer avant de me rendre compte qu’il me regarde. Je ramène alors un petit sourire sur mes lèvres en haussant les épaules. C’est le problème quand on fréquente des adultes. Ils finissent toujours par vous poser des questions sur votre avenir. Le problème, c’est que le mien est tellement incertain que je ne peux donner aucune réponse définitive.

« J’y passerai sûrement. Peut-être pour y étudier les arts, ou les langues.»

Je soupire légèrement, laissant mon regard incertain se promener le long de la rue que nous longeons. Je sens le regard bienveillant de Hyun Hee et m’en veux pour la réponse que je viens de lui fournir. Il faut que je me rattrape. Je ne voudrais pas qu’il croit que ses questions m’ennuient. C’est simplement cette question que je n’aime pas du tout. Avant la mort de Seo Min, je ne l’aimais déjà pas. Mais depuis que je me laisse perdre par cette noirceur et ce manque au fond de moi, j’en viens à détester les questions portant sur ma vie future. Je ne suis même pas sûre de survivre encore à la fin du mois, alors penser à l’avenir est quelque chose de compliqué. Je chasse mes pensées sombres d’un hochement de tête et ramène mon regard bleu sur Hyun Hee.

« En fait, mon frère étudie là-bas, comme certains de mes amis, et il m’arrive d’y passer quand je n’ai pas cours pour leur faire un petit coucou ! Et je ne suis normalement pas capable de retrouver mon chemin jusque là-bas… Je prends toujours le bus qui s’arrête devant. »

Je me rapproche de lui, comme pour lui dire un secret. Sur le ton de la confidence, je termine.

« En fait, j’ai changé le point de rendez-vous pour l’université parce que le chemin en est indiqué par des panneaux… »

Je ris un peu avant de regarder de nouveau devant moi. J’esquive un passant pressé qui ne semble même pas me voir.

« Et toi alors, Hyun Hee, qu’est-ce que tu fais dans la vie ? Enfin… Tu n’es pas obligé de répondre, hein ! Je suis juste curieuse, et j’aime connaître les gens que je fréquente… »

Surtout quand ces gens ont fait quelque chose pour moi sans rien demander en retour, ou presque. Oui, je serai toujours reconnaissante à Hyun Hee de m’avoir protégée ce soir-là. Il a été mon ange gardien. Alors que je continue à marcher, un passant me heurte et ne trouve rien de mieux à faire que m’invectiver. Je m’excuse platement et me rapproche instinctivement de mon aîné, la mine boudeuse, réduisant la distance entre nous à peau de chagrin.

« C’est quand même dingue ! Les gens t’évitent sans réfléchir alors qu’ils me foncent dessus sans même me voir ! »

Je suis jalouse, c’est injuste. C’est comme quand Woonie et moi marchons ensembles. Les gens font attention à lui alors qu’ils n’hésitent pas à me foncer dessus. Du coup maintenant, il m’attrape toujours par la taille ou par les épaules pour éviter qu’on ne me bouscule. Peut-être que si j’avais l’air moins gentille, ce serait plus efficace.

Je n'étais pas certain qu'Ae Ri soit emballée à l'idée d'aller dans ce fameux bar, quoi qu'il en soit elle m'y suivait. Quand je l'interrogeais sur l'université, c'était par simple curiosité. Elle qui n'était pas parvenue à retrouver le Starbucks semblait pourtant connaître le chemin de la fac, alors je me demandais surtout comment c'était possible. Mais sa moue boudeuse ne me disait rien qui vaille. Est-ce que j'avais dit quelque chose qu'il ne fallait pas ? C'était bien ma veine. Sa réponse me sembla d'ailleurs un peu vague.  Mais je n'insistai pas. Si elle ne voulait pas en parler, je n'allais pas la forcer.

J'avais vraiment l'impression d'avoir dit une grosse bêtise. Le regard de ma compagne s'était perdu devant nous, redevenant un instant limpide. Comme le soir de notre rencontre, elle avait levé le voile joyeux qui couvrait habituellement ses iris bleus et je devinais son vague à l'âme plus que je ne le comprenais. Que s'efforçait-elle de cacher avec autant d'insistance ? Je ne lui poserai pas de questions trop directes, je voulais qu'elle s'ouvre à moi naturellement. Je savais que ça pourrait prendre du temps et que je n'étais pas des plus patients, mais j'attendrai.

Le voile retomba, illuminant de nouveau son regard azur qu'elle levait vers moi.

" En fait, mon frère étudie là-bas, comme certains de mes amis, et il m’arrive d’y passer quand je n’ai pas cours pour leur faire un petit coucou ! "

Voilà qui expliquait déjà plus les choses. Et puis, même si elle n'était à la base pas claire, ça répondait beaucoup mieux à ma question. Elle me confia alors cette anecdote que je ne manquerai certainement pas de me rappeler les jours où je serai morose. Je ne pus empêcher un petit rire de passer mes lèvres. Cette jeune fille était tellement spontanée parfois que je l'enviais. J'aurais aimé lui ressembler, rire de tout et prendre avec autant de gravité un petit détail insignifiant. Quelle était sa recette miracle ? Je me doutais qu'elle n'avait pas du être de celles qui se renfermaient sur elles-mêmes étant enfant, elle devait aller vers les autres avec une facilité déconcertante et rentrer chez elle fière d'annoncer à ses parents les noms de ses nouveaux amis. J'avais toujours envié ces gens-là, depuis ma plus tendre enfance.

" Et toi alors, Hyun Hee, qu’est-ce que tu fais dans la vie ? Enfin… Tu n’es pas obligé de répondre, hein ! Je suis juste curieuse, et j’aime connaître les gens que je fréquente…
- Moi ? Je profite de ma liberté en attendant de reprendre l'entreprise de mon père, avouai-je sans gêne. Je n'ai pas à me plaindre de ce côté-là. "

J'aurais aimé décider seul de mon avenir, mais alors je n'aurais pas eu le temps de poursuivre avec autant d'acharnement cette personne qui manquait à ma vie. Je m'apprêtais à plaisanter un peu sur la vie volage d'un riche célibataire quand un malotru bouscula la lycéenne. Je fronçai les sourcils, prêt à m'énerver contre l'indélicatesse de ce passant, mais Ae Ri s'inclina face à lui. Etonnant pour un caractère comme le sien.

" C’est quand même dingue ! Les gens t’évitent sans réfléchir alors qu’ils me foncent dessus sans même me voir ! "

Voilà, je m'attendais plus à quelque chose comme ça. Nous avions repris notre marche, pourtant je jetais toujours quelques coups d'oeil derrière nous pour apercevoir le type. J'aurais du m'interposer, je ne supportais pas qu'on parle ainsi à quelqu'un, encore moins à une femme. Le monde perdait de plus en plus la notion de respect et les gens trouvaient ça normal, en accord avec notre époque. Et dans dix ans, qu'est-ce que ce sera ?

" Il n'a aucune honte en plus, grommelai-je plus pour moi même. "

Instinctivement, j'entourai les épaules de la jeune fille d'un bras afin de la protéger d'éventuels passants trop pressés pour faire attention à son visage adorable. Soucieux de ne pas la mettre mal à l'aise, je la rassurai un peu :

" On arrive bientôt, il n'y a plus qu'à tourner là. C'est juste histoire qu'on ne te bouscule pas de nouveau. "

Après tout, elle pouvait encore me croire mal intentionné. Nous tournâmes justement le coin de la rue et passâmes devant le Starbucks rempli de monde à cette heure-ci. Un peu plus loin, cent mètres à peine, je m'arrêtai devant un bar plus tranquille et surtout plus classe.

" C'est ici. "

Bien élevé, je me détachai de la jeune fille et entrai le premier dans le café. Je m'assurai qu'elle me suive avant de demander au serveur une table au calme. Il nous conduisit dans le coin opposé à la porte et je le remerciai quand il nous donna la carte des cocktails. Peu de monde à première vue, une musique actuelle mais douce, tout pour se détendre et passer un bon moment. Les lumières n'étaient pas éblouissantes et je savais les assises moelleuses à souhait. Je m'assis sur la chaise, laissant la banquette à Ae Ri, bien plus confortable, puis me délestais de ma veste. Quand j'eus parcouru la carte des yeux, je souris avec malice.

" Avec ou sans alcool mademoiselle ? "

Je sentais que j'avais de quoi m'amuser avec notre rencontre peu commune...

Je ne réagis pas à son mode de vie. Après tout, je connais quelques personnes comme lui qui hériteront de l’empire familial quoiqu’elles fassent entre temps. Et même si je ne connaissais pas le point de vue de Se Jong là-dessus, je ne me permettrai jamais de juger qui que ce soit pour ce genre de chose. L’important, c’est d’être heureux. Le reste n’a pas d’importance. Je trouve cette information intéressante. Elle m’en apprend un peu sur Hyun Hee, et tout le monde sait que j’aime connaître les gens, même si de mon côté je cache beaucoup de choses. Dans le cas de Hyun Hee, j’ai besoin d’équilibrer un peu les choses, d’en savoir plus sur lui, parce qu’il m’a vue faible.

Une chose est sûre : il a toujours l’air d’avoir envie de me protéger. Pour preuve, il rouspète avant de passer son bras dans mon dos, autour de mes épaules. Je range mes mains dans mes poches pour tromper mon étonnement. Je ne m’attendais toutefois pas à ça. Hyun Hee semble vouloir me rassurer. Je lui lance simplement un regard confiant. Oui, il a toute ma confiance. Il l’a largement méritée. Étrangement, maintenant qu’il m’a rapprochée de lui, les gens font plus attention à moi. C’est agréable de ne pas avoir à faire attention et de ne pas risquer de se faire enguirlander pour l’inattention de quelqu’un d’autre. Je suis presque déçue quand Hyun Hee s’arrête, et moi avec, devant la devanture d’un bar qui effectivement est plus calme que le Starbucks qu’on a dépassé. En fait, cet endroit n’a absolument rien à voir avec l’endroit initialement prévu. J’en déduis que Hyun Hee aime la sophistication. J’aurais du m’en douter compte tenu de la maison dans laquelle je me suis réveillée. Sa tenue aussi aurait détonné dans un Starbucks. Même ses manières n’auraient pas été à leur place là-bas. Enfin soit, je le saurai pour la prochaine fois.

Il entre le premier et je le suis de près. Un serveur nous installe à une table au calme. Hyun Hee s’installe sur la chaise et je prends place en face de lui, observant rapidement l’endroit. L’ambiance est paisible, confortable, intimiste. En le voyant ôter sa veste, je l’imite et me tortille pour enlever mon trench coat puis le poser à côté de moi. Si on était resté sur le plan original, Hyun Hee aurait eu l’air déplacé. Ici, c’est moi qui semble ne pas avoir ma place. Heureusement que je maîtrise mon originalité depuis toujours et que j’ai l’habitude de côtoyer des gens et des milieux différents ! Je me ressaisis rapidement et parcours la carte de mes iris bleus. Quand Hyun Hee m’interroge sur ma préférence, avec ou sans alcool, je le regarde, étonnée.

« Je n’ai pas l’âge légal pour boire. Et vu ce que ça a donné la dernière fois, je crois que je vais m’abstenir pendant très longtemps de boire quoique ce soit d’alcoolisé ! »

Je soupire en cherchant des yeux dans la liste des boissons sans alcool. Hormis les jus de fruit et les smoothies, je ne bois jamais rien. Je lâche la carte des yeux et abandonne mon air sérieux au profit d’un sourire perplexe.

« Tu vas prendre quoi toi ? Je ne sais pas quoi choisir… J’aime bien la limonade, les sirops, et les jus de fruit bien sucrés, mais pour les cocktails, je suis une véritable novice ! Tu me conseillerais quoi toi ? »

Et bien oui, j’ai toujours un problème avec les choix, qu’ils soient capitaux ou totalement futiles. Et puis, je lui fais confiance n’est-ce pas ?

Le regard bleuté d'Ae Ri était tellement surpris à cet instant que je manquai de laisser un rire m'échapper. Je me repris à temps, comptant bien jouer le jeu jusqu'au bout. J'étais de nature moqueuse, mais avec elle je devenais taquin. Rares étaient les personnes que j'appréciaient dans mon entourage. Et même avec mes proches je restais plutôt sérieux. Seulement la nature déridée de celle que j'avais pris sous mon aile m'incitait à être plus ouvert. Cela ne pouvait de toute façon pas me faire de mal.

" Tu vas prendre quoi toi ? Je ne sais pas quoi choisir… J’aime bien la limonade, les sirops, et les jus de fruit bien sucrés, mais pour les cocktails, je suis une véritable novice ! Tu me conseillerais quoi toi ? "

Pour ma part j'aimais les alcools, forts de préférence, alors la carte des softs ne m'avait jamais attiré. Pour la première fois j'y posai un regard dubitatif. Je lus avec attention chaque composition, procédant par élimination. Celui-ci serait trop sucré et celui-là trop amer. Il fallait quelque chose de doux pour mettre un peu de baume sur le coeur fragile qui attendait mon avis. La saveur pourrait lui être inconnue et l'envoûter autant qu'elle la rebuterait, le choix était trop risqué. Peut-être valait-il mieux lui conseiller un diabolo menthe ? Elle semblait avoir des goûts plutôt simples, pourquoi changer ses habitudes ? Mais justement, qui lui ferait son éducation en matière de parfums raffinés ? Je me sentais soudain responsable de son avenir gastronomique, moi qui étais juste à la recherche d'un mélange savant pour une lycéenne. N'importe quoi Hyun Hee. Alors je laissai le choix final à ma compagne.

" Si j'étais toi je prendrais soit l'Affection, soit les Fraises Pétillantes. "

Avais-je besoin d'expliquer mes recommandations ? Ces deux boissons contenaient de la fraise, fruit qui me faisait étrangement penser à la jeune fille. Fondant, sucré, doux certains jours, mais dur et acide si vous ne choisissiez pas bien dans le saladier. Comme cette lueur triste qui passait assez régulièrement dans son regard pour que je puisse la remarquer, comme ce soir où je l'avais rencontrée, contrastant avec le réveil joyeux auquel j'avais eu droit.
Le premier cocktail lui offrirait certainement l'occasion de goûter au canada dry, soda au gingembre qui serait savamment mélangé à la pointe de citron et à la goûte de fraise qui donnerait tout son goût et surtout sa couleur à la boisson. Pour le second, le piquant de la limonade et de l'eau gazeuse relèverait la douce saveur des fraises mixées. La douceur du regard de la jeune femme ou sa personnalité pétillante, voilà ce que je lui conseillais. Elle ne ferait peut-être pas le lien, en tout cas j'aurais fait mon devoir et discipliné ses papilles certainement habituées aux cafés bons marchés du bout de la rue.

Le serveur revenait déjà prendre nos commandes, alors je lui demandai un bonbon, cocktail féminin et surtout rosé afin d'accorder mon verre avec celui d'Ae Ri. J'aurais détesté qu'elle réclame autre chose que de la fraise, ç'aurait gâché l'harmonie de notre table. Mais je ne lui en aurais pas tenu rigueur. Je tendis nos cartes au garçon propre sur lui, attentionné juste comme il le fallait et discret à souhait, puis je revins poser mon regard bienveillant sur la jeune fille, espérant en apprendre un peu plus sur elle aujourd'hui.

Apparemment, ma question le laisse perplexe. Si j’en crois le sérieux avec lequel il regarde la carte, je peux même dire que ma question le perturbe. C’est vrai qu’il ne me connaît pas vraiment et que lorsque nous nous sommes rencontrés, j’étais déjà bien éméchée et j’enchainais les shoots de gin purs. D’ailleurs, dans mes souvenirs, c’est tout simplement mauvais. Bref, il doit donc bien se compliquer la vie pour me trouver un cocktail sans alcool qui puisse être à mon goût. Je m’en veux de lui avoir demandé ça. J’aurais mieux fait de choisir au hasard… Et pourtant, il semble investi d’une mission primordiale. Je trouve ça adorable.

" Si j'étais toi je prendrais soit l'Affection, soit les Fraises Pétillantes. "

Déjà, j’adore les noms ! L’affection, c’est tout en douceur comme nom, donc ça doit être super sucré. Et Fraises Pétillantes, c’est plutôt plein de peps, d’énergie. Donc ça doit piquer. Cela dit, ça ne m’éclaire pas franchement, quoique le deuxième soit plus explicite. Mes iris partent à la recherche des deux noms de cocktail pour en lire la composition sur la liste des cocktails. C’est à mon tour de prendre mon air le plus sérieux pour faire ce choix ô combien difficile. Affection : Canada Dry, citron et fraise. Fraises pétillantes : limonade, eau gazeuse et fraises. Je trouve marrant que les deux cocktails soient à base de fraise. J’aime les fraises, même si je leur préfère les framboises. Est-ce une pure coïncidence ou a-t-il deviné mes goûts ? Ce doit être un hasard. Ou alors je lui ai révélé entre deux verres que j’étais fan de fruits rouges. Comme je n’arrive toujours pas à me souvenir de ce que je lui ai raconté, je n’aurais jamais la réponse à cette question, d’autant plus que j’aime mieux éviter de reparler de ce moment embarrassant. Je fronce les sourcils, lèvres pincées, et relis attentivement les compositions plusieurs fois. Je ne sais vraiment pas quoi prendre… C’est vraiment idiot d’être aussi indécise !

« Bon… Les deux me tentent mais… Allez ! Je prends les Fraises Pétillantes ! J’aime bien le nom ! »

Je referme la carte et la confie à Hyun Hee. Le serveur prend nos commandes et je regrette de n’avoir plus la carte sous les yeux. Je suis d’une incorrigible curiosité, donc entendre le nom de « bonbon » pour un cocktail m’intrigue au plus haut point. Je laisse le serveur repartir avant d’interroger enfin mon compagnon.

« Bonbon ? Il y a vraiment un cocktail alcoolisé qui porte ce nom ? C’est quelque chose du genre Vodka-Tagada ? »

Et bing, l’art et la manière de passer pour une ivrogne de première. Je soupire avant de me reprendre, encore gênée.

« Je n’y ai jamais goûté, hein ! J’essaie juste de deviner ce qu’il peut y avoir dans un cocktail qui s’appelle bonbon. »

A part des bonbons bien évidemment. A moins que ce soit simplement la couleur qui donne à la boisson son nom.

Elle avait l'air tellement sérieuse quand elle cherchait des yeux les compositions des deux cocktails ! A croire que c'était le choix de sa vie. Voilà pourquoi je m'étais pris d'affection pour cette jeune lycéenne : un rien prenait une proportion gigantesque avec elle et ça me plaisait. Elle avait l'air de profiter de chaque instant comme du dernier, ne négligeant aucun détail et rendant chaque moment unique. Elle finit par se décider pour les Fraises Pétillantes. Je trouvais ce choix approprié pour son humeur du jour. Le soir de notre rencontre, je ne lui aurais pas laissé le choix et lui aurais fait boire l'Affection sans hésiter. Mais aujourd'hui elle était souriante, pleine de vie. Si on oubliait la légère absence qu'elle avait eu en chemin.

Le serveur s'en alla avec les cartes et je m'installai plus confortablement sur ma chaise, soupirant d'aise. C'est alors qu'elle me fit partager ses connaissances en matière d'alcool. Elle se rendit d'ailleurs aussitôt compte de son erreur et se reprit de justesse. Cette façon maladroite de se rattraper me fit rire légèrement, malgré moi. Je ne me moquais pas d'elle, j'étais juste attendri par sa façon d'être.

" Il y a bien de la vodka oui. Mais pas de Tagada. Du jus d'orange et de la grenadine. On appelle ça aussi Sunshine. Quand tu seras majeure je te conseille d'y goûter, c'est un cocktail plutôt féminin normalement. "

Mais pour l'harmonie, je me devais de demander quelque chose de rose. Je ne savais pas vraiment quel sujet aborder avec Ae Ri. J'avais peur de faire une gaffe comme tout à l'heure ou de paraître indiscret. Parler de moi n'était pas vraiment mon truc non plus. Du coup j'attendis en silence nos boissons. Pas un de ces silences gênants, plutôt de ceux qu'on savoure et dont chaque seconde nous rapproche de l'autre. Inconsciemment, nous avions créé une bulle autour de nous et nous préservions notre amitié toute neuve. Je me demandai d'ailleurs si on pouvait qualifier ainsi notre relation. Après tout, elle n'était qu'au lycée et je devais surtout passer pour un pedo-hyung à l'heure actuelle. Mais je m'en fichais. Ce que pensaient les autres de moi n'avait pas réellement d'importance et puis je me sentais bien avec elle.

Le serveur nous apporta nos boissons et je le remerciai avant qu'il s'en aille de nouveau. Mon verre était bien plus dilué que celui de ma compagne, cependant il restait rose et s'accordait donc parfaitement avec son homologue sans alcool. Un léger sourire aux lèvres, je levai mon verre et le dirigeai vers celui d'Ae Ri.

" Au printemps qui revient ! "

La plupart des gens en avaient marre de la grisaille et attendaient avec impatience que les températures soient revues à la hausse. Personnellement je me fichais un peu de tout ça. Mais voir le soleil se montrer avec plus d'audace me réchauffait parfois le coeur. Ce dernier n'était pas toujours des plus légers, alors un sourire bienveillant ou un nouveau but ne lui faisait pas de mal. Je souhaitais comprendre ce qui tracassait tant la demoiselle radieuse face à moi. Cela m'intriguait et me préoccupait. Qui pouvait ou avait pu lui faire autant de mal ?

Au moins, je le fais rire. Je me trouve désespérante mais ça semble l’amuser. Je laisse filtrer un air boudeur. Il va falloir que je laisse tomber l’espoir de paraître normal avec lui. J’ai bien peur que ce soit peine perdue. Il faudrait que je me prépare psychologiquement à être un véritable boulet en permanence. Parce que c’est ce que je suis, du moins en sa présence.

" Il y a bien de la vodka oui. Mais pas de Tagada. Du jus d'orange et de la grenadine. On appelle ça aussi Sunshine. Quand tu seras majeure je te conseille d'y goûter, c'est un cocktail plutôt féminin normalement. "

Encore faudrait-il que je sois encore là pour être majeure. Pour cela, il faudrait que je supporte encore longtemps ce qui me bouffe et ça me paraît de plus en plus difficile. Je chasse rapidement cette vague de pessimisme et mes yeux bleus retrouvent leur malice habituelle. Tandis que nous attendons dans un silence auquel je ne suis pas habituée nos boissons, j’observe mon ami. Je me demande s’il est ainsi avec tout le monde et s’il donne cette sensation de confiance à tous ceux qu’il côtoie.

Le serveur revient trop rapidement à mon goût, abimant de sa présence ce moment de calme que j’appréciais. Il pose mes Fraises Pétillantes devant moi et un éclair d’émerveillement illumine tout mon visage. La présentation est adorable. Le bord du verre est sucré, comme je l’adore, et une rondelle de citron ainsi qu’une fraise ont été entaillées pour tenir sur le rebord du verre. Une grosse paille bariolée, du genre de celles qu’on trouve généralement dans les smoothies, est posée juste à côté de mon verre. Avec autant de truc qui me plaisent, il n’y a aucune raison que le cocktail ne soit pas bon ! Je relève ma tête émerveillée pour observer le cocktail de mon ami avec curiosité. C’est moins coloré que le mien que c’est quand même rose. J’aime bien l’idée que nos verres soient assortis. Contrairement à nous, ils ont naturellement des points communs. C’est amusant. Hyun Hee lève son verre et j’insère rapidement ma paille dans le mien avant de le lever à mon tour.

" Au printemps qui revient ! "
« A notre rencontre improbable ! »

Puis je porte la paille à mes lèvres et goûte au cocktail. Les bulles sur ma langue me donnent envie de danser partout et le délicieux goût sucré des fraises est tout doux. Ce mélange paradoxal me plaît vraiment beaucoup. J’ai trouvé ma boisson froide préférée !

« C’est trop bon ! Tu sais quoi, si tu as la patience de me supporter jusque là, tu me conseilleras des cocktails alcoolisés quand je serais majeure ! Et tu me rappelleras le nom de celui que tu bois aujourd’hui. Deux ans et quelques mois, c’est trop long pour que je m’en souvienne ! »

Un sourire espiègle étire mes lèvres avant que je ne me remette à mordre ma lèvre.

« Ca ne veut pas dire que j’ai l’intention de me saouler dès ma majorité… » Bah non puisque j’ai déjà pris une cuite lors de notre première rencontre… Et que j’ai dit que je ne me mettrai plus jamais dans un état pareil… «  Je voulais juste dire que… »

D’une façon détournée, je voulais juste lui signaler que je ne suis pas là simplement parce qu’il a veillé sur moi un soir avec une bienveillance incroyable, ni pour respecter un marché conclu autour d’un petit déjeuner. Je suis là parce que j’ai réellement envie de faire connaissance avec lui et de devenir réellement son amie. Et en même temps, je voulais vérifier si lui se sentait juste responsable de moi pour m’avoir protégée un soir ou s’il a vraiment envie de me connaître. Mais comment dire ça à quelqu’un que je ne connais qu’à peine ?

« Aish, laisse tomber. »

Je gonfle légèrement mes joues d’air avant de soupirer. C’est désespéré.

Ae Ri trinqua à notre rencontre, ce qui me ravit. Je n'avais pas osé pousser trop loin la plaisanterie et la remettre mal à l'aise, mais elle semblait s'être faite à l'idée que je ne la jugerais pas pour si peu. Si ce soir-là elle avait eu besoin de ce mettre dans un état pareil, alors ça ne me regardait pas. Après tout, je n'étais pas du genre à me mêler des affaires des autres. Mais j'avais bien vu, avant que nos verres arrivent, passer de nouveau cette ombre dans ses jolis yeux. Les questions me brûlaient les lèvres. Néanmoins nous ne nous connaissions pas assez et surtout je n'aurais pas l'indélicatesse de la forcer à parler. Cela la mettrait plus mal à l'aise qu'autre chose. C'était intriguant, voilà tout.

Nous bûmes ensemble puis elle exprima son ravissement pour sa boisson. Cela me fit sourire de nouveau. Je fus touché par les mots qu'elle prononça ensuite. Elle ne me voyait pas comme un vieil associable, elle déclarait ouvertement avoir envie de me revoir par la suite et cette fois c'était à mon tour d'être ravi. Je n'avais pas beaucoup d'amis. Je pouvais les compter sur une seule main. Mais cela me suffisait, ça m'avait toujours suffit. Et puis j'avais énormément de mal à accorder ma confiance aux autres, ce qui était un handicap en soi car comment avoir envie de se dévoiler sans que son interlocuteur fasse de même ?

Elle se mit à bafouiller, adorable comme toujours. Mon sourire s'élargit, mes yeux exprimant à peine ma bienveillance à son égard. Doucement je pris sa main dans la mienne par-dessus la table. Elle me demanda de laisser tomber mais je secouai légèrement la tête tandis qu'elle laissait échapper un soupir.

" Je serais très heureux de te donner des conseils. Et j'ai même envie que tu me promettes une chose : ta première cuite légale, tu voudras bien venir la prendre chez moi ? "

Je caressais délicatement le dos de sa main. Elle était toute douce, exactement comme l'image que je me faisais d'Ae Ri. Dès l'instant où je l'avais vu sobre, j'avais senti chez elle cette éternelle volonté de bien faire, de n'embêter personne, de sourire quoi qu'il arrivât. Et je trouvais cela touchant. Lourd à porter aussi. Elle était jeune, vraiment trop jeune pour avoir ce genre de préoccupations. De nouveau j'avais envie de lui demander d'être vraie, de se laisser un peu aller, de pleurer si elle en avait envie et de rire sans s'y sentir obligée. Mais c'était ça la vraie Ae Ri : une jeune fille qui s'efforçait de ne tracasser personne.

Je lâchai sa main, ne voulant pas l'embarrasser. Pour moi rien n'était ambigu, bien sûr c'était une femme ! Je penchai la tête sur le côté pour mieux la regarder, l'air vaguement inquiet.

" Dis-moi, tu es rentrée sans encombre la dernière fois ? Tes parents ne t'ont pas sermonnée ? "

J'y avais pas mal repensé depuis. Elle tenait à ce que je garde le secret et je me doutais bien que ce devait être pour s'épargner des ennuis. J'en avais un peu parlé à Min Hwan, parce qu'il m'avait questionné au sujet de la fille qui avait dormi chez moi - un scoop ! - mais n'avais pas révélé le prénom de la demoiselle. J'étais de toute façon loin de me douter que ces deux-là se connaissaient, encore moins qu'ils étaient proches. La vie est faite de coïncidences que nous prenons pour du hasard quand elles sont des évidences.

Et le voilà qu’il sourit encore en entendant mes vaines tentatives pour me rattraper. Le truc étrange, c’est qu’il a l’air presque attendri. C’est déjà ça, il n’est pas totalement désespéré par ma bêtise. Tout en douceur et sans jamais me lâcher des yeux, il saisit ma main. Je suis un peu surprise par ce contact. Je ne m’y attendais pas du tout.

" Je serais très heureux de te donner des conseils. Et j'ai même envie que tu me promettes une chose : ta première cuite légale, tu voudras bien venir la prendre chez moi ? "

Ca aussi, c’est une surprise. Une vraie de vraie. Je ne m’attendais pas à ce qu’il comprenne ce que j’essayais de dire, mais je m’attendais encore moins à ce qu’il ressente la même chose. Je ne peux pas empêcher un sourire radieux de chasser mon air agacé et contrarié alors que sa main caresse doucement la mienne. Je sais que je devrais enlever ma main mais je n’en ai pas envie. Je suis tactile. Je l’ai toujours été, et je le serai toujours. En général, je me retiens, mais là, c’est lui qui a pris cette initiative et elle me convient parfaitement. Elle scelle en quelque sorte cette nouvelle promesse.

« Avec plaisir ! Il faudra juste que ça n’arrive jamais aux oreilles de mon frère. Il te tuerait pour ça. »

Je ris discrètement tandis que la main de mon ami s’éloigne de la mienne. Puis Hyun Hee m’observe et son regard bienveillant se teinte d’inquiétude.

" Dis-moi, tu es rentrée sans encombre la dernière fois ? Tes parents ne t'ont pas sermonnée ? "

Alors voilà pourquoi il s’inquiète. Décidément, ce gars n’est pas comme les autres. En général, les gens se fichent éperdument de ce genre de choses. Je suis touchée par la question.

« Oui, merci de t’en inquiéter ! Il m’arrive fréquemment de rester dormir chez mon frère ou des amis alors que ce n’était pas prévu. Et ils savaient que je devais passer la soirée avec un ami… Sauf que la soirée ne s’est pas tout à fait terminée comme prévu. »

C’est même un euphémisme… Je soupire discrètement, laissant mes pensées divaguer un peu. Mes parents n’ont jamais été pénibles avec moi, mais depuis la mort de Seo Min, ils sont encore plus laxistes. Comme s’ils étaient bien trop heureux de me savoir encore en vie et de me voir aussi joyeuse pour prendre le temps de m’empêcher de faire des erreurs. J’avale machinalement une gorgée de mon cocktail, revenant à la réalité et prenant le temps d’expliquer à Hyun Hee une partie de ce qui occupe mes pensées, et surtout pour ne pas qu’il croit que je suis le genre de fille qui découche pour aller faire les quatre cent coups.

«  On va dire que mes parents ne sont pas du genre à me traquer et à m’empêcher de faire quoique ce soit… Ils ont confiance en moi, et d’ordinaire, je ne trahis pas leur confiance… Enfin bref. Désolée de t’avoir inquiété. »

Quand il s’agit de parler de moi, je ne suis jamais bien  à l’aise. Je n’aime pas ça. Surtout quand je ne peux pas être honnête. Ca fait s’écailler la carapace que j’ai eu tellement de mal à construire, et ça me rend vulnérable et pathétique.

De nouveau un magnifique sourire, et de nouveau son frère. Décidément, il allait falloir que je me renseigne à son sujet. Seulement je ne pensais pas qu'elle soit très disposée à m'en parler. Cette jeune fille était une énigme pour moi, une énigme sans indice. Car parler d'elle, de son entourage, ne semblait pas être ce qu'elle préférait. Pourtant c'était ainsi que l'on apprenait à connaître les gens, en se dévoilant pour qu'ils en fassent autant, non ?

" Oui, merci de t’en inquiéter ! Il m’arrive fréquemment de rester dormir chez mon frère ou des amis alors que ce n’était pas prévu. Et ils savaient que je devais passer la soirée avec un ami… Sauf que la soirée ne s’est pas tout à fait terminée comme prévu. "

Son regard se fit de nouveau lointain, comme s'il était perdu ailleurs. C'était là le hic. Elle ne voulait pas m'en dire plus seulement ses yeux me criaient de trouver ce qui la mettait dans cet état. Je n'avais nullement oublié la nuit mouvementée que nous avions passé, les confidences incohérentes et les verres qu'elle enchaînait. S'en souvenait-elle ? Si oui, c'était presque de la cruauté de ne pas m'en dire plus. J'étais au moins soulagé d'apprendre qu'elle était rentrée sans encombre. Mes parents m'auraient puni pendant longtemps si j'avais découché de la sorte. Et mon père aurait fait fi de mes mensonges dès qu'il se serait renseigné sur mon réel emploi du temps nocturne. Oh oui il serait allé jusqu'à embaucher des détectives ou autres juste au cas où il aurait fallu faire retirer des photos dans la presse ou assurer ma réputation. Elle revint avec moi mais cette fois elle était moins souriante. Je sentais bien que quelque chose l'embarrassait. Mais j'avais vraiment envie d'en savoir plus. Je devais l'amener à parler sans poser de questions, tout simplement parce que j'aurais trouvé déplacé de m'enquérir si indélicatement de choses qui ne me regardaient pas. Doucement je penchai ma tête sur le côté et pris un air rêveur.

" Quand j'étais enfant je rêvais d'avoir un frère ou une soeur. J'étais souvent seul alors j'imaginais qu'avoir un compagnon de jeu serait formidable... "

J'appliquais la méthode la plus basique pour espérer avoir une bribe d'information, quitte à mentir un peu. Ma solitude ne m'avait jamais étouffé, loin de là. Et un frère aurait surtout été synonyme de concurrence concernant la place de choix qui m'était réservée à la tête de l'entreprise familiale. Ae Ri devait être proche de son frère étant donné la façon dont elle en parlait, alors j'espérais avoir touché un point susceptible de la faire parler un peu.

" S'il avait été plus vieux alors il m'aurait appris plein de choses et m'aurait protégé. Et s'il avait été plus jeune, alors ç'aurait été mon rôle de lui montrer l'exemple. A choisir je crois que j'aurais préféré un frère aîné. "

J'esquissai un petit rire pour souligner la légèreté de mes propos. Si mes souvenirs étaient exacts, son frère était plus âgé qu'elle étant donné qu'il allait à la faculté et habitait hors du domicile familial. Je ne pensais pas m'être trompé. Mon regard revint sur elle en même temps que mon verre retrouvait le chemin de mes lèvres. Allait-elle m'en dire plus ? Un nom peut-être..?

" Quand j'étais enfant je rêvais d'avoir un frère ou une soeur. J'étais souvent seul alors j'imaginais qu'avoir un compagnon de jeu serait formidable... S'il avait été plus vieux alors il m'aurait appris plein de choses et m'aurait protégé. Et s'il avait été plus jeune, alors ç'aurait été mon rôle de lui montrer l'exemple. A choisir je crois que j'aurais préféré un frère aîné. "

Il rit avec légèreté et je laisse aussi mes traits se détendre. Hyun Hee lève un peu le voile sur sa personnalité. Voilà une information sur lui, autre que celle qui fait de lui mon ange gardien. Il est fils unique. Je suppose que sa famille doit être vraiment riche, puisqu’il vit apparemment seul dans une grande et belle maison entretenue par une gouvernante. Enfin, je cesse de l’observer pour revenir au sujet de la conversation.

« Tous les frères et sœurs ne s’entendent pas aussi bien et ne sont pas aussi proches que mon frère et moi le sommes, tu sais ! On partage un lien vraiment très fort, depuis toujours. Et il s’est renforcé quand il a eu un accident alors qu’on était encore enfants. »

Je sens mon cœur se serrer à cette évocation. Les liens fraternels sont souvent enviés par les enfants uniques. Et je comprends pourquoi. Ce que je partage avec Woon est tellement génial que je ne l’échangerai pour rien au monde. Pour moi, c’est tout naturel d’être aussi proche d’Ae Woon que je le suis. C’est normal de craindre pour sa vie, normal d’avoir peur qu’il se ruine la santé en étudiant et en bossant aussi dur qu’il le fait, normal de le protéger des ruines de mon cœur en le fuyant un peu.

« Etre fils unique t’enlève un stress considérable. Tu n’as pas peur de perdre la personne la plus proche de toi. J’ai toujours cette angoisse quand il ne donne pas de nouvelles pendant trop longtemps. J’ai toujours l’impression que chaque moment qu’on passe ensemble peut être le dernier. Les câlins, les sourires, les rares moments où on peut dormir ensembles… Et je sais que lui est aussi perpétuellement inquiet pour moi. Il prend son rôle de protecteur très au sérieux.»

Je recommence à divaguer. Concentre-toi Ri, au lieu d’ennuyer ton ami.

« Du coup, je m’amuse parfois à le taquiner, en lui parlant de garçons qui pourraient me tourner autour. Il part toujours au quart de tour ce babo ! Il voit le mal partout ! C’est pour ça que je ne pourrais jamais lui parler de toi. Il en serait fou ! Tu vois, c’est un des avantages à ne pas avoir de petite sœur ! Il n’y a personne pour te faire tourner en bourrique ! »

Je laisse un petit rire amusé se faire entendre. J’ai beau détester inquiéter Ae Woon, c’est son extrême sollicitude qui m’aide à tenir debout malgré tout. Je regarde Hyun Hee et j’ai l’étrange impression qu’il boit mes paroles. Pourtant, ce que je raconte n’a rien d’intéressant pour les autres. D’autant plus que j’ai quasiment tout sorti d’une seule traite, ne m’arrêtant que pour mieux repartir ensuite.

« Pardonne-moi, j’aime tellement mon frère que je pourrais en parler indéfiniment ! Il y a des sujets sur lesquels il ne faut pas me lancer ! »

D’autant plus que ça me pousse à me dévoiler, à montrer cette part de moi tout sauf indépendante qui me rend extrêmement fragile. Je me battrais toujours jusqu’à la mort, à moins que ça ne risque de blesser ceux que j’aime, à commencer par Ae Woon.

Elle commença à parler, j'avais réussi mon coup et maintenant je recevais une quantité d'informations qui m'enchantait. Je ne savais rien de la demoiselle alors que je m'intéressais sincèrement à elle. Son frère semblait être la personne la plus chère à ses yeux ; je n'étais pas de ceux qui jugent autrui sur ses fréquentations, mais il fallait bien reconnaître que cela apportait souvent quelques lumières sur son interlocuteur.

Elle évoqua un accident, brièvement, sans s'étaler. Etait-ce ce qui la tracassait tant ? Revoyait-elle les images en boucle lorsqu'elle avait ces absences ? Ou bien peut-être cet épisode donnait-il lieu à de nouvelles inquiétudes.

De l'inquiétude, c'était ce qu'il éprouvait pour elle visiblement, ce frère protecteur. Mais elle dans tout ça ? Etait-elle sereine ? Sûrement pas, elle venait de parler de stress.

" Du coup, je m’amuse parfois à le taquiner, en lui parlant de garçons qui pourraient me tourner autour. Il part toujours au quart de tour ce babo ! Il voit le mal partout ! C’est pour ça que je ne pourrais jamais lui parler de toi. Il en serait fou ! Tu vois, c’est un des avantages à ne pas avoir de petite sœur ! Il n’y a personne pour te faire tourner en bourrique ! "

Je me retins difficilement de lui faire remarquer qu'à la place de son frère je serais d'autant plus inquiet si j'apprenais tardivement l'existence de certaines de ses fréquentations. Mais avec une soeur pareille, je me douterais que quelqu'un l'ait prise sous son aile et le décharge légèrement du fardeau qu'il porte depuis tout ce temps. Je ne savais pas ce que c'était d'être en permanence en souci pour une personne. Bien sûr je m’enquérais régulièrement de l'était général de ma meilleure amie, seulement notre lien ne devait pas être assez fort pour que je lui voue une attention trop étouffante.

Elle acheva son monologue sur des excuses, ce qui m'arracha un sourire attendri.

" Au contraire, ça me fait réellement plaisir d'en apprendre un peu sur toi. "

J'étais du genre honnête, je n'allais pas lui cacher la joie que je me faisais de l'entendre divaguer de la sorte. Je repris mon verre et en bus une gorgée avant de le reposer sur la table.

" C'est ce que font les amis, non ? Ils parlent d'eux, ils échangent et ils construisent de nouveaux souvenirs ensemble. Je me trompe ? "

Je n'avais jamais eu beaucoup d'amis mais il me semblait que cette définition primaire était un bon début pour établir les bases d'une amitié. La seule personne avec qui j'avais suivi inconsciemment cette voix était Eden. Mais le sourire de la lycéenne devant moi était bien trop précieux et mystérieux à mes yeux pour décréter qu'il ne valait pas la peine de lui prêter un peu d'attention. Au contraire. Je n'avais pas oublié notre rencontre, ni les larmes, encore moins l'ombre sur le visage rayonnant. Il me brûlait de découvrir ce qui se cachait derrière cette joie forcée, quelque soit le temps que cela prendrait.

" Au contraire, ça me fait réellement plaisir d'en apprendre un peu sur toi. "

Hyun Hee conclut tout en douceur avec un adorable sourire. Il boit, je l’imite, ne sachant plus trop quoi dire. Il veut en apprendre plus sur moi ? Si je continue à m’embourber dans mes paroles, il risque d’en apprendre beaucoup même.

" C'est ce que font les amis, non ? Ils parlent d'eux, ils échangent et ils construisent de nouveaux souvenirs ensemble. Je me trompe ? "
« Non, tu as raison ! Mais pour le moment, ça ne marche que dans un sens. Attention, au bout d’un moment, il va falloir que toi aussi tu me parles un peu de toi, et de ce qui t’a poussé à prendre sous ton aile une ado complètement ivre et déprimée. »

Et vlan, encore les deux pieds dans le plat. Dans une vie antérieure, je devais être la reine Pieds Dans Le Plat. Je ne vois pas d’autre explication à ma manie de m’embarrasser moi-même sans cesse. Je soupire avant d’aspirer dans ma paille, causant un bruit fort désagréable. Ah bah forcément, il fallait que j’ai terminé mon verre… Je grimace adorablement, lâchant au passage un « Oups » désolé. Pourquoi désolé ? Tant parce que le bruit n’est pas très correct ni gracieux que parce que je ne peux pas me détourner de ma gêne. La reine des maladresses. En plus maintenant, je me sens observée. Je tourne la tête un instant pour chasser cette désagréable sensation. Sauf que le résultat n’est pas du tout celui escompté. Mon regard croise celui courroucé d’une dame d’une soixantaine d’années. Je me tasse sur moi-même, articulant une excuse silencieuse. D’accord, le bruit de succion n’était pas très convenable, mais je trouve tout de même extrême de me toiser de la sorte. J’affiche à présent un air désolé et je pose doucement ma main tout près de celle de Hyun Hee en le regardant.

« Dis, Hyun Hee, je crois que j’ai fait quelque chose de mal. La dame sur ta gauche… euh… sur ma gauche… Elle a l’air très contrariée. J’espère que je ne t’ai pas embarrassé pour autant… »

J’ose un nouveau regard vers la dame. Elle n’est plus là. Je soupire de soulagement avant de tourner la tête de l’autre côté pour sursauter brusquement en croisant de nouveau le regard de la vieille très près de nous.

« Qu’êtes-vous donc jeune fille pour agir ainsi ? Une prostituée ? Et vous, Monsieur, n’avez-vous pas honte ? »

Je la fixe, bouche bée, incapable de trouver une quelconque répartie tellement je suis choquée. Alors que je me décompose au fil des instants, je suis le regard de la vieille alors qu’il oscille jusqu’à ma main, si proche de celle de Hyun Hee. C’est ça qui lui court sur le haricot ? Instinctivement, je replie mon poing et éloigne ma main de celle de mon ami, le fixant ensuite, l’air complètement perdu, à la recherche de son soutien. Tout cela ne dure que quelques instants, mais j’ai l’impression que le temps s’étire au-delà de toute limite. Il m’est arrivé des tas de choses, mais ça, c’est une grande première, une première que je suis bien incapable de gérer et qui me donne envie de pleurer.