« Ri ! C’est l’heure de partir, dépêche-toi ! »
J’ouvre mes yeux bleus et m’étire autant que possible sans me faire mal. Je me suis endormie. Encore. Enfin là, c’était inévitable. Je m’endors systématiquement quand je lis, alors quand en plus mes cachets contre la douleur et les anxiolytiques m’assomment, c’est ce qu’on appelle un cocktail explosif. Je me retourne maladroitement en esquivant le livre encore ouvert à côté de moi. Je le referme et le pose sur ma table de cheveux avant de me frotter un peu le visage. Puis je me lève et descends rejoindre Maman, toujours avec la vélocité d’un escargot qui tenterait une traversée du désert. Elle me regarde, l’air désespéré, avant de me recoiffer. J’en profite pour jeter un œil dans le miroir, des fois que les hématomes aient enfin disparus. En vain. Maman arrange l’écharpe qui m’immobilise le bras et nous quittons la maison.
Dans la voiture, nous chantonnons toutes les deux. Maman a des courses à faire et un rendez-vous avec une famille dont elle s’est occupée au travail et elle a accepté que je vienne avec elle, au moins pour les courses. Pour le rendez-vous, j’attendrai dans un café ou dans une boutique. Il y a toujours des gens avec qui causer dans ce genre d’endroits ! Je m’efforce d’être aussi gaie que possible malgré la fatigue et le subterfuge semble prendre puisque Maman ne me couve exceptionnellement pas du regard et arrête de me demander si ça va toutes les dix minutes. Quand enfin nous quittons le véhicule, c’est pour entamer une longue errance au travers des rues commerçantes. Je sais que Maman a des choses précises à acheter et qu’elle ne se balade que pour me permettre de prendre enfin l’air et ça me fait vraiment plaisir. Peut-être a-t-elle fini par comprendre qu’elle ne m’aidait pas en étant tout le temps sur mon dos. Nous faisons quelques achats avant que l’heure ne vienne pour Maman de me laisser.
Mais au lieu de me laisser dans un café, je m’arrange pour qu’elle me quitte devant une boutique que j’aime beaucoup. Un disquaire. La première fois que j’y suis entrée, c’était par un pur hasard dans le but de trouver un cadeau d’anniversaire pour une copine. Et l’employé m’avait intriguée. Il m’a rappelé Li Ming, avec son regard dénué de cette joie qui m’importe depuis toujours. Le seul problème, c’est que ce monsieur Jung est bien plus coriace que le chinois du café ! Manque de bol pour lui, j’ai toujours été une véritable tête de mule dont le seul but dans la vie est de donner de la joie et de répandre le bonheur à travers le monde. Paradoxal quand on sait que je suis un champ de ruine ambulant, mais ça, j’arrive toujours à le cacher. Du coup, je viens de temps en temps lui faire un petit coucou, dans l’espoir de lui arracher quelques sourires sincères et, qui sait, peut-être un petit rire !
La cloche retentit quand je pénètre dans la boutique, immédiatement suivie par les salutations polies du vendeur. Alors qu’il se rend compte de qui vient de passer le pas de la porte, je lui adresse un petit coucou de mon bras valide. J’avoue espérer qu’en me voyant dans l’état dans lequel je suis, il cèdera un peu de terrain. Pour autant, je ne lâche pas mon habituel sourire. Ce serait peut-être plus crédible sans, mais il ne me quitte jamais en public.
« Bonjour ! Vous allez bien ? »
Sans attendre vraiment de réponse, je m’avance dans la boutique et m’en vais parcourir du regard le bac des nouveautés. J’offrirais bien un CD à Eun Ae… Tiens ! Voilà un bon moyen d’engager la conversation !
« Promis, je ne suis pas venue uniquement pour vous embêter aujourd’hui ! Je cherche un cd à offrir à ma cousine, mais je suis en panne d’idées ! »
Je me retrouve maintenant face à lui, mon visage toujours marqué par les hématomes affichant désormais son air le plus mignon.
« Vous voulez bien m’aider, dîtes ? En plus je ne peux pas chercher correctement à cause de mon épaule luxée… »
S’il résiste à ça, je lui sors les larmes. Il en faut peu en ce moment pour me faire craquer.