Que le jeu commence ~ Nam Ha Neul & Won Lee Yum 13 mars 2013 Point de vue externe. 17 ans. Lorsque la sonnerie annonçant la fin du cours se mit à retentir dans le couloir, Lee Yum se redressa de la table sur laquelle il était avachi, quelque peu léthargique. Durant toute l’heure, le jeune homme n’avait fait que somnoler, ne prenant pas le soin de recopier ce que leur avait dicté le professeur. Celui-ci semblait d’ailleurs avoir abandonné l’idée de le faire travailler en classe. Comme beaucoup d’autres de ses collègues, il devait le considérer comme une cause perdue d’avance. Cela importait bien peu Lee Yum. Il n’avait jamais eu pour but de réussir dans le milieu scolaire et n’y était que par pure obligation… Sincèrement, il n’aimait pas les cours. Non, on pouvait même dire qu’il détestait cela et ce depuis son plus jeune âge. De l’école élémentaire au lycée, il n’avait jamais pu les apprécier. C’était tout simplement soporifique, indigne d’intérêt. « Les diplômes font tous » ne cessait-on de lui répéter, en vain. Il savait parfaitement qu’il n’était pas fait pour les études et se fichait bien qu’on le traite de moins que rien. Non pas qu’il était trop stupide pour cela, mais il n’en avait pas la motivation. Et ce n’était pas comme s’il avait de quelconques parents derrière lui pour le pousser sur cette voie… Il n’avait personne à rendre fier, personne à qui prouver qu’il pourrait un jour réussir tout ce qu’il entreprenait. Mais ce qu’il détestait par-dessus tout, dans ce fameux système scolaire, c’était bel et bien les autres. Peu importe où il se trouvait dans l’enceinte du bâtiment, il n’arrivait jamais à être seul. Il y avait du monde partout. Toujours et encore du monde. Ce « monde » qui le révulsait tant… Il se saisit de sa sacoche et en passa la sangle sur une de ses épaules. Il regarda distraitement l’heure qu’affichait le cadran de l’horloge, suspendu au-dessus de la porte ; 11h05. Il lui restait bien deux heures avant le prochain cours et n’avait pas la moindre envie de se rendre au réfectoire pour y prendre son déjeuner. C’est donc automatiquement qu’il sortit de la salle, se dirigeant vers le seul et unique endroit qu’il appréciait sur le campus ; la bibliothèque. Point de vue interne. 17 ans. Lors de ma pause de midi, j’aimais me rendre à la bibliothèque, l’un des rares endroits où je pouvais avoir un semblant de paix. Il n’y avait qu’une poignée de personnes qui s’y rendaient et, pour la plupart, elles étaient incroyablement silencieuses. Lorsque je me rendais là-bas, il y avait toujours un calme religieux et serein. Un calme bien loin de l’effervescence habituelle qui était plus qu’omniprésente au sein du bahut. Un calme qui me faisait le plus grand bien. Comme j’en avais l’habitude, je me postais à une des tables placées près de la fenêtre, observant les étudiants qui sortaient dans la cour avec agitation. Etre parmi eux et vivre de la sorte m’était déplaisant, sans aucun doute parce que je savais pertinemment que peu importe les efforts que je faisais, je n’étais et ne serais jamais comme eux. Parce que j’étais « différent ». Et, inconsciemment, cela me révoltait. M’énervait profondément. Me dégoûtait. Alors que je me morfondais dans des pensées qui étaient absolument tout sauf positive, je n’entendis pas tout de suite la voix qui m’appelait. Ce n’est que lorsque je sentis quelqu’un me toucher à l’épaule que je levais les yeux vers la personne qui tentait de me parler. -Heum…Lee Yum ? -Quoi ? C’était une fille de mon âge, celle-ci me semblait d’ailleurs vaguement familière. Elle hésitait à me parler, je pouvais facilement le lire sur son visage. Je savais parfaitement que les autres n’étaient pas à l’aise en ma présence, qu’inévitablement je les dérangeais. C’était un fait plus ou moins réciproque, bien que je n’éprouvais aucune gêne directe à leur égard. Ils m’indifférenciaient tous, ni plus ni moins, tous autant qu’ils étaient. -Quelqu’un voudrait te voir… Ah. Je m’en souvenais à présent. C’était une fille de ma classe. -Qui ça ?demandais-je, reportant mon regard vers la fenêtre, totalement désintéressé. -Nam Ha Neul…Elle aimerait que…que tu la rejoignes dans une heure près du grand cerisier sur le campus…bredouilla-t-elle. J’haussais un sourcil, essayant de mettre un visage sur ce nom qui, après quelques secondes de réflexion, m’apparut comme m’étant inconnu. -Je ne sais pas qui c’est. Et puis ça ne m’intéresse pas, tu pourras lui dire que je ne viendrai pas. Elle sembla hésiter un instant avant de me répondre. -Elle…elle m’a aussi dit de te dire, au cas où tu répondrais négativement, qu’elle connaissait ton secret. Ne t’inquiète pas…je…elle ne m’a rien dit de plus ! Je ne sais pas de quoi elle parle… Je me figeais instantanément. Que venait-elle de dire ? Mon regard se reporta immédiatement sur elle tandis que mon cœur s’affola légèrement. Le secret dont elle parlait… -Je..je vais y aller ! N’oublie pas, dans une heure sous le cerisier !me rappela-t-elle avant de quitter la bibliothèque, me laissant totalement interdit. Je passais fiévreusement une main dans mes cheveux, réfléchissant à toute allure. C’était impossible. Personne ne pouvait le savoir hormis mes donneurs…et cette fille n’en faisait pas partie. Oui, c’était tout simplement impossible. Elle avait dit cela au hasard, et savait que si quelque chose me pesait sur la conscience, je viendrai. C’était juste du hasard, rien de plus. Elle bluffait. Elle bluffait sûrement… Je ne savais pas pourquoi est-ce que j’étais venu. Je n’en savais strictement rien. Bien que je ne voulais me l’avouer, une part de moi était comme terrifiée. Comme si j’avais peur. Et c’était peut-être réellement le cas. C’était ridicule, complètement stupide de ma part. Nous n’avions peur que lorsque nous étions retenus par quelque chose. Or, dans mon car, rien ne semblait me retenir. Plus rien ne m’importait… Alors pourquoi le fait que quelqu’un connaissait ma nature me dérangeait tant ?... Je n’avais pas de réponse à cette question. Absolument aucune… Je soupirai une dernière fois avant de m’avancer vers la silhouette qui se profilait sous l’immense cerisier. C’était belle et bien une fille, mais je ne pus distinguer son visage car elle me tournait le dos. -C’est toi, Nam Ha Neul ?lui demandais-je avant de m’arrêter à quelques mètres d’elle. Je ne sais pas ce que tu me veux, mais explique toi.

Que le jeu commence ~ Nam Ha Neul & Won Lee Yum Point de vue interne. 17 ans. Il n’y avait que peu de choses qui étaient susceptibles de me rendre anxieux. Très peu de choses même. Et pourtant, en ce moment même, j’étais angoissé. Véritablement angoissé. La facilité avec laquelle un seul mot m’avait mis en déroute me désespérait. Il n’avait fallu que d’un seul et unique mot pour susciter en moi un certain tourment. La simple mention de mon « secret »… Un secret que j’haïssais tant. Elle se retourna vers moi alors que je lui adressais la parole, un sourire rayonnant aux lèvres. Un sourire qui ne m’inspirait aucune chaleur, qui sonnait faux. Un sourire que je devinais sans grand mal artificiel et que je ne pouvais m’empêcher d’abhorrer. Cette fille ne m’inspirait absolument rien de positif… Je la détaillais rapidement, m’attardant un instant sur son visage. Comme je le pensais, je ne l’avais jamais vu auparavant. Je ne la connaissais pas, elle ne pouvait donc pas être un de mes donneurs… -Elle t’a fait passer le message alors ? Je me demandais si tu allais venir … Parce qu’après tout, tu aurais très bien pu m’ignorer, et tant pis pour ton secret, répondit-elle en insistant particulièrement sur le dernier mot. Mais tu as fait le bon choix en venant ici. Ma mâchoire se crispa sensiblement. Elle semblait vraiment sûre d’elle. Peut-être même trop. Il était donc fort peu probable qu’il ne s’agissait qu’un simple coup de bluff… Rien qu’en l’ayant entendu une seule fois, j’avais l’impression de déjà cerner son caractère. Prétentieux, arrogant. Et surtout, détestable. Elle se rapprocha aussitôt de moi et m’examina sans aucune gêne de la tête aux pieds. Son attitude m’aurait sans aucun doute fait sourire si je n’étais pas dans une telle situation et aussi tendu. D’ordinaire, les gens ne me regardaient que très peu et semblaient m’éviter tout autant qu’ils le pouvaient. J’en faisais de même, après tout. Se collant presque contre moi, elle me chuchota à l’oreille d’une voix enjôleuse. -Tu es très mignon, tu le sais, ça ? Je réprimais avec difficulté une grimace. J’avais particulièrement horreur des gens comme elle… De plus, j’avais la sérieuse impression qu’elle se foutait ouvertement de moi. Elle se pensait donc si supérieure au point d’ignorer totalement ma question et de renchérir sur un autre sujet ? Sujet que je trouvais totalement puéril, au passage. Je m’écartais franchement d’elle, ignorant sa remarque. Je n’étais pas d’humeur à jouer. Surtout pas maintenant. Et surtout pas avec elle. Pour tout avouer, elle ne m’intéressait pas le moins du monde, comme c’était le cas pour n’importe qui. Je ne pouvais pas entretenir de quelconque lien avec les autres si ce n’était qu’avec mes donneurs, et encore… Nous n’étions que des inconnus rassemblés par la force des choses. Oui, je ne pouvais définitivement pas être proche de quelqu’un. Ou disons plutôt que je ne le voulais pas. Je le refusais même… -Tu pourrais arrêter de dévier le sujet et répondre à ma question ?soupirais-je. Qu’est-ce que tu sais vraiment ? J’hésitais un instant avant de continuer. Ce n’était pas la bonne question à poser. Elle devait le savoir ; son comportement semblait clairement le sous-entendre. Ce n'était pas une simple supposition de sa part, des paroles basées sur une hypothèse peu tangible. Elle savait tout. Parfaitement. Mais pourquoi ? Et surtout…comment ? -Non…comment le sais-tu, plutôt ? Et pourquoi est-ce que tu voulais me voir ?rectifiais-je d’une voix impassible qui contrastait fortement avec la façon dont je me sentais. En effet, des tas de questions s’enchaînaient à la suite dans mon esprit, provoquant un début de migraine. Un de mes donneurs n’aurait pas su tenir sa langue ?...

Que le jeu commence ~ Nam Ha Neul & Won Lee Yum Point de vue interne. 17 ans. Elle eut de nouveau un sourire. Non pas un sourire hypocrite, comme celui qu’elle venait de m’offrir précédemment, mais un sourire espiègle. Le même sourire qu’abordaient les gamins avant de commettre une mauvaise farce. Un sourire effrayant. Cette fille, Ha Neul, ne m’inspirait rien de plus qu’un mauvais pressentiment. Elle semblait vouloir s’amuser et, visiblement, était parfaitement douée pour ce genre de chose. Je soupirai intérieurement. Oui, je détestais vraiment les personnes comme elles, surtout son petit air suffisant et supérieur. - Comment je le sais ? Hum …commença-t-elle. Elle marqua une courte pause, faisant mine de réfléchir à ma question, avant de finalement lâcher : -On s’en fiche, non ? Tu es un Twao. Et ça a l’air de t’embêter autant que moi. Sinon tu ne serais pas venu, n’est-ce pas ? Bien sûr. C’était trop beau pour être vrai. Comment cela aurait-il pu être si simple ? A vrai dire, je n’en attendais pas moins d’elle… Donc, effectivement, elle savait qui j’étais. Très bien, même. Je notais au passage son « autant que moi » ; que voulait-elle entendre par là ? Cela me dérangeait, certes. Plus que tout autre chose, même. Mais en quoi cela la dérangeait-elle ? Ce n’était pas comme si nous étions proches d’une quelconque façon, nous venions tout juste de « faire connaissance ». Je m’en serais volontiers passé, d’ailleurs… Elle se mit à rire et m’approcha encore. Je la regardais blasé et méfiant à la fois. Blasé, parce que je ne trouvais en aucun cas la situation drôle et que son comportement de fillette gâtée commençait sérieusement à me taper sur le système, et méfiant car je ne savais vraiment pas à quoi m’attendre venant de sa part. Elle épousseta mon uniforme aux niveaux des épaules et me susurra : - A ton avis, Won Lee Yum, qu’est-ce que je pourrais vouloir obtenir de toi ? Le ton qu’elle avait employé me donna des frissons de répulsions. J’avais plus ou moins compris le message qu’elle tentait de me faire passer et pensais avoir été très clair dans le mien : même pas en rêve. Je soupirai profondément, ne me donnant pas la peine de cacher mon agacement. Elle n’aurait pas pu s’attaquer à quelqu’un d’autre moi ?... J’étais prêt à parier n’importe quoi qu’une tonne de garçons auraient payé cher rien que pour être à ma place. Mais manque de bol, ce n’était pas mon cas. -A mon avis, Nam Ha Neul, rien que je ne sois susceptible de t’accorder, répondis-je sur un ton cassant. Je passais une main dans ma nuque, remonté. Au final, j’avais eu peur pour rien. Cette fille cherchait juste quelqu’un avec qui batifoler et, je ne sais pas pourquoi, son choix s’était porté sur moi. Et dire qu’elle avait réussi à me donner une migraine… « Journée de merde »pensais-je avec dépits. Je tournais la tête, regardant en direction du réfectoire. Il ne me restait plus qu’une petite heure avant de reprendre les cours et je n’avais toujours rien mangé…quelle plaie. Elle n’avait rien fait de plus que de me faire perdre mon temps. -Bon, eh bien si c’est juste pour me dire ça que tu m’as fait venir, j’imagine que je peux partir ? J’ai pas de temps pour ce genre de chose, tu devrais penser à te trouver quelqu’un d’autre. Je me détournais d’elle, m’apprêtant à partir. Elle ne me dirait pas d’où elle le savait, j’en étais sûr. Alors à quoi bon m’épuiser inutilement ? Tant qu’elle se contentait de tenir sa langue… Tenir sa langue… …merde.

Que le jeu commence ~ Nam Ha Neul & Won Lee Yum Point de vue interne. 17 ans. Il eut un horrible moment de flottement où mon cerveau tourna à plein régime, accentuant la migraine qui me gagnait avec de plus en plus d’ardeur. Pourquoi cela ne m’était-il pas apparu plus tôt ?... Il était tout bonnement évident que cette garce –à défaut de trouver un mot approprié plus décent…- n’allait pas sagement me laisser repartir. J’en avais pourtant entendu plus qu’il n’en fallait pour remarquer cette évidence… Sa voix, qui m’était à présent bien plus qu’insupportable, s’éleva derrière moi sur une note légère et incroyablement malsaine. - Tu n’as pas oublié que je savais des choses, n’est-ce pas ? Ou plus précisément … Que je savais une chose. Il se pourrait qu’un jour, j’en parle à quelqu’un, sans faire exprès. Et puis cette personne en parlerait à une autre. Et ainsi de suite. Tu vois le principe ? Je me retournais vers elle, lui jetant un regard noir. Une véritable garce, je ne voyais rien d’autre que cela. Elle s’inspecta les ongles tout en frottant dessus, semblant vouloir redonner de l’éclat à son vernis avant de reprendre : - … Evidemment, ce serait dommage que cela arrive. Vraiment dommage. Mais je peux faire attention à mes propos, et essayer de me retenir de le dire à tout le monde. Mais cela implique quelques conditions, évidemment. Elle eut une moue faussement affligée qui eut pour effet de m’agacer encore plus. Il fallait croire que Ha Neul avait l’incroyable don de m’énerver en ouvrant simplement la bouche. Si j’avais été dans la mesure de faire preuve de cynisme malgré mon irritation, je l’aurais sans aucun doute applaudi. Mais je n’étais ni d’humeur ni capable de cela. - Peut-être pourrait-on parler ensemble de ces conditions au réfectoire, devant un bon plat et … En tête-à-tête ? Enfin, si tu es d'accord, évidemment, ajouta-t-elle encore. Je réprimais mon envie de rire. Mon avis comptait-il vraiment ? Elle décidait donc de me faire chanter pour arriver à ses fins ? Qu’elle fille écœurante…mais cela ne m’étonnait pas le moins du monde venant de sa part. Je fus tenté de tourner les talons et de repartir en direction du réfectoire, ignorant royalement les menaces qu’elle venait si subtilement de me lancer. J’en fus incroyablement tenté, même. Mais une part de moi restait comme figée, paralysée à l’hypothèse même que ma « différence » fût révélée. Ô combien même je ne voulais porter d’intérêt à cela, j’en étais totalement incapable. Je ne voulais pas que cela se sache et ce sous aucun prétexte. Jamais. Je ne voulais plus jamais avoir à revivre cela. Je n’étais pas quelqu’un qui assumait parfaitement sa nature et qui se fichait éperdument de ceux que les autres pouvaient penser de lui. Non, je n’étais pas ce type de personne. Et je savais que je ne le serais jamais. Être un Twao se révélait être pour moi un véritable fardeau. Une honte. Ainsi qu’une faiblesse… Une faiblesse que je ne voulais pas exposer, que cela soit chez mes semblables ou non. Personne hormis mes quelques Donneurs ne devait le savoir. Pendant une fraction de seconde, je fus totalement tétanisé, me remémorant un passé lointain qui aurait dû être éradiqué depuis fort longtemps… Reprenant mes esprits, je battis plusieurs fois des paupières, reportant mon attention vers ma si charmante interlocutrice. Je tentais de calmer les battements sourds et affolés de mon cœur avant d’expirer longuement. Je ne pouvais pas me permettre de me laisser aller à de telles pensées. Malheureusement pour moi, je ne voyais aucune autre solution que de jouer à son petit jeu...et c’était à contrecœur. Etant à présent un peu plus serein qu’auparavant –et m’étant fait violence pour stopper la vague d’irritation qui montait de plus en plus en moi- j’affrontais directement son regard, la fixant droit dans les yeux. Il n’y avait pas à passer par quatre chemins, ni à tenter de trouver une échappatoire. Je ferai ce qu’elle me demandait, même si cela me répugnait à un point inimaginable… - Demandé avec tant de gentillesse, je me demande comment je pourrai refuser…répondis-je sur un air railleur. Je me rapprochais d’elle -ce fut bien la première fois…- et la toisais avec une froideur évidente. - Mais que cela soit bien clair ; tu me dégoûtes tout particulièrement et je suis persuadé de te détester comme personne. Alors même si je joue à ton jeu stupide, il y a des limites à ne pas franchir. Je marquais une courte pause avant de reprendre : - Malgré le fait que tu mènes une bonne majorité d’hommes par le bout du nez, tu devrais aussi savoir qu’ils ne sont pas tous inoffensifs…surtout pas face à une jeune fille comme toi. J’eus à mon tour un sourire faux. Je n’étais certes pas aussi méprisable et écœurant qu’elle, mais je n’hésiterai pas une seule seconde à mettre mes menaces à l’œuvre si elle allait trop loin…

Que le jeu commence ~ Nam Ha Neul & Won Lee Yum Point de vue interne. 17 ans. Elle baissa soudainement la tête, comme intimidé par le regard haineux que je venais de lui lancer. Nam Ha Neul, intimidée ? On en découvrait, des choses… Elle sembla se ressaisir aussitôt, affichant l’air déterminé qu’à présent je connaissais si bien. Peu importe ce que je lui disais –et avouons-le, il y avait plus tendre- elle n’en était pas pour autant ébranlée. Je ne la voyais qu’exclusivement comme une enfant gâtée qui tapait du pied lorsque quelque chose lui déplaisait, mais il semblait que je me trompais sur ce point. Elle restait calme et usait de paroles sournoises plutôt que de me menacer directement…ce qui m’était peu rassurant. Cette fille savait très bien où elle allait et encore plus comment obtenir ce qu’elle voulait. Elle était même farouchement déterminée… J’étais persuadé qu’elle avait perçu les menaces dans mes dernières paroles, mais elle n’eut pas la réaction souhaitée. C’était plutôt même le contraire…elle se mit à sourire. Un petit sourire satisfait. Un sourire qui, encore une fois, m’était bien peu tranquillisant. - Crois-tu vraiment que je n’ai aucune manière ? Je sais prendre soin de ceux qui en font de même pour moi … Si tu vois ce que je veux dire, me répondit-elle sur le même petit ton déplaisant et doucereux. Au moins, les choses étaient fixées ; elle n’avait pas peur de moi. Et elle était totalement capable de se venger si je tentais quoi que ce soit. Bien. Mais même si elle dictait les règles de ce jeu et pouvait décider à tout instant que pour moi la partie était finie, je ne resterais pas non plus sans rien faire. C’était donc bel et bien du donnant donnant. Elle eut comme une brève absence avant de sourire une nouvelle fois. Et ce n’était pas un sourire mesquin et suffisant. Il s’agissait d’un vrai sourire. Quelque chose de sincère. - En fait ... Je t’aime bien, tu sais. Tu as l’air de vraiment détester ta nature. Je pense comprendre ce que tu ressens. J’haussai un sourcil, profondément choqué. C’était quoi ce brusque changement d’attitude ?... Sitôt elle me disait qu’elle était tout à fait capable de foutre en l’air ma vie sociale –quoique sociale était un bien grand mot- sitôt elle me disait qu’elle m’aimait bien. J’avais un peu de mal à suivre… La suite de ses paroles m’étonna tout autant. Elle comprenait ce que je ressentais ? Voulait-elle dire par là qu’elle comprenait pourquoi j’haïssais tant ce qui étaient mes semblables ? Ou voulait-elle parler d’autre chose ?... Quelque chose de plus profond…plus douloureux… Elle marqua une pause, puis reprit : - Je ne peux que bien t’aimer pour ça. Et puis, ça nous fait un point commun, non ? J’eus l’irrépressible envie de rire. C’était ridicule. Totalement et indéniablement ridicule. Elle et moi, un point commun ? …Comment pouvait-elle se permettre de dire cela ? Nous n’avions strictement rien en commun. Rien. J’avais mes propres raisons de maudire le gêne qui m’avait été imposé et qui régulerait ma vie jusqu’à sa fin, et elle les siennes. Mais j’étais certain qu’elles étaient différentes. Les siennes ne changeaient sûrement pas de celles des autres, de tout le commun des mortels, ces gens « biens » et trop « parfaits » pour nous côtoyer, nous les « monstres », les « erreurs de la nature ». Oui, elle ne devait en aucun cas être différente d’eux tous…de tous ces gens que je détestais tant…comme ma mère. Alors elle n’avait pas à me dire que nous avions ne serait-ce qu’un point commun. Et surtout pas celui-là. - Tu m’aimes bien ? C’est vachement paradoxal pour quelqu’un qui prend un malin plaisir à me montrer sa supériorité en me faisant chanter de la sorte, lui fis-je remarquer sur un ton sarcastique et indéniablement irrité. Passant une main dans mes cheveux je posais à nouveau mon regard sur elle, plus énervé que jamais. - Nous n’avons absolument rien en commun, compris ? Tu ne sais rien de moi et je ne pense pas que tu puisses comprendre ne serait-ce qu’un seul instant ce que je ressens…surtout pas quelqu’un comme toi. Mon ton était froid, glacial. Elle devait bien comprendre une chose ; elle pouvait s’amuser avec moi comme elle le voulait, mais en aucun cas elle ne devait s’attendre à autre chose de ma part. Je me devais de lui obéir pour protéger mon secret, il n’y avait rien de plus. Pour moi, elle représentait juste une source d’agacement continu. Je ne pourrai jamais la voir d’une autre façon que cela. J’en étais certain. - Je m’en fous totalement, que tu m’aimes ou pas je te déteste. Alors essaye bien d’imprimer ceci, Ha Neul : tu ne peux pas avoir et le beurre, et l’argent du beurre. Si je suis encore ici à te parler c’est uniquement à cause de ton chantage stupide et rien d’autre. Ne vas pas t’imaginer un seul instant que je puisse t’apprécier en retour et que je nous trouve une quelconque ressemblance. Je te vois seulement comme une garce, compris ? C’était peut-être un peu fort, mais au moins elle comprenait le fond de ma pensée.