Ce que le miroir reflète quand je me présente face à lui ? Une belle petite gueule d’ange à croquer, pas vrai ? Je n’ai pas à vous contredire sur ce point-là : on m’a souvent flatté sur mon apparence. Malheureusement pour moi, je ne suis que Min Hyeon le mignon. Quel ironique jeu de mots, n’est-ce pas... Mais j’en conviens, cela aurait pu être pire : j’aurais pu naître laid. Vous trouvez que je ne mâche pas mes mots ? Je ne crois pas avoir dit être aussi angélique que je n’y parais. Certains de mes proches m’ont déjà fait remarquer qu’une « étincelle de fourberie luisait au coin de mes yeux ». Leurs mots, pas les miens. Beaucoup sont étonnés par les tons noisette de mes iris. Il est vrai que, pour un Coréen, cette couleur est plutôt inhabituelle. Ce qu’ils ne savent pas, c’est que ce sont des lentilles. Hé oui : des lentilles colorées que je porte par simple caprice d’esthétique. Qu’y a-t-il de mal à ça ? On admire mes yeux rieurs, mais je ne ris que de façade. Je sais aussi très bien falsifier les... Vous savez, quand vous étirez les lèvres et que vous avez l’air un peu stupide... Ah ! Les sourires. Il parait qu’ils sont une arme essentielle qui vous sort de quelques situations délicates, ou vous permet de créer des liens sociaux.

Quoi, si la couleur de mes cheveux est naturelle ? Je ne pense pas avoir déjà vu un Coréen avec les cheveux aussi clairs ! Et même si j’ai beau être un Twao, je n’ai pas non plus la faculté de changer de teinte à ma guise, de ma propre volonté. Ce serait pas mal, n’empêche : ça m’éviterait de dépenser autant d’argent à chaque fois que je vais chez le coiffeur. J’en change souvent, d’ailleurs, car ils ont du mal à comprendre ce que je veux vraiment. Tenez : une fois, je suis ressorti avec une espèce de coupe au bol monstrueuse. Je crois que c’était la pire période de ma vie, sans rire ! J’ai dû porter des casquettes quand je sortais, heureusement que c’était en plein pendant les vacances d’été. Et heureusement aussi que j’ai un goût inné pour les vêtements. Si tel n’avait pas été le cas, je n’aurais rien eu pour dissimuler cette horreur. Bon, d’accord : j’ai des goûts un peu spéciaux. J’aime tout ce qui est excentrique, tape-à-l’oeil et novateur. Parfois, je fais dans le simple... Mais il y a toujours un petit accessoire au moins pour apporter une touche d’originalité.

Que les choses soient claires : je suis de ceux qui pensent que l’apparence a un rôle magistral dans notre société actuelle. Il faut toujours être bien propre sur soi pour être accepté n’importe où. Mon père m’a appris à me tenir droit pour avoir une allure humble et respectable. C’est un grand homme, vous savez. Un peu sévère, mais il le faut bien pour se faire respecter. Quand je dis « grand », je parle non seulement de sa personnalité, mais aussi de sa taille. Il doit faire un bon mètre quatre-vingt, et je crois que j’ai hérité de ses gênes à lui. A ma dernière mesure chez le médecin, on m’a affirmé que je faisais très exactement un mètre quatre-vingt deux. Je ne dévoilerai pas mon poids; après tout, c’est indiscret et malpoli de le demander, n’est-ce pas ? Oh non, je n’en ai pas honte ! Je ne suis pas gros, et je n’ai pas non plus la graisse qui déborde de mon tee-shirt. Un indice : je fais du M. Mais c’est tout ce que vous saurez. Quoi ? Mais non, je ne suis pas non plus maigre ! Vous imaginez un peu le spaghetti que je serais, si j’étais maigrichon ? Disons que je m’entretiens. Je n’irai pas jusqu’à dire que je suis sportif, non, c’est vraiment trop fatiguant de faire du sport. Mais au moins une fois par semaine, je vais faire du basket. Vous me direz, avec ma taille ce n’est pas étonnant que j’aie choisi ce sport ! Mais au moins, ça me permet de me muscler, et les échauffements m’ont sculpté quelques abdominaux dont je ne suis pas peu fier.

Je pense que cette description est assez complète, mais si j'ai omis quelques détails, je vous autorise à me contempler autant que vous le désirez.

Ce qui se passe dans ma tête ? Difficile à savoir. Moi-même, j’ai du mal à suivre... Je crois que tout le monde s’accorde pour dire que je suis un « sale gosse ». C’est l’expression que j’entends le plus me concernant. Un sale gosse derrière ses traits angéliques. Ce qui les dérange, c’est que je sois aussi cassant et que je dise toutes les choses qui me passent par l’esprit. N’est-ce pas comme ça que ça fonctionne, en vrai ? Je ne vois pas où est le problème : au moins, les gens savent directement à quoi s’attendre et quelle idée je me fais sur leur personne. Mon père me dit que je suis trop franc, et que certaines choses ne sont pas faites pour être énoncées à haute voix... Je crois que je ne peux pas m’en empêcher, comme si ça devait sortir sinon je n’aurais pas la conscience tranquille, vous voyez ? De ce fait, je m’attire pas mal d’ennuis... Je pense que je l’ai mérité. Les filles me craignent et les garçons ont toujours envie de me passer à tabac.

A part ça, je suis plutôt social, hein ! Je veux dire, mise à part une bande de lèche-bottes qui me colle aux fesses et me cire les pompes pour s’attirer mes faveurs, j’ai quelques vrais amis. Bon, pas beaucoup, c’est vrai. Mais je ne m’en plains pas : au moins, ce sont les seuls qui m’acceptent comme je suis. Et je suis un enquiquineur, pour parler poliment. Par contre, avec mes amis, ce n’est pas vraiment la même chose. Certes, je passe mon temps à les taquiner et à chercher le petit truc pour les embêter... Mais c’est affectueux, et pas bien méchant. Enfin, ils me disent souvent que parfois je dépasse les bornes. Et comme j’ai du mal à m’excuser auprès des gens, j’essaie de me rattraper en les faisant rire. J’aime bien faire l’idiot, devant eux. Ils sont un bon public pour quelqu’un comme moi, qui ne peut pas s’empêcher de faire des pitreries. Et puis, ils entrent souvent dans mon jeu, surtout quand on commence à dévier vers un sujet un peu plus... Enfin, vous savez, quand on fait des blagues douteuses à gros sous-entendus. Il ne faut pas être trop coincé si vous vous adressez à moi : vous risquez d’être un peu déstabilisés par mon manque de tact.

Mon psychiatre me dit que j’agis comme ça parce que je ne veux pas dévoiler mes faiblesses. D’un côté, il n’a pas tort. Je tiens à me montrer fort dans n’importe quelle situation, parce qu’il y a une partie de moi que je ne supporte pas. Ah, je ne parle pas du fait que je sois Twao ! J’y reviendrai plus tard. Je faisais plutôt allusion à une sorte de dérèglement mental. Mais je n’ai pas vraiment envie d’en parler. Il faudrait que je vous raconte une période de mon histoire que je n’ai pas vraiment envie d’évoquer pour le moment. Cette faiblesse-là, je ne la laisse s’exprimer qu’à l’abri des regards, le plus souvent quand je suis seul chez moi, ou alors la nuit dans mon lit. Quand personne ne peut me surprendre, en somme.

Sinon, mes parents ont toujours regretté que je sois un flemmard de première catégorie. Ils m’ont toujours répété que j’avais les capacités pour réussir à l’école, et dans la vie. Seulement, je ne fais aucun effort, tout simplement parce que je n’ai pas vraiment l’envie d’en fournir. J’ai toujours détesté réviser et apprendre par coeur des pavés de leçons. J’enregistre facilement les informations, mais quand il faut approfondir vous ne trouverez plus personne. Je préfère largement me divertir, en fait. Comme tout le monde, vous me direz !

Mes petits choux, j’espère que vous ne prendrez pas peur maintenant que vous en savez plus sur mon caractère.

Quand elle était encore en vie, ma mère tenait un album photos dans lequel elle immortalisait tous les moments importants de ma vie, depuis le jour où elle a su qu’elle était enceinte. J’allais être son premier enfant, qu’elle avait toujours attendu avec une certaine impatience. Mieux que ça : j’allais perpétuer les gènes des Twaos. Du moins, c’est ce qu’elle espérait au plus profond d’elle-même. Mon père et elle sont des âmes soeurs. Il était donneur et elle receveuse, et tous les deux habitaient Seoul. Le destin a voulu qu’ils soient camarades de classe durant toute leur jeunesse, de l’école primaire jusqu’au lycée. Ils ne savaient rien sur le fait que tous les deux étaient Twaos, puisqu’ils le dissimulaient grâce à leurs partenaires respectifs. A vrai dire, rien ne les prédestinait réellement à être des âmes soeurs, car ils étaient d’extrêmes opposés, niveau caractère. Si mon père a toujours été une tête de classe, très strict et bûcheur, ma mère était plutôt bohème. Elle était belle et toujours optimiste, alors que mon père anticipait toujours le futur avec appréhension. C’est un très bel homme, aussi. Mais il paraît plutôt froid et sévère. Enfin, il l’est vraiment. Ma mère était la seule qui réussissait à l’adoucir et le rendre moins farouche.

Même s’ils se « connaissaient » depuis leur enfance, ils n’ont commencé à se parler que vers leurs vingt ans, à la faculté. Mon père suivait des cours de droit et d’économie, tandis que ma mère s’épanouissait dans ses études de langues étrangères. Mais elle avait besoin d’approfondir ses connaissances en droit, pour je ne sais quelle raison. Elle a donc pris des cours du soir, et il s’est avéré que mon père y participait aussi. Il ne lâchait jamais ses livres, et révisait sans cesse. Son comportement a toujours intrigué ma mère, si bien qu’elle a fini par lui demander s’il prenait le temps de s’amuser un peu. Elle était du genre à ne pas se prendre la tête, et à profiter de la vie. Elle a bien fait, du reste.

Ils étaient souvent en désaccord, mais la tendresse de ma mère a fini par charmer mon père, et son armure a un peu cédé. Elle l’emmenait souvent dans des soirées bien arrosées, si bien qu’une fois étaient tellement torchés qu’ils se sont embrassés. Et là, ils comprirent qu’ils étaient faits l’un pour l’autre. Ma mère me racontait toujours et avec tant de passion à quel point ç’avait été merveilleux, qu’elle a fini par me transmettre son enthousiasme. Je sais que l’on a du mal à penser, vu mon caractère, que je puisse croire à de telles « sornettes », comme diraient certains. Mais vous savez, quand on est le fruit d’un amour aussi sincère et puissant, on a du mal à douter à ces histoires d’âmes soeurs. C’est mon côté gnan-gnan, si vous voulez.

Quand je suis né, j’ai été considéré comme une merveille de la nature aux yeux de ma génitrice. Elle avait toujours rêvé d’avoir des enfants. Malheureusement pour elle, je fus le seul qu’elle eut. Même s’il l’aimait profondément, mon père ne pouvait pas souvent rester auprès d’elle, à cause de son travail. Elle a beaucoup souffert de son absence, mais elle comprenait. Elle a toujours été compréhensive, et cachait ses peurs, sa colère, sa tristesse derrière un sourire.

J’ai été détecté Twao receveur vers mes trois ans. En parallèle, on découvrit qu’une cousine du même âge était donneuse. La question ne se posa pas trop longtemps, et nous fûmes souvent mis en relation. Heureusement qu’elle n’est pas mon âme soeur ! Ce côté incestueux aurait été vraiment dérangeant. En plus, j’ai du mal à la supporter. Ca doit être parce qu’elle est un peu comme moi, dans le fond. Il n’empêche que, malgré cela, je crois que je l’aime bien. Le problème, c’est qu’à l’heure actuelle, elle a quitté Seoul pour poursuivre ses études à l’étranger. Alors, moi qui ai toujours été habitué à l’avoir comme donneuse, j’ai dû me débrouiller pour trouver un autre partenaire. Je n’en ai pas de fixe, et je ne désespère pas de trouver un jour mon âme soeur.

Puis, il y a huit ans, ma mère est morte. C’est à partir de ce moment-là que tout mon mode de vie a été chamboulé. J’ai toujours été un gosse un peu difficile à tenir, mais comme pour mon père, ma mère avait ce je-ne-sais-quoi qui réussissait à m’adoucir. Elle était un rayon de soleil, qui illuminait nos vies à elle seule. Je vous ai aussi parlé d’une faiblesse que je dissimulais aux yeux des autres... Hé bien, c’est à cette époque que les « symptômes » sont apparus. En fait, tout est lié.

J’avais douze ans, et ma mère conduisait la voiture pour aller rendre visite à mon père, à son bureau. Comme il avait beaucoup de travail et rentrait tard à la maison, elle voulait lui faire une surprise. Elle avait préparé le dîner et tout rangé dans un joli panier qu’elle avait chargé dans le véhicule. Bien entendu, je suis allé avec elle, car elle voulait que l’on se fasse ce petit repas en famille. Je me souviens qu’il faisait nuit, et qu’il pleuvait des cordes. Ma mère conduisait prudemment, et ce qui est arrivé n’était pas de sa faute. Au carrefour, une voiture a grillé le feu rouge, et la nôtre traversait à ce moment-là. L’impact fut inévitable, côté conducteur. Je me souviens de toutes ces secousses qui ont fait trembler la voiture. Même avec la ceinture de sécurité, j’ai été bousculé de partout. Je crois que j’ai reçu le plus de chocs à la tête. Mon père dit que c’est pour ça que je suis dérangé, maintenant. Il ne le dit pas devant moi, mais les regards qu’il m’adresse suffisent à traduire ses pensées. Qu’y puis-je ? Ma mère est morte sous mes yeux. La collision avec l’autre voiture ne l’a pas épargnée. J’ai été terrorisé par tous les tonneaux que nous avons faits, et lorsque j’ai rouvert les paupières pour apercevoir le corps sans vie de ma mère qui gisait, la tête contre le volant, ç’a été la fin. J’ai littéralement pété les plombs, je crois. Je n’arrêtais pas de trembler et d’appeler ma mère quand les secours m’ont transporté à l’hôpital le plus proche. Elle ne se réveillerait pas, c’était ce qu’ils m’ont annoncé d’un air grave.

J’ai passé la pire nuit de ma vie, à subir les effets post-traumatiques et ceux des tranquillisants. A ce qu’il parait, je ne cessais d’hurler, de me réveiller en pleurs. Et depuis, ces images ne m’ont pas quitté. Il y a des fois où, comme une sorte de flash-back ponctuel, ces souvenirs ressurgissent. J’en reste paralysé d’effroi. Mon psychiatre me dit que je fais des crises d’angoisse. Et aussi, j’ai une peur panique de monter dans une voiture, un bus ou même un train. Il est même hors de question que je remonte dans un de ces véhicules. Je n’arrive pas à traverser la rue la conscience tranquille, même à pied ou à vélo. Pourtant, je m’efforce de le cacher quand je suis avec quelqu’un d’autre. Personne n’est au courant de ces crises que j’ai, et je ne veux pas que ça se sache. Parce que depuis ce jour, mon père s’est renfermé sur lui, plongé dans son travail, et ne supporte pas que son fils soit faible. Lui-même se montre fort, alors qu’il a perdu son âme soeur. Je sais qu’au fond, il est détruit et ne veut plus s’ouvrir au monde. Je crois qu’il ne veut plus d’attaches, et que c’est pour cela qu’il m’ignore constamment. Ou peut-être est-ce aussi parce que je lui rappelle ma mère. Parce que, bêtement, je me suis mis à sourire comme elle le faisait, pour dissimuler mes vrais sentiments et ma faiblesse.

Pour faire plaisir à mon père, je me suis mis à étudier un peu plus sérieusement. Enfin, je me concentre un peu plus sur mes études, mais ça ne m’empêche pas de n’en avoir aucune motivation. Pour me montrer digne de lui, je poursuis des études commerciales, afin d’avoir un bon métier en poche. Mais en toute honnêteté, ce n’est pas ce qui me branche le plus. Je n’ai aucune idée concise de mon avenir, et je ne sais pas à quoi je suis voué. Tout ce que je sais, c’est que je veux rencontrer mon âme soeur et vivre une histoire aussi belle que celle de mes parents.