Cela faisait quelques jours que Myung Dae avait débarqué à Seoul, et toute sa vie était déjà chamboulée. Son mode de vie n’était strictement plus le même. En fait, c’était comme s’il avait atterri dans une toute autre dimension. Tout paraissait plus grand, plus beau, plus rapide... Et plus cher, aussi. L’argent allait être son plus gros obstacle. Pour le moment, il avait réussi à s’en sortir grâce à cet homme qu’il avait rencontré dès son arrivée, et qui l’avait gentiment aidé à trouver ses repères. Puis, peu après, un autre sauveur lui était apparu : Lim Hee Soon. Son colocataire, pour tout dire, même si pour le moment il ne faisait que squatter officieusement sa chambre. Heureusement, il avait trouvé une solution miracle qui règlerait une partie de ses problèmes : venant de loin et appartenant à une famille nombreuse et pauvre, il pourrait toucher des bourses au logement et pour ses études. Ses études. Il pourrait enfin reprendre le chemin des bancs de la faculté, malgré son absence de diplômes. Cette pensée lui arracha un petit sourire heureux et impatient. Quoi de mieux pour égayer sa journée ? Peut-être participer à une chasse au trésor en compagnie de Nam Ha Neul.

Myung Dae avait rencontré la lycéenne quelques jours auparavant, alors qu’il se rendait à cette fameuse association de Twaos pour y trouver un partenaire de charge. Il n’avait pas très bien compris pourquoi elle était venue vers lui et l’avait accaparé comme s’ils se connaissaient depuis longtemps, mais au final sa présence ne lui était pas du tout incommodante. Elle était gentille, et plutôt rigolote aussi. Alors il ne comprenait pas non plus pourquoi les gens la regardaient de travers, en lui lançant des regards hautains et dédaigneux. Peut-être était-ce à cause de lui, parce qu’il avait l’air d’un pauvre fils de pêcheur aux côtés d’une jolie princesse charismatique ? En tout cas, ça ne l’avait pas empêché de lui demander de l’accompagner à cette chasse aux trésors, lorsqu’il avait aperçu une affiche publicitaire dans les couloirs du campus universitaire. Il ne savait pas pourquoi il avait pensé à elle en premier. Sûrement parce que Hee Soon n’était pas disponible ce jour-là, et que Ji Hwa devait certainement travailler.

En réalité, le mot qui l’avait attiré était « trésor ». Hé bien oui : qui dit « trésor » dit « argent », n’est-ce pas ? Il pourrait peut-être déterrer un fabuleux butin, d’une valeur inestimable ! Qui sait ? Et comme Ha Neul avait l’air d’être quelqu’un d’assez futé - du moins, plus que lui - ils trouveraient certainement le trésor ensemble. Seulement...

Trouver une feuille, un fruit, ou une fleur d’un arbre traditionnel coréen. En quoi est-ce que ceci les aiderait à trouver un trésor, bon sang ? En général, n’y avait-il pas besoin d’une carte, marquée d’une petite croix rouge qui indiquerait l’emplacement du butin ? Peut-être que les organisateurs la donneront aux premiers qui trouveront ce qu’ils leur demandent... Ce fut pourquoi il afficha un air déterminé sur son visage, et commença à regarder partout autour de lui. Seulement, la tâche ne fut pas aussi évidente qu’elle n’y paraissait. Et Ha Neul semblait aussi déboussolée que lui.

« Dis, toi qui passes tes journées dans les bouquins, tu dois bien avoir une idée du genre de plantes qui sont typiquement coréennes, non ? »

Il réfléchit quelques secondes, essayant de se remémorer un livre qu’il aurait pu lire à ce sujet. Mais avant que le titre de l’un des nombreux ouvrages qu’il avait lu ne lui revienne en mémoire, sa camarade sembla soudainement avoir une idée.

« J’ai une amie qui pourrait peut-être nous aider ! »

Faire appel à quelqu’un d’extérieur, n’était-ce pas tricher ? Ils devaient se débrouiller par leurs propres moyens, n’est-ce pas ? Intrigué, Myung Dae suivit l’échange téléphonique avec l’amie en question.

« Yah Moon Ae Cha ! J’ai besoin de ton savoir … Enfin, nous en avons besoin ! Tu n’aurais pas le nom d’une fleur, d’un fruit ou d’une feuille d’un arbre coréen traditionnel à me donner, par le plus grand des hasards ? Enfin, une description me serait plus utile …

— Ha Neul-ah ! Soupira la voix de la fleuriste à travers le haut-parleur. Dans quoi est-ce que tu t’es lancée, encore ? »

La lycéenne lança un regard impatient tout en adressant un sourire embarrassé au petit gars de Busan.

« Un végétal typiquement coréen, c’est ça ? Reprit-elle un peu après, en réfléchissant sérieusement à la question. Pourquoi pas le mugunghwa, tout simplement ? C’est la fleur nationale de notre pays, après tout... »

Myung Dae dressa l’oreille malgré lui, écoutant ainsi les propos de Moon Ae Cha. Le mungunghwa ? Il pensait savoir ce que c’était.

« C’est le genre de fleurs que l’on trouve partout, puisqu’elle est souvent utilisée pour les ornements dans les jardins, continua la colocataire de Ha Neul. Mais c’est peut-être un peu trop commun, non ? C’est pour ta chasse aux trésors, c’est ça ? »

Il balaya les environs de son regard, plissant les yeux derrière ses lunettes. Ces tâches violettes, là-bas, ne serait-ce pas... ? Sans dire un mot, il dirigea ses pas vers cette couleur qui l’intriguait. En tendant la main vers l’une des fleurs pour mieux l’examiner, il crut la reconnaître. Mais il n’en était pas vraiment certain. A côté de lui, une petite dame avait établi son étalage de fruits et légumes et interpelait les passants pour les inciter à venir voir ce qu’elle avait à proposer. Peut-être pourraient-ils trouver quelque chose, là aussi ? Ca éviterait ainsi de dégrader le jardin en arrachant une fleur...

« Bonjour, Madame, salua-t-il poliment en s’approchant. J’aurais besoin de quelque chose de typiquement coréen, est-ce que vous pourriez m’aider ? »

Bien évidemment, la marchande ne put refuser la demande d’un client potentiel. Elle indiqua une espèce de fruit ovale et allongé, de couleur jaune orangé, et le désigna comme étant un « chamwe ». Une sorte de melon typiquement coréen, en somme. En fouillant dans ses poches, Myung Dae découvrit qu’il était... Comme qui dirait à sec. Il lança un regard désolé à la dame, qui heureusement lâcha un petit rire amusé. Peut-être que Ha Neul aurait de l’argent sur elle... ?

Ramener ou prendre un animal en photo ? Hé bien, la deuxième solution n’allait pas être envisageable, étant donné que Myung Dae ne possédait pas de téléphone portable ni d’appareil photos. Dans sa famille, il n’y avait jamais rien eu de tel. Il n’y avait même pas de téléphone fixe, ni de poste de télévision. La seule façon pour eux de s’informer ou de regarder une émission, c’était de se rendre au bistrot du quartier et de squatter le petit écran qui diffusait principalement des matches de football, ou des courses hippiques. Jamais de sa vie, l’idiot de Busan n’avait vu un de ces grands films de renom, dont il avait seulement entendu parler sans jamais en voir les images. Cependant, si l’histoire était tirée d’un roman, il s’empressait de trouver le livre pour pouvoir avoir quelques connaissances à ce sujet. Quoi qu’il en soit, il n’avait pas de portable, et devrait donc ramener une de ces bestioles en main propre.

Oui mais...

Le jeune homme n’avait jamais vraiment été en contact avec les animaux, si ce n’était les poissons que son ivrogne de père pêchait. Des poissons déjà morts et cuisinés, servis tout prêts dans une assiette, accompagnés de délicieux légumes... Ah, les bons plats de sa mère ! Qu’ils lui manquaient, depuis qu’il avait quitté la demeure familiale. Lui-même ne savait pas vraiment bien cuisiner, alors il se débrouillait comme il pouvait en s’aidant d’un livre de recettes qu’il avait déniché un peu plus tôt. Parfois, il ne comprenait pas trop la signification de certains termes. « Faire revenir les oignons », par exemple. Concrètement, ils n’étaient partis nulle part, ces fichus oignons ! Alors, le temps qu’il réfléchisse au sens de cette phrase mystérieuse, les condiments avaient déjà eu le temps de cramer au fond de la poêle.

« Tu crois qu’on va trouver quoi dans ce parc ? » Lui demanda soudainement Ha Neul, le tirant de ses pensées.

Myung Dae prit un instant de réflexion. A quel genre d’animaux les romans faisaient-ils allusion, lorsqu’ils évoquaient une promenade au parc ? Des écureuils, non ? Il n’en avait jamais vus en vrai, mais d’après les descriptions, c’était plutôt mignon n’est-ce pas ? Les filles du collège, il y avait désormais longtemps de ça, s’extasiaient toujours en les évoquant, lorsqu’elles parlaient de petites bébêtes adorables. Les seuls animaux qu’il avait un jour approchés étaient des chats de gouttière, mais cette rencontre avait plutôt mal tourné. Sans doute l’odeur de poisson qui émanait de lui avaient attiré les matous, qui l’avaient ensuite considéré comme un repas potentiel et s’étaient mis à le poursuivre dans toute la ruelle.

Le natif du Sud secoua la tête pour chasser ce souvenir embêtant. Soudainement, il fut stoppé dans son avancée par Ha Neul, qui lui barra la route après avoir remarqué justement un petit écureuil en plein milieu du chemin. Curieusement, ce rongeur-là n’avait rien de mignon ou d’adorable. Il avait l’air même un peu perfide, d’ailleurs : le voilà qui s’approchait pour réclamer à manger ! En quoi était-il adorable, ce bougre-là ? Tout ce qu’il voulait, c’était profiter de la naïveté des gens en les embobinant avec leurs bouilles soi-disant trop « mignonnes ». Cette étincelle maléfique qui luisait au coin de son regard sombre ne trompait pas. Et pourtant, Ha Neul était tombée dans le panneau.

« Eh ben ? Tu ne veux pas le toucher ? Il va pas te mordre, tu sais …

— N-non merci, je vais chercher un animal de mon côté... »

Myung Dae recula d’un pas, puis d’un autre, avant de s’empresser de faire demi-tour sans oublier de jeter un oeil derrière lui au cas où le rongeur le suivrait. En se retournant, il manqua de justesse de percuter un arbre. Il crut percevoir une ombre trouver refuge dans un creux et, intrigué, il se pencha pour voir de quoi il était question. Peut-être se pencha-t-il un peu trop, puisqu’il se fit douloureusement pincer le nez dans la seconde qui suivit. Le jeune homme pesta tout en se massant son organe blessé, et lança, vexé :

« Sors de ta cachette, sale bestiole mal élevée ! »

Il leva un poing vengeur en l’air, et vit alors qu’un petit rapace sortait du trou dans lequel il s’était faufilé. Il lui semblait avoir déjà vu une image de cet oiseau dans un livre, voyons... Ah ! Ne s’agissait-il pas d’une chevêche d’Athéna ? C’était bien l’un des seuls hiboux qui avait la particularité d’être diurne. Et comme si elle répondait à sa provocation, la petite chouette se percha sur son bras et voulut lui donner quelques coups de becs. Pour la maintenir à distance, Myung Dae écarta son bras le plus loin possible, et retourna prudemment vers la lycéenne, pas très rassuré.

« Ha... Ha Neul-ssi ? Ce piaf veut me bouffer ! »

Visiblement paniqué, il fit quand même l’effort de prendre sur lui pour retourner près de l’organisatrice du jeu.

Décidément, le petit rapace avait l’air bien décidé à considérer Myung Dae comme son perchoir provisoire, confortablement installé et plantant ses serres dans la chair du pauvre bougre qui grimaça de douleur. Vraiment, si ça n’avait pas été pour cette chasse au trésor et l’argent – sans doute – qu’il y avait à gagner à la fin, jamais il n’aurait participé à cet événement en sachant qu’il y ferait ce genre de rencontre. Ha Neul s’en sortait bien, elle, avec la photo de son écureuil. Même le rongeur avait paru plus mignon que cette imbécile de chouette. Pourquoi le regardait-elle d’ailleurs avec cet air ébahi et ces gros yeux idiots ? Il avait l’impression d’observer son reflet dans un miroir, et cela le vexa plus que tout.

« Tu te moques de moi, saleté ? » Bougonna-t-il en tentant de s’en débarrasser une énième fois, en vain.

De plus, lorsque le binôme revint vers l’organisatrice pour lui montrer ce qu’ils avaient trouvé, la femme leur annonça alors qu’ils devaient retrouver les affaires égarées de son neveu. A en juger par la moue qui déformait les lèvres de son amie, l’idiot de Busan comprit que cette dernière commençait à en avoir marre de l’accompagner dans cette aventure peu intéressante à son goût. Mais, sans doute par compassion pour lui, elle décida tout de même de le suivre jusqu’à la fin.

« A ton avis, il a quel âge, le fils de l’amie de l’organisatrice ? »

L’âge qui traversa l’esprit de Myung Dae fut trois ans. Mais qu’en savait-il, après tout ? Sans oublier que la lycéenne souleva un autre point important : qu’est-ce qui garantissait que les objets qu’ils trouveraient n’appartiendraient pas à un autre enfant ? Bah, ils aviseraient sur le moment… Pour l’instant, ils devaient se concentrer sur leur nouvelle mission. Et tandis que le jeune garçon balayait du regard chaque recoin du parc, derrière les verres flous de ses grosses lunettes, il fut interrompu par la voix de son amie, qui lui demanda de l’aider à décrocher un drôle d’objet emmêlé dans les branches d’un arbre. Cela ressemblait fortement à un cerf-volant, mais sa forme était étrange. Il ne pouvait pas en attester car, pour tout avouer, il n’en avait vu qu’en images dans les livres. Jamais il n’avait joué avec une de ces choses, durant son enfance.

« Myung-chou ! Je vais avoir besoin de ton aide pour le décoincer de là ! »

Ce n’était pas un problème pour ce grand dadais, mais c’était sans compter sur cette idiote de chouette qui s’était établie sur son bras et ne semblait pas décidée à s’en aller de sitôt. Il avait beau remuer le bras pour la faire partir, cela ne fonctionna pas. Lorsqu’il approcha craintivement son doigt de la bestiole pour au moins la faire bouger, il manqua de se faire agressivement pincer. Cependant, cela eut le mérite de faire déménager le rapace jusque sur son épaule, ce qui l’handicaperait beaucoup moins pour attraper le cerf-volant. Une fois parvenu, il tendit l’objet à Ha Neul, qui l’en remercia et lui demanda par la suite :

« Tu t’es déjà servi de ce genre de jouet, Myung Dae ? »

Le timide secoua vivement la tête en guise de réponse négative, puis baissa le nez, tout éhonté. Il n’avait pas eu droit à une enfance comme les autres, mais cela ne le gênait pas plus que ça. Seulement, quand les gens de son âge y faisaient allusion, il n’aimait pas avouer que ses jeunes années n’avaient pas été aussi riches et remplies de joies. Alors, il observa Ha Neul utiliser le cerf-volant, tout émerveillé et avec une pointe d’admiration et d’envie. La proposition de lui apprendre à s’en servir ne put que l’enthousiasmer et faire apparaître un sourire béat sur son visage.

Mais maintenant que la jeune fille avait trouvé son objet, il fallait s’occuper de son propre cas. Qu’allait-il bien pouvoir trouver, dans cet immense parc ? Les enfants, ce n’était pas ce qui manquait dans cet environnement, loin de là ! A force de recherches, il finirait bien par tomber sur un petit truc passe-partout… Et puis, il pourrait compter sur l’aide d’Ha Neul, n’est-ce pas ?

Et alors qu’il analysait scrupuleusement les environs, son regard fut attiré par un petit objet rond, de la forme d’un œuf, dont l‘écran s’animait et diffusait un petit personnage pixellisé. Intrigué, il tendit le petit appareil à sa camarade pour lui demander si elle connaissait ou non ce genre de choses. Visiblement, il s’agissait d’un Tamagotchi. Le nom lui disait vaguement quelque chose, car il lui semblait se souvenir entendre sa petite sœur le mentionner après avoir vu la publicité, une fois, à la télévision du bar du quartier. Sans se poser plus de questions, il le ramassa et l’examina attentivement, comme pour essayer de comprendre le fonctionnement mystérieux de cet objet électronique qui lui était totalement étranger. Après quoi, en compagnie d’Ha Neul, il retourna voir l’organisatrice du jeu.

Cette chasse aux trésors n’en finissait décidément pas. Myung Dae, qui avait imaginé une escapade avec une carte et une boussole – un peu comme dans ces romans d’aventures et de pirates qu’il avait lus, une fois – se retrouvait bien découragé. Et plutôt épuisé à force de se balader à droite, à gauche. Lui qui n’était pas un grand sportif, il sentait ses jambes s’engourdir et un point de côté lui déchirer les côtes. Il s’accroupit alors un instant sur ses grandes guibolles, et lâcha un soupir d’exaspération, gardant la bouche entrouverte tout en sondant les alentours derrière les verres de ses gros culs-de-bouteille.

« Ah~ Ha Neul-ssi ! S’écria-t-il soudainement tout en se laissant tomber au sol sur son postérieur. Pourquoi les gens perdent toutes leurs affaires ? »

Il fronça les sourcils et souffla d’un air contrarié avant de croiser les bras comme un grand gamin boudeur. La chouette, qui s’était envolée pendant qu’il gesticulait, s’était à présent de nouveau posée sur son épaule. Après un bref coup d’œil mauvais en sa direction, le nigaud décida d’abandonner cette affaire : visiblement, le rapace l’avait adopté et semblait déterminé à ne pas le lâcher de sitôt.

« T’es con ou quoi ? Lança-t-il en s’adressant à la chouette. Y a pas le droit aux animaux dans ma chambre. Et Jong Hae sera pas content. »

Sa réprimande envers le pauvre oiseau (qui ne devait certainement pas comprendre un traitre mot de ce qu’il lui racontait) fut interrompue par le petit rire qu’émit Ha Neul. Hé, elle se fichait de lui, n’est-ce pas ? En même temps, il devait avoir l’air bien idiot, à se battre de façon aussi stupide avec un animal. Il regarda la jeune fille s’éloigner, et réalisa qu’il fallait la suivre afin de ne pas la perdre de vue et de ne pas s’égarer dans cet immense parc. Il tenta alors de se relever avec toute la grâce et la délicatesse dont il était capable, et étendit ses longues jambes pour faire passer l’engourdissement qui les tiraillait.

« Regarde Myung ! S’exclama soudainement sa binôme, le faisant relever la tête d’un air inquisiteur. C’est sûrement un des instruments perdus ! »

Elle brandissait en l’air une sorte de long bâton dont le bois paraissait un peu travaillé, ce qui était visible grâce aux motifs gravés dessus.

« Il s’agit d’un daegeum si je me souviens bien. C’est une sorte de flûte traditionnelle. » Lui apprit-elle par la suite, en bonne connaisseuse.

Myung Dae resta admiratif devant ses explications, et analysa l’objet de plus près comme s’il s’agissait d’un précieux trésor d’une rareté exceptionnelle. Alors qu’en réalité, il ne s’agissait que d’une simple flûte traditionnelle. Le jeune homme essaya de se rappeler du peu de cours de musique qu’il avait suivis lorsqu’il était en école élémentaire. Il crut se souvenir qu’il était toujours envoyé dans le fond de la classe, muni d’une espèce de tambourin, parce qu’il n’arrivait pas à suivre le rythme. En y repensant, il n’y avait pas énormément de domaines dans lequel il excellait. Il n’y en avait aucun, pour tout dire. Il n’était pas un élève brillant, ni même quelqu’un de particulièrement intelligent.

« Allons chercher ailleurs, peut-être qu’on trouvera un autre instrument pour toi ! »

Pourquoi Ha Neul avait-elle la chance de toujours tout trouver avant lui ? Pourquoi n’était-ce pas elle qui se coltinait cet oiseau enquiquineur ? Tout serait tellement plus simple si les objets n’étaient pas aussi difficiles à trouver ! Qu’est-ce qui garantissait qu’il réussirait à ramener un instrument, cette fois ? Mis à part une guitare ou un piano super visibles, que pourrait-il trouver, avec toute la malchance qui le caractérisait ?

« Dae~geum~ » Répétait-il pensivement en chantonnant presque, alors qu’il fouillait du regard les alentours.

La consonance de ce mot lui plaisait bien, tellement bien qu’il s’amusait à le prononcer comme un enfant de trois ans apprenant à parler s’amuserait à le faire. Un sourire béat et satisfait s’afficha sur son visage.

« Tu as vu : dans « Myung Dae » il y a le « dae » de « daegeum » ! Annonça-t-il fièrement sans cesser de chercher autour de lui. Ou peut-être que c’est dans « daegeum » qu’il y a le « dae » de « Myung Dae » ? »

Il lui arrivait parfois de partir dans des réflexions inutiles qu’il ne savait pas garder pour lui. Souvent, il réfléchissait à voix haute, sans se soucier des gens qui l’entouraient, ce qui le faisait encore plus passer pour un benêt.

Et alors qu’il gambadait d’un air nonchalant dans les allées du parc, il donna malencontreusement un coup de pied dans un objet qu’il envoya balader un peu plus loin. Curieux, il se précipita pour le ramasser, et se rendit compte qu’il avait l’allure d’un petit tambour.

« Ha Neul-ssi ! Regarde ce que j’ai trouvé ! »

Tout heureux, il revint vers elle en sautillant presque et lui fit signe de retourner voir l'organisatrice du jeu.

Maintenant qu’ils s’étaient bien promenés d’un bout à l’autre du parc, il était temps pour les concurrents de subir le test final. Et ce test consistait en une question de connaissances et de culture générale. En général, Myung Dae n’était pas vraiment un adepte de ce genre de choses. Ce qu’il avait retenu dans les livres, ce n’était pas forcément des informations très intéressantes. En vrai, il ne retenait pour la plupart du temps que les anecdotes les plus drôles ou celles qui avaient le plus attiré son attention. Les sujets scolaires barbants étaient bien loin de le passionner, c’était d’ailleurs en partie pour cela qu’il avait toujours eu du mal à suivre en cours, lorsqu’il avait encore l’occasion d’y assister. S’il avait su un jour qu’il aurait le malheur de ne plus y retourner, il serait forcé au moins de retenir les choses les plus essentielles.

Myung Dae devait donc donner le nombre de ponts qui surmontaient la rivière Han. A première vue, cette question ne semblait pas trop compliquée : il suffirait de longer ladite rivière et de compter combien il y avait de ponts. Sauf que… N’était-elle pas juste un peu trop longue, cette rivière ? Cela prendrait très certainement des semaines pour tout faire à pied, et la chasse aux trésors serait terminée depuis longtemps avant qu’il ne trouve la réponse correcte.

Réfléchissons. N’avait-il pas lu quelque chose s’y rapportant, dans un de ces livres qu’il avait dévorés ? Ou peut-être dans un cours de géographie, du temps où il pouvait encore aller à l’école. Ah, si seulement il pouvait s’en souvenir ! Cela remontait à si loin, maintenant.

Le grand benêt jeta un regard en direction d’Ha Neul, espérant sans doute obtenir un peu de renfort. Mais la jeune fille avait elle-même sa propre question à laquelle elle devait répondre, alors elle n’avait pas le temps de s’occuper de son cas à lui. Cette fois-ci, il ne pourrait compter que sur lui-même.

« J’sais pas… » Soupira-t-il, à deux doigts de baisser les bras définitivement.

Il se sentait sur le point d’abandonner, envahi par une vague de désespoir. Inutile, il se sentait inutile et ignare. Mais ça, il l’était réellement. Il ignorait beaucoup de choses. Et il ignorait combien de ponts surmontaient la rivière Han. Alors, il décida d’observer autour de lui et de sortir un chiffre au hasard. Non loin de là se trouvait un marchand de glaces, qui proposait des cornets à une, deux ou trois boules. Le chiffre 2 retint son attention. Ou plutôt : il crut se rappeler de quelque chose que lui aurait raconté son père, une fois.

Son père, ce bon à rien, qui ne lui avait rien apporté d’autre que des coups et de la violence. Il avait été pêcheur à Busan, alors il s’y connaissait lorsqu’il s’agissait de mer ou de rivière. Dans un élan de lucidité, il lui avait appris qu’il y avait une vingtaine de ponts qui chevauchaient le fleuve. Mais combien, exactement ? Vingt… Vingt…

« Vingt… Sept ? » Proposa-t-il à tout hasard, en apercevant le chiffre en question, non loin de là.