Long time no see

Goo Na Ya & Shin Ji Hwa

04/05/2013 à 14:34

Je fixe un point invisible, ne laissant personne d’autre me le voler. Les voitures passent devant moi mais je ne les vois pas pour autant. Je suis quelque peu perdu dans mes pensées. Trop perdu pour faire attention au dynamisme de la capitale du pays, sois disant, au matin calme. Ces voitures, camions, motos qui passent à grande vitesse, abordant presque tous des tons plutôt sombres et laissant une odeur plus ou moins nauséabonde, selon les modèles, atteindre mes narines. J’inspire cet air pollué typique d’une ville surpeuplée et bloque ma respiration. 1... 2… 3… 4… Je fais le compte dans ma tête, me laissant aller dans ce jeu stupide. Je sais que je ne vais pas tenir longtemps. Je ne suis pas suicidaire après tout. Et vingt secondes plus tard, je relâche, laissant mon souffle partir, espérant qu’il puisse emporter mes peurs avec lui, et les faire disparaitre enfin. Je me sens stupide. Je ne devrais pas. Je bouge les jambes, me redresse pendant que mes mains se serrent contre la barre métallique me protégeant du trafic routier, je souffle de nouveau.

Une voix s’élève, attirant mon attention parmi tous les autres bruits typiques d’une grande ville. Je la reconnais. C’est toujours cette même voix, elle, n’a pas changée. Je souris, fermant les yeux deux secondes afin d’apprécier cette voix qui se répète dans ma tête. Et je me retourne, lui faisant face. Je l’affronte enfin, la regardant du haut de mon mètre quatre-vingt-quatre, mais je ne sais toujours pas quoi lui dire. Elle m’a manqué. Elle n’a pas beaucoup changé, j’en suis plutôt soulagé. Cependant je ne remarque pas cette poussette qu’elle traine avec elle, bien trop concentré à la contempler. Ses yeux, son nez, ses joues, ses lèvres. Oui, c’est bien elle. J’en ai presque envie de pleurer. Je peux me laisser aller, n’est-ce pas ? Après tout, je ne suis pas avec ces gens aussi hypocrites que moi qui se disent être mes amis, je suis avec elle, Goo Na Ya, cette femme avec qui j’étais tellement proche. D’ailleurs je crois que, ce que je sens sur ma joue, qui me chatouille, est une larme. Je ne veux pas jouer mon rôle, pas devant elle, pas après ces années, ces mois, ces jours où je ne pouvais ni la voir, ni lui parler.

Je ne dis rien, je reste figé, me contentant simplement de me perdre dans son regard. Le mien est flou, les choses n’ont plus de formes à cause de ces gouttes salées que je peine à garder cachées qui déforment tout. Avant même que je puisse répondre à son salut, je sens un corps chaud contre le mien. Mes mains passent dans son dos, serrant sa silhouette fine contre moi pour une étreinte prouvant ô combien elle a pu me manquer pendant ces deux ans où elle ne se trouvait même plus dans le pays. « Toi aussi tu m’as manqué. » Lâché-je d’un seul coup, brisant le silence qui s’était installé entre nous. Nous restons dans cette position pendant plusieurs minutes, ne faisant pas du tout attention aux gens qui passent près de nous, occupés à faire leur shopping, courants à droite à gauche pour un rendez-vous, retrouver un collège et que sais-je encore. Peut-être qu’ils pensent que nous sommes ensemble, un couple qui se retrouve après un petit temps d’absence, voire long pour ce qui est de mon cas, mais ce n’est pas le cas. Je ne la verrai jamais comme une de ces femmes qui ont pu passer dans ma ligne de tirs et qui ont fini dans mon lit. L’amour que j’éprouve pour elle n’est pas le même, il est plus pur, plus innocent et je ne pourrais jamais lui montrer un tel irrespect.

Je m’écarte d’elle, voulant contempler son visage encore quelques instants avant de remarquer la chose qu’elle tient fermement dans sa main. Une poussette. Un bébé. Juste un simple enfant assis, un regard innocent inscrit sur tout son visage. SON enfant ? Mes yeux font des allers retours entre l’engin à roulettes et Na Ya pendant que ma bouche reste légèrement entrouverte. Je peux clairement deviner l’expression de surpris présent sur mon visage, les yeux écarquillés, la bouche maintenant grande ouverte, digne d’un personnage sortit tout droit des Loney Tunes. « De…. De…. Depuis quand ? » Demandé-je, sachant très bien qu’elle comprend que je parle de sa petite fille. Je ne l’ai jamais vue. Je ne savais pas. Elle est adorable. Je me penche sur la poussette afin de mieux observer cette jeune fille aussi qui est adorable que sa mère. Je joue quelques minutes avec la petite, me présentant, nan sans oublier de lui faire remarquer que je suis le plus bel homme sur cette Terre et que si elle veut se marier plus tard avec le chef d’œuvre que je suis, elle pourrait toujours essayer, qui sait. Bien sûr, ces dernières paroles ne sont que des plaisanteries. Jamais je n’irai toucher une gamine, je ne veux pas finir en prison, merci. Mon regard se retrouver alors sur la mère. Je ne sais pas quoi dire. Il y a tellement de choses. Je voudrais lui faire un récit de ma vie passée sans elle, de mes peines quand j’ai su qu’elle était partie et que les chances de la revoir étaient moindres, de mes conquêtes que ce soit pour les hommes comme pour les femmes, de cet épisode avec cet étrange twao qui m’a sauvé la vie en quelque sorte… Tant de choses, mais pas où puis-je commencer ? « Goo Na Ya… Pouvais-je encore l’appeler avec juste son prénom ? Qu’est-ce que t’es devenue ? Je veux dire, t’es partie loin, non… » C’est gênant, je ne sais vraiment pas comment agir. Mais en tout cas, je sais que je préfère qu’on se retrouver autour d’une boisson ou, comme elle l’a proposé, en faisant du shopping. « Oh, on va y aller avant, non ? »

Ça fait combien de temps que je n’ai pas pleuré ? Combien de temps que je n’ai pu sentir cette présence autour de moi. Cette aura apaisante que je pourrais reconnaitre entre mille tellement je la connais sur le bout des ongles, ongles que j’ai oubliés de couper depuis un certain temps. Cela pouvait paraitre féminin, mais ça ne me dérange pas le moins du monde. Mais là n’est pas le sujet. Goo Na Ya était avec moi alors au diable les ongles qu’il faut couper ou autres choses toutes aussi plus insignifiantes les unes des autres !
Après de longues minutes passées à s’enlacer, je remarque enfin la petite présence à nos côtés dans la poussette que mon amie tient fermement. Choc était un mot encore faible pour décrire l’expression qui avait été élue à domicile sur mon visage. Je n’arrivais pas à croire qu’elle ait un bébé, un être vivant si mignon, si innocent et qui est encore inconscient de tous les malheurs de la vie. C’était tellement adorable, tellement formidable tellement… tellement merveilleux. Une fois, la réalisation passée, je peux enfin lui demander, ou plutôt essayer de lui demander, depuis quand est-elle maman pour de vrai - sachant déjà qu’elle ma mère improvisée depuis des années. Cette dernière me répond aussitôt, ajoutant même qu’elle s’est mariée à un certain Hyun Joong il y a maintenant deux ans. Il est vrai que la dernière fois que je l’ai vue c’était il y a environ quatre ans. Quatre longues années durant lesquelles je ne faisais que me cacher derrière un masque, n’ayant personne avec qui me confier hormis ce Kim Kyung Soo qui devenait trop proche de moi à mon goût. Il fallait que j’arrête de boire avec lui et tout lui balancer sur ma vie.

Encore une fois, je m’éloigne du sujet. Je ne veux pas penser aux autres, ni même à Kyung Soo. Je veux que mes pensées ne se tournent qu’en direction de Na Ya. Et je dois bien avouer que ça me rend triste le fait qu’elle se soit mariée et qu’elle ait un enfant sans m’en avoir parlé. De nouveau, c’est ce sentiment d’être à l’écart qui revient. Expulsé de sa vie, mis dans l’ignorance totale. Je n’aime pas ça. Mais après tout, je ne peux pas la forcer à venir me parler, je ne veux pas qu’elle se sente obligée de s’ouvrir à moi. Alors je me tais, et laisse mes sentiments affluer en moi discrètement.

Après avoir taquiné la petite fille dans la poussette et expliqué qu’elle pourrait se marier avec moi plus tard si elle le souhaitait, je continue le jeu en faisant remarquer à Na Ya qu’elle ne savait pas si j’avais des peluches ou pas dans ma chambre. Elle se contente de me répondre d’un clin d’œil, montrant toute notre complicité dans cette boutade.

C’était compliqué pour s’adresser à la jeune femme. Je ne sais pas comment l’appeler, ni même si je devais utiliser les titres honorifiques ou non. Je me contente alors de l’appeler simplement par son nom et prénom avec un air gêné, avant de lui demander la raison de son départ si soudain et sans nouvelles. Son soupir ne passe pas inaperçu et je le prends assez mal, mais encore une fois, si elle ne veut pas en parler, je n’insisterais pas. Cependant, je ne sais pas si je pourrais rester à ses côtés dans ce cas. Pas que je sois fatigué qu’elle me cache quelque chose. Mais pour être partie quatre longues années et sans me donner de nouvelles, il y a bien des raisons derrière tout cela. Si elle fait sa vie dans son coin, qu’elle soit heureuse, mais je n’en ferais plus partie.
Je ne sais pas si c’est parce que je n’ai pas envie d’entendre sa réponse ou parce que je pense qu’il serait tout simplement plus judicieux de discuter de tout cela après une bonne journée de shopping comme c’était prévu au départ, mais je change complètement de sujet, annonçant qu’il serait temps d’y aller. Na Ya part devant trainant la poussette avec elle pendant que je la suis un peu en retrait. Allez, acheter de nouveaux vêtements ne me fera pas de mal et peut-être pourra me changer les idées. Cependant la jeune femme brune en décida autrement. Elle lâcha que son départ avait été soudain, et que c’était ses parents qui en avaient décidé ainsi. Elle est partie loin, en Europe. Dire que moi, c’est à peine si j’ai déjà quitté ma capitale sud-coréenne. Ses derniers mots manquent de me faire pleurer à nouveau. Mais je me retiens, je ne veux pas qu’elle se sente coupable. Je la laisse continuer, écoutant très attentivement tout ce qu’elle me raconte sur son absence. Mon regard se pose doucement sur son visage lorsqu’elle attrape ma main avant de me demander comment ça se passe de mon côté. Je ne sais pas quoi dire. Aura-t-elle honte de moi si je dis que je n’ai fait que jouer au débauché lorsque je n’étais pas au boulot ? Que j’étais très mal lorsque j’ai appris qu’elle avait disparu, que j’en ai sacrifié des nuits à cause de l’angoisse ? Encore une fois je ne veux pas la faire culpabiliser. Alors je ne dirai rien.

Un sourire apparait lentement sur mes lèvres. Aussi faux que toutes les émotions que je peux avoir lorsque je suis en soirée avec ces gens qui se disent être mes amis. Aussi faux que lorsque je dis que tout va bien. Doucement, je viens lui ébouriffer les cheveux, laissant un rire discret sortir de ma gorge, fixant ses cheveux que je n’hésite pas à décoiffer. « Tu veux tout savoir ? Pourtant il ne s’est rien passé de bien important. » Je devrais avoir peur d’arriver à mentir aussi facilement, tel un acteur professionnel. « Je ne me suis pas marié, et je n’ai pas eu d’enfant. Heureusement d’ailleurs ! Tu t’imagines ? Moi, avec un enfant sur les bras ? Qu’est-ce que j’en ferais si je veux sortir ? » Je laisse une pause avant de zieuter un peu partout dans la rue, faisant mine d’observer les vitrines des magasins. « Et pour le boulot, et bien disons que pour l’instant c’est toujours aussi normal. Je m’ennuie peu, beaucoup. » Mes yeux se posent partout sauf sur elle. Je ne peux pas la regarder en face alors que je lui mens. Na Ya est une des rares personnes avec lesquelles je suis vraiment moi-même, avec lesquelles je ne porte plus ce masque et peut parler un peu de ce lourd fardeau qui me pèse sur les épaules. Mais aujourd’hui, je suis perdu. Je ne sais vraiment pas comment agir en sa présence. « Je suis désolé. » Laissé-je échapper soudainement.

Spoiler:

Comment puis-je être aussi égoïste envers cette femme ? Elle qui était toujours là pour moi lorsque j’allais mal, lorsque je voulais parler, lorsque j’avais besoin de faire évacuer le vrai moi. Comment puis-je la traiter ainsi ? Je me dégoute. Comment pouvais-je égoïstement penser qu’elle soit partie comme ça, de son plein gré en me laissant derrière.

Je lui avais parlé rapidement de ce qu’il s’était passé pendant son absence, d’ô combien ma vie n’avait été que normale, en oubliant intentionnellement de parler de mes heures noires. Je ne voulais pas lui faire de reproche, je ne voulais pas la faire culpabiliser, mais il faut croire que mon cerveau en a décidé autrement. Je regrette aussitôt les mots que je prononce, mordant ma lèvre inférieure comme pour m’auto-punir. Elle ne disait rien mais je pouvais très bien deviner que je l’ai blessé, ne serait-ce qu’un minimum, avec mes propos. Je ne suis décidément qu’un imbécile. Je soupire discrètement, montrant cette colère silencieuse envers moi-même.
Elle me répond, me proposant d’aller une fois avec elle au foyer, affirmant que là-bas je ne m’ennuierais pas. Je ne sais pas quoi dire. Je n’ose même pas le regarder en face. Encore une fois, je ne fais que fuir. J’ose cependant ouvrir la bouche seulement pour lui dire que je suis désolé. Désolé de ne pas comprendre, désolé de l’avoir blessée avec mes propos. Désolé pour tout.
Je sens la prise sur ma main se faire plus étroite. Mon regard se pose sur cette dernière avant de remonter le long de son bras et se perdre dans ses yeux qui, je peux le voir, sont légèrement embués. Je sens mon cœur tomber dans mes chaussures pendant qu’un sentiment de culpabilité très pesant prend place en moi. Je reste silencieux, ne voulant pas aggraver les choses. Tout ce que je fais c’est resserrer les doigts autour de sa main, voulant lui montrer que je suis vraiment désolé, que je ne veux pas la voir pleurer. Surtout lorsque c’est à cause de moi.

Elle m’entraine alors dans un café qui se trouvait dans la rue avant d’aller s’assoir à une table très reculée des autres. Sans doute pour être en paix et parler. Un serveur arriva pour prendre la commande. De nouveau, une vague de culpabilité s’emparer de moi. Je ne veux pas qu’elle me parle si elle n’en a pas envie, je ne veux pas la forcer. « Goo Na Ya, je ne… » Tenté-je de dire, timidement avant qu’elle ne me coupe la parole.
Cette fois, mon cœur ne se trouve plus dans mes chaussures, mais bien plus bas. Je ne pourrais décrire ce que je ressens si ce n’est de la culpabilité ? Du stress ? Je ne sais dire si mon cœur est encore en un seul morceau. Mais à quoi je m’attendais ? Je lui ai menti, j’ai laissé un mur, aussi fin soit-il, se construire entre nous deux rien qu’en l’appelant avec son nom et prénom comme si je m’adressais à une simple connaissance.
Je la laisse parler, je n’ose pas l’interrompre. Je voudrais lui répondre, lui dire que je suis terriblement désolé, qu’elle n’a pas à me parler de la vraie raison de son départ si elle ne se sent pas capable. Je ne veux pas la brusquer. Toute ma détermination passée a disparue. Je suis complètement perdu alors me contente juste d’écouter, pour une fois. Malheureusement, le serveur revient avec notre commande, coupant la conversation, ou plutôt le monologue de Na Ya. J’attrape ma tasse fumante de lait chaud, la seule boisson chaude que je peux boire sans faire de grimace face au goût. Comme quoi, on ne change pas.

Elle continue de me parler de la raison de son départ soudain. Plus les mots sortaient de sa bouche et plus je pouvais deviner mes yeux s’écarquiller. Je voudrais lui dire d’arrêter, que c’était aussi difficile à entendre que d’en parler. Mais qui suis-je pour dire ça ? Je n’ai vécu jamais une telle souffrance. Je ne peux lui dire que je comprends la peine qu’elle a subie car je n’ai jamais connu quelque chose de semblable. Tout ce que je peux faire c’est l’écouter. Et plus je l’écoute, plus je m’en veux. Pourquoi je n’ai pas été capable d’essayer de la comprendre, de trouver une raison valable de son départ soudain et ses nouvelles qui ne venaient pas. J’étais tellement perdu dans ses paroles que je n’avais pas remarqué qu’elle avait lâché ma main. Je n’ose plus bouger, comme si le moindre geste pouvait la briser. Je n’ose même plus la regarder. Pas par dégout, mais seulement parce que j’ai honte de mon comportement avant qu’on entre dans le café. J’ai honte d’être ce que je suis, le Ji Hwa fier et égoïste alors qu’elle a souffert pendant tout ce temps.
Je reste donc figé, le regard perdu dans le vide. Bien sûr que je pourrais lui pardonner. Je lui ai déjà pardonné. Au fond de moi, je sais que c’est déjà fait. Et maintenant, c’est à moi de demander pardon. Pardon… Soudainement, j’ai comme un déclic, mon cerveau agit tout seul et je me lève brusquement, faisant racler ma chaise au sol, manquant de la faire tomber. Je reste quelques secondes debout, la fixant de mes yeux embués par les larmes qui apparaissent discrètement. Puis, avant même qu’elle ne dise quoi que ce soit, je me penche en avant, me courbant presque à quatre-vingt-dix degrés. D’ordinaire, je n’aurais jamais fait une chose pareille. Je n’aime pas me courber, avouer mes erreurs, me montrer faible. Mais ce n’est pas un cas ordinaire. Cette jeune femme n’est pas n’importe qui. C’est Na Ya, mon amie, ma mère. « Na Ya… Comment peux-tu me demander de te pardonner. » Je laisse une pause. « Avec tout ce que tu as vécu… Ça devrait être à moi d’implorer ton pardon p-pour t’avoir fait souffrir tout à l’heure. » Je reste courbé, n’osant pas relever la tête. Des sanglots d’ajoutèrent aux larmes, me serrant la gorge et rendant les mots plus difficiles à passer. « Na Ya, tu m’as tellement manqué. Je t’aime toujours autant, j’étais juste… Je sais pas. Déçu ? Mais est-ce que je peux encore l’être ? Je suis tellement désolé. Je suis désolé. » Je n’arrête pas de répéter ces derniers mots, ma voix se faisant de moins en moins forte avant de cacher mes yeux avec mes mains pour me laisser pleurer sans honte.

C’est une situation très gênante. Les autres personnes présentes dans le café nous regardent tous du coin de l’œil, je peux voir leur curiosité et leur regard choqué pour certains. Mais ça m’est égal. Je n’y fais pas attention, je ne fais attention à rien de ce qui m’entoure si ce n’est Na Ya. Même la poussette dans laquelle se trouve sa fille. Il n’y a que Na Ya, et moi. Cependant, j’aimerais ne pas être présent. Devenir un insecte, disparaitre. C’est bien la première que j’ai de telles pensées envers moi-même. Je savais que je pouvais ne pas m’aimer, ou du moins haïr le Twao en moi, mais de là, vouloir disparaitre. J’ai blessé Na Ya, je lui ai fait avouer ce qu’elle voulait garder pour elle. Je m’en veux. Enormément.

C’est pour cela, d’ailleurs, que je me retrouve dans ce café, l’avant du corps courbé à presque quatre-vingt-dix degrés. Je reste dans cette position, refusant les excuses de mon interlocutrice, pendant que cette dernière se lève à son tour. Je répète sans arrêt ce mot « désolé ». Je sais très bien qu’il peut parfois être inutile, que s’excuser tout le temps peut rendre le mot vide de sens. Mais je le dis, et je le pense vraiment. J’aurais dû réfléchir avant, je n’aurais pas dû être égoïste, mais eh ! C’est une partie de mon caractère. Je n’y peux rien. Je me gifle mentalement face à cette pensée. Encore une fois, je rejette la faute sur un trait de mon caractère. Ce n’est pas ma faute ? Qu’elle blague.
J’ai honte. Tellement honte. Mais en même temps qu’est-ce que je pouvais faire ? Je cache mon visage dans mes mains, pleurant toutes les larmes de mon corps. Je ne sais pas combien de temps je reste dans cette position, et la douleur dans mon dos ne me fait pas bouger d’un poil. Je sens une pression sur mes épaules, puis on me force à me redresser. Je garde la tête basse, ne voulant pas affronter le regard de Na Ya. Je ne le mérite pas.
Je n’ai pas le temps de faire quoique ce soit, que je sens mon corps serré contre le sien. Elle me sert fort, très fort. Je pourrais protester, lui dire qu’elle m’étouffe légèrement mais le fait que cette femme soit Na Ya, donne un effet contraire. Je n’étouffe pas, jamais avec elle. Je me sens libre, reposé, aimé. Avec elle, c’est sincère. Avec elle, je n’ai pas peur de me montrer, de dévoiler tous mes secrets. Je n’ai peur de rien. Avec elle, je suis fort.

Je lui rends l’étreinte. Je la sers comme je peux, plongeant mon visage plein de larmes dans le creux de son cou. Tant pis si je mouille ses vêtements. Mes bras passent autour de son cou, la rapprochant complètement de moi, ne voulant pas laisser ne serait-ce que quelques centimètres entre nous. Je sens son corps trembler légèrement entre mes bras avant que sa main vienne se loger derrière ma tête. Je voudrais que l’on reste dans cette position encore longtemps. Peu importe ce que les gens autour de nous peuvent penser, peu importe qu’un serveur nous demande, gentiment, de partir, je ne veux pas la quitter. Jamais. Cette femme est tout pour moi. C’est bien une des personnes les plus importantes de mon entourage, si ce n’est LA plus importante. Cependant, elle bouge, se décollant légèrement de moi. Cette fois je sais que je ne peux pas éviter son regard. Je relève la tête, hésitant, avant de plonger mon regard dans le sien.
Les paroles qu’elle prononce ont le don de me rassurer, un peu. Je ne sanglote plus, juste quelques larmes continuent lentement de s’échapper. Quelques larmes qui sont vite balayées par les doigts de Na Ya. Mes mains attrapent ses poignets doucement, comme si c’était une poupée en porcelaine qui pouvait se briser au moindre geste brusque. Je voudrais enlever ses mains de mon visage, lui dire qu’il est inutile de vouloir arrêter mes larmes mais je ne peux pas. Je ne bouge pas, pendant qu’elle s’élève un peu afin de pouvoir coller son front contre le mien.

Elle me rassure, disant que tout va bien maintenant. Que je ne dois pas être désolé pour ça, que je ne dois plus pleurer. Je la vois effacer ses larmes elle aussi avant de me souffler une phrase qui résonne encore dans ma tête.
Cette promesse. Je sens mes larmes monter de nouveau, cette fois de joie, mais je fais tout pour ne pas les laisser tomber. Je peux voir dans son regard sa détermination. Je lui fais confiance. Je sais que je peux lui faire confiance. Difficilement, je me mets à sourire. Je veux la rassurer. Je vais bien, je ne pleurerai plus, je suis fort. « Je te fais confiance. » soufflé-je, pas sûr qu’elle l’entende avant de l’inviter à se rassoir.

L’ambiance est un peu gênante, pas entre nous, mais l’ambiance générale dans le café. En même temps, après notre scène… « Euh… Ça te dit de finir nos boissons rapidement et d’aller faire cette journée shopping ? » D’habitude, j’aime être le centre d’attention, mais cette fois-là, je préfère faire profil bas.