Visite surprise

Ae Ri & Ji Hyuk
Le 3 avril 2013 à 13h58

Dormir du sommeil du juste… Malgré les apparences, cette expression ne s’applique toujours pas à moi. Je passe la quasi-totalité de mon temps à dormir, ou à somnoler, assommée par la multitude des cachets censés réduire la douleur et l’anxiété et m’aider à guérir plus vite.  Pourtant, je ne me sens jamais vraiment reposée. J’ai cette même sensation lorsque je rouvre les yeux que quand je me réveille en pleine nuit à cause d’un cauchemar. Au moins cette fois, je ne me rappelle pas de quoi j’ai rêvé. Il paraît que c’est normal, que les somnifères font cet effet. Pratique. Du coup, j’erre toute la journée, tantôt couchée dans mon lit, tantôt allongée sur le canapé. Quoiqu’il en soit, je garde très souvent Min Woon avec moi, surtout l’après-midi. Maman finit par me l’enlever dès que je m’endors mais au moins pendant un temps, je ne me sens pas seul et j’arrive à me sentir en sécurité.

Quand j’émerge sur les coups de treize heures trente, Maman est à côté de moi et caresse doucement mes cheveux. Elle nous faisait ça à Woon et moi quand nous étions petits. Ce geste a quelque chose de rassurant. Elle me couve du regard. Je lui adresse un sourire mal réveillé qu’elle me rend. Papa est au travail, mais Maman a pris quelques jours pour s’occuper de moi, ce qui a tendance à me rendre dingue. Elle vient vérifier tous les quarts d’heure que tout va bien. Je n’arrive pas à lui faire comprendre que je ne suis pas mourante et que j’ai simplement besoin de repos, et de paix. J’aime mieux Papa, il me laisse respirer. Je ne me sens pas oppressée par sa présence et son regard, malgré son inquiétude et la peine qu’il ressent à me voir ainsi souffrir, ne crie pas la pitié qu’il éprouve à mon égard. Je me redresse tant bien que mal. La télévision est allumée mais le volume est tellement bas qu’on ne comprend rien à ce qui se dit.

Maman se relève, annonçant qu’elle va prendre une douche et qu’elle a quelques courses à faire cet après-midi. Je m’étonne de ne pas l’entendre dire que la voisine ne devrait pas tarder. Je baille à m’en décrocher la mâchoire. Puis j’attrape sur la table basse la brique de jus de fruit que je n’ai pas terminée avant de m’endormir. Je monte légèrement le volume de la télévision et regarde mon portable. Je n’ai rien raté, ni appel, ni message. Dommage, ça m’aurait occupée un peu de pianoter à une main sur l’écran tactile de mon nouveau téléphone. Le bas du dos appuyé contre l’accoudoir et les jambes allongées sur le sofa, je regarde d’un œil l’écran. Je me demande si Eden va bien… Elle est toute seule ici, je crois. Elle n’a pas de famille. Est-ce qu’elle arrive à se débrouiller ? Est-ce qu’elle a quelqu’un pour s’occuper au moins un peu d’elle ? Alors que je commence instinctivement un message pour prendre de ses nouvelles, la sonnerie désagréable de l’entrée résonne dans le hall. J’entends Maman crier qu’elle ne peut pas venir ouvrir. Je me lève donc, aussi vite que possible, et traîne les pieds jusqu’à la porte d’entrée. Je galère pour ouvrir la porte, ne prenant même pas la peine de vérifier de qui il s’agit. De toute manière, ce doit être la voisine. Maman ne me laissera pas seule une seule petite minute. J’ouvre donc et me retrouve bouche bée devant une personne qui n’est manifestement pas la voisine.

« Ji Hyuk ? »

Mes petits yeux bleus fatigués s’écarquillent pour être sûrs de ce qu’ils voient. Une fois certaine que c’est lui, je reconnaîtrais entre mille son visage adorable, je sens mes pommettes qui se réchauffent.

« Qu’est-ce que… Bah… entre.»

Comme les autres, il n’est pas censé être au courant de mon accident, et il ne connaissait même pas mon adresse. Si Ae Woon le savait ici, il le tuerait. Mais Ae Woon n’est pas ici. Mais attendez… Est-ce qu’il est seulement venu pour me voir ?  

« Euh… pardon pour… pour la tenue. Je n’attendais pas de visite… »

On va dire que je ne suis pas franchement à mon avantage, emmitouflée dans un vieux pantalon de jogging gris ayant appartenu à mon frère et un tee-shirt blanc trop large réquisitionné pour ne pas gêner à l’intérieur de l’écharpe qui bloque totalement mon bras gauche, le châle orange tricoté par Maman sur mes épaules. Sans parler de ma pâleur anormale et de mes traits tirés par la fatigue.

«Tu es venu pour… me voir ? »