Nobody can escape his heart.

Choi Kyu Jung & Bang Jin Hei


- 15 juillet 2013 à 19h45 -


Courage.

Je réajuste mon long manteau noir, tout en vérifiant mon attirail. Enfilant mes gants de cuir, je saisis mon revolver, avant de l'armer méthodiquement d'un silencieux. En espérant tout de même que je n'aurais pas à m'en servir aujourd'hui. Je lève les yeux sur ma chevelure d'ébène, ramenée vers l'arrière et teinte en noir pour aujourd'hui. Disons que faire affaire avec des dealers en se pointant avec les cheveux décolorés est tout sauf crédible. Il est déjà difficile pour moi de parvenir à faire croire que j'ai vingt-six ans, alors ne poussons pas la chance trop loin. Rangeant mon arme à l'intérieur de mon manteau, j'en profite pour attraper mon téléphone portable entre mes doigts. Je souffle légèrement en rédigeant alors rapidement un SMS. Ce même SMS, que je retapais sans cesse à chacune des missions qui m'étaient confiées. Son contenu ? Trois mots. Simples, mais forts. Très forts, et porteurs d'une puissante symbolique. Trois mots d'amour. Et le destinataire ? Toujours le même depuis presque une année.

Ahn Ryu Jeong.

Ces mots que je pense pourtant, je ne peux pas les lui dire à voix haute, simplement parce que je me le refuse. Il est fiancé. Il est twao. Tant de raisons qui me pousse à faire taire les voix hurlantes de mon coeur, cherchant à me pousser un peu plus dans les bras de mon meilleur ami depuis l'enfance. Mais je ne peux pas me le permettre. Je ne m'empêche pourtant pas de poursuivre ce rituel à chaque nouvelle affaire, auquel je suis attaché. Parce que je risque ma vie, à chaque fois, et je le sais. La moitié de mes boulots sont illégales, et ce n'est pas pour rien. Et si un jour, je devais tombé au court d'une mission, il me suffirait d'appuyer sur un bouton, un seul, pour que Ryu reçoive mon message. Pour qu'il sache ce que je pense réellement de lui.

Parce que je veux qu'il soit la dernière personne à qui j'adresserais ces mots.

"Je t'aime."

Soupirant faiblement, j'enregistre le message dans mes brouillons, espérons qu’aujourd’hui encore, je n'aurais pas à l'envoyer. Je glisse ma main droite à ma mallette, tandis que la gauche enfile lentement une paire de lunette de soleil pour couvrir mes yeux. Prouver qu'un suspect est véritablement un dealer, récupérer la drogue et donner le tout à la police, sans se faire remarquer ni coincer, c'est un jeu d'enfant. Bien sûr. Évidemment. Si seulement tout se passait comme je le voulais.
J'ai hâte de retourner sous ma couette.

Pour l'heure, je m'avance et traverse la route pour m'approcher du bâtiment dans lequel j'ai rendez-vous avec mon "vendeur." Si je suis parvenu à remplir avec succès la première étape, la seconde va être beaucoup plus complexe. Convaincre un grand dealer de revendre sa drogue à un acheteur fortuné n'est pas bien compliqué. Toute la difficulté pour moi et de paraître convaincant, crédible, et surtout, repartir vivant avec la drogue, sans me faire avoir. Parce que les millions qui se trouvent dans ma mallette sont évidemment des faux. C'est ça, que de travailler seul.
Sans compter que de fabriquer des faux billets est puni par la loi. En fin de compte, je risque toute ma vie, aujourd'hui. Inspirant profondément pour ne pas y penser, je m'engouffre dans le premier couloir de l'étage. De l'extérieur, il s'agissait d'une espèce de société de management. La couverture de mon suspect, en quelque sorte. Je continue ma route, et trouve enfin l'homme que je suis censé coffrer pour de bon. Plutôt grand, puisqu'il fait presque la même taille que moi, son léger embonpoint déforme son costume, au-dessus de la ceinture, tel un cliché vivant des films américain. Avec ses bagues en or aux doigts, il me rappelle un peu les parrains de la mafia, et je chasse immédiatement cette pensée de mon esprit, n'étant pas en très bon terme avec ces derniers.

« Monsieur Lee Yo Han, je présume. »

Il me tend la main, et je fais de même, serrant ses doigts alors que le cuir de mon gant rejoint l'or de ses bagues :

« Vous présumez bien. »

Nous nous installons après deux ou trois formules d'usage, jusqu'à ce qu'il se penche vers moi. Il tend une cigarette vers ma bouche, avec l'intention de me la donner. J'arque un sourcil pendant une seconde, mais n'hésite pas longtemps avant d'entrouvrir la bouche, laissant mon nouvel associé glisser sa tige de tabac entre mes lèvres. J'en mords le filtre de mes dents, alors qu'il approche son briquet pour allumer ma cigarette. Je le laisse faire sans le quitter des yeux, des fois qu'il essaierait d'endormir ma vigilance. Le moindre faux pas, et c'est la mort. Soufflant faiblement la fumée entre mes lèvres, je me recule légèrement pour poser mon dos sur le dossier de la chaise. Ce n'est pas la première fois que je me retrouve à fumer pour le travail, et ce n'est pas plus mal, sinon je serais d'ores et déjà en train de cracher mes poumons devant l'homme face à moi. Heureusement que cette chose est toujours aussi épouvantable au goût, ça m'empêche d'en être dépendant.

« Et si nous commencions les négociations ? »

~

- 20h30 -


Une demi-heure avait suffit pour le convaincre. Bien sûr, ça fait plus de quatre mois que je travaille mon rôle, mes mots et mon attitude. Il m'a bien entendu tendu quelques pièges, mais heureusement, tout s'était déroulé sans encombre pour moi. Après l'échange des mallettes, le big boss me propose néanmoins un "rafraichissement" au dernier étage. Je n'ai pas de mal à imaginer qu'il a sans doute prévu un spectacle dont les principales actrices seraient de superbes strip-teaseuses. Après tout, c’était la meilleure façon de fidéliser un client "aussi riche" que moi, comme il le disait. Haha, s'il savait...
Ne pouvant décemment pas refuser, de peur que ma couverture soit mise en danger, j'accepte d'un hochement de tête, soufflant une bouffée de la seconde cigarette qu'il m'a forcé à prendre. J'ai vraiment hâte de rentrer chez moi.
Alors que nous nous déplaçons, je tourne à un couloir en suivant mon associé, mais tout mon corps se raidit d'un coup, trop choqué par l’apparition qui venait de se faire devant moi. En même temps, avec une allure pareille, c'est difficile de ne pas le reconnaître.

Bang Jin Hei.

Qu'est-ce qu'il fiche là ?

Il semble tout aussi surpris que moi de me voir, et m'observe de haut en bas, les yeux ronds. Sa bouche s’entrouvre, laissant échapper faiblement mon prénom. Je lui lance un regard noir, cherchant à lui faire comprendre qu'il ne doit pas le prononcer. Pas maintenant, et surtout pas ici, en présence des criminels à mes côtés. Cependant, je remercie grandement que sa voix soit si basse ; mes associés ne l'ont pas entendue. Aussi, je me dépêche de reprendre contenance, lâchant avec mépris :

« Tu n'as pas à traîner ici. »

La situation devient terriblement délicate. Mon associé darde un regard vers moi, me soupçonnant grandement. Je fronce les sourcils et me tourne vers lui à mon tour. Bras ballants, je garde le silence, jouant au jeu du dealer. Il veut faire à celui qui baissera les yeux le premier ? Bien. Ce ne sera pas moi. Il est clair qu'au moindre geste suspect, je n'hésiterais pas à lui coller une balle dans le bras. Ça le calmera.
Au contraire de ce que je croyais, il détourne le regard le premier, afin de le poser sur le mécanicien face à nous :

« Vous le connaissez ?
- Pas plus que vous.
- Alors allons-nous-en. »

Je suis plus que ravi de cette initiative, n'ayant pas vraiment envie d'entraîner un innocent dans cette histoire. Ou qu'il ne me bousille mon enquête, aussi. Ou même qu'il nous fasse carrément tuer tous les deux. Pourtant, alors que je fais volte-face pour suivre mes associés, Jin Hei réagit instinctivement et attrape mon bras. J'écarquille les yeux en me retournant, alors qu'il me regarde comme s'il s'inquiétait. Pour moi ? Nom de Dieu, quel idiot. Avant d'avoir le temps de réagir, le dealer croise les bras en voyant la scène, et lâche d'un ton froid :

« Il a l'air d'insister auprès de vous. »

Je réplique d'un rictus moqueur :

« Sûrement parce que je suis un bon coup. »

Ma plaisanterie de mauvais goût à au moins l'avantage de faire rire les criminels et de dissiper les soupçons qui pèsent sur moi. Mais mon soulagement est de courte durée, puisque le dealer se redresse de toute sa hauteur, passant sa main à sa ceinture pour y effleurer son arme :

« Il en trop vu de toute façon. Il connait nos visages. Il faut...
- Je m'en charge. »

Si je ne le fais pas, Jin Hei va mourir. Clairement, cet homme n'hésitera pas à lui coller une balle entre les deux yeux, et je n'ai pas l'intention d'assister à ça sans réagir. Aussi, sans lâcher mon ami du regard, je glisse ma main gantée à l'intérieur de ma veste, avant d'en sortir mon arme, chevauchée d'un silencieux. Le canon baissé vers le sol au départ, j'observe le patron de garage, qui semble encore plus surpris, voir légèrement paniqué par ce qui est en train de se passer. Compréhensible.

Je suis désolé.

Sans plus de cérémonie, je lève le bras vers lui, et tire. Une balle, une seule, qui fuse vers l'homme face à moi, traversant son épaule droite d'un coup sec. Le corps de Jin Hei est projeté vers l'arrière sous l'impact, et il perd l'équilibre, tombant au sol d'un bruit sourd. Je l'entends geindre de douleur, faiblement, alors que le dealer derrière moi croise les bras, me fixant des yeux d'un air méfiant :

« Vous ne le tuez pas ? »

Je range mon arme fumante à sa place, avant d'entrouvrir les lèvres, laissant tomber la cigarette au sol. L'écrasant du talon d'un geste sec, je tente de paraitre le plus détaché possible en annonçant :

« Je veux d'abord savoir tout ce qu'il sait, et lui extirper le maximum d'informations avant de l'achever. S'il est venu avec quelqu'un ou c'est un agent des stup' infiltré, il est peut-être sur écoute. On ne sait jamais. »

Étonnamment, mon excuse marche, et mon vendeur salue mon efficacité, avant de me faire savoir qu'il m'attendrait dans le grand salon du dernier étage. Je les salue d'un signe de tête, avant de m'approcher de Jin Hei, prit de légères convulsions. Sans compassion, je l'attrape par le col et le traîne à même le sol derrière moi, ne faisant qu'accentuer sa douleur. Je me mords discrètement la lèvre, soufflant une excuse à mi-voix, et continue ma route jusqu'à atterrir dans la salle d'en face. Cette fois, je la verrouille, et une fois bien fermée, je me précipite vers mon ami pour l'aider :

« Jin, respire. Ça va aller. »

Sans plus de précaution, j'agrippe son col entre mes doigts et déchire le tissu, afin de mettre sa blessure à l'air libre. Même si aucun organe vital n'est touché, le sang coule abondamment. Je prends un bout de tissu déchiré et le compresse contre la blessure de mon ami, ce qui lui arrache un nouveau gémissement, me faisant tressaillir d'une vague de culpabilité. Je lui indique d'appuyer dessus, afin de calmer l'hémorragie, et en profite pour saisir mon portable, cherchant à prévenir une ambulance. Et en même temps, je ne peux m'empêcher d'ajouter :

« Je suis désolé...J'ai pas eu le choix, c'était pour te sauver. »

- 20h30 -

Jin Hei soupira, passant sa main sur l'arrière de son crâne. C'était typiquement le genre de chose qu'il n'aimait pas faire ; se baladait jusqu'on-ne-sait-où pour rendre les clés à un gros client qui n'est pas en mesure de se déplacer. Il était très rare que Jin Hei accepte ce genre de requête, mais ce soir, spécialement, comme il n'avait rien d'autre à faire et qu'il passait de toute façon dans cette rue pour se rendre chez lui, il avait décidé de rendre service. Heureusement, le grand bâtiment était visible de loin, et le jeune homme s'empressa d'y entrer, avant de chercher ledit client.
Grimpant les marches deux à deux, il trouva finalement le directeur de management à qui il rendit les clés, tout en lui expliquant deux-trois points techniques. Après les salutations de rigueur, Jin Hei retourna dans le couloir, avec l'optique de rentrer chez lui et prendre une bonne douche. Malheureusement, son doux programme fut mis à mal par la simple vision d'une personne, une en particulier.

Kyu Jung.

C'était à peine s'il le reconnaissait. Devant lui, le garçon à l'habituelle chevelure rose bonbon était aujourd'hui tout de noir vêtu. Ses cheveux sombres étaient délicatement ramenés vers l'arrière, donnant une version plus âgée et plus mature de lui-même. Et que dire de la cigarette qui décorait sa bouche ? Jin Hei ne connaissait pas le jeune homme sur le bout des doigts, mais ce qu'il avait bien compris, c'est qu'il n'aimait pas le tabac. Sans parler de cette mallette, et ces gants noirs. Mais que diable fichait-il ici ? Et loin d'être tout seul, d'ailleurs. Les hommes qui accompagnaient le détective n'avaient pas l'air très fréquentables, et cela ne rassura pas vraiment Jin Hei.

« Kyu Jung...? »

Le regard noir et menaçant que lui décocha l'interpellé fit presque frissonner le garagiste. Cependant, il fronça légèrement les sourcils. Il n'aimait pas vraiment son attitude, même si elle était sans doute justifiée...

« Tu n'as pas à traîner ici. »

Jin Hei ouvrit légèrement la bouche, mais aucun son n'en sortait. Jamais, Kyu Jung ne s'était adressée à lui de façon si glaciale. Et pour cause, il n'était pas tout seul. Le mécanicien crut comprendre un instant que le détective était en plein travail, mais malgré tout, il avait du mal à tout saisir. Comment l'aurait-il pu, aussi ? Rien n'était clair. Et le regard sombre du ténébreux face à lui ne l'aidait pas vraiment à réfléchir. Et surtout, en voyant le détective planter son regard dans celui qui semblait être son suspect, il ne le reconnut pas. Kyu Jung ne bougeait pas. Ses bras calmement baissés le long du corps, il demeurait immobile et silencieux. Il observait son adversaire sans faire le moindre geste. Ce dernier aurait pu être une enfant innocente tout comme un vieillard malade, sa réaction aurait était identique. Il regardait son vis-à-vis comme s’il ne représentait pas le moindre danger pour sa vie. Et c’était le cas. Pour l'avoir vu en mission, il le savait, Kyu Jung était tout sauf inoffensif.
Où était passé le grand dadais de détective dont il avait l'habitude ?

Ce dernier tourna justement la tête vers le mécanicien :

« Vous le connaissez ?
- Pas plus que vous.
- Alors allons-nous-en. »

Jin Hei se tendit légèrement, à la vision que Kyu Jung lui offrait. Même s'il ne comprenait rien, une chose était sûr, voir son ami entouré par ces hommes peu recommandables ne lui plut pas. Son sang ne fit qu'un tour, et mue par son instinct de protection, il attrapa le bras de Kyu Jung pour l'empêcher de partir. Il n'eut pas le temps d'en dire davantage, que déjà le premier homme aux allures de mafieux croisaient les bras, ne présageant rien de bon.

« Il a l'air d'insister auprès de vous.
- Sûrement parce que je suis un bon coup. »

Jin Hei cligna des yeux, totalement perdu par les mots des deux hommes. Mais qu'est-ce qu'il se passait, ici ? Il frissonna légèrement en voyant l'homme avec une arme à la ceinture, chose qu'il n'avait pas pu noté auparavant puisqu'elle était caché sous sa veste de costume. Dans quoi avait-il mit les pieds...?

Kyu Jung faisait décidément un métier bien trop dangereux.

« Il en trop vu de toute façon. Il connait nos visages. Il faut...
- Je m'en charge. »

Jin Hei cligna des yeux, loin de saisir toute l'étendue de la discussion qui se déroulait devant lui. Par contre, il comprit qu'il était réellement en mauvaise posture en voyant le bras armé de Kyu Jung se lever vers lui. Ayant à peine le temps de bloquer son souffle, le mécanicien écarquilla les yeux, alors qu'une puissant brûlure entrait en une poussait sous sa peau. Le bruit sourd et étouffé du coup de feu eut à peine le temps de résonner aux creux de ses oreilles, que déjà Jin Hei se retrouvait projeté au sol par une force inconnue. Le souffle coupé, les paupières ouvertes au maximum, il se cambra au sol au ralenti, gémissant faiblement :

« H... »

La douleur était presque irréel tant elle était insoutenable. Incapable de soulager son épaule lancinante, il roula sur le côté, se recroquevillant en position fœtale tout en posant sa main gauche sur sa plaie douloureuse, cherchant à atténuer la douleur sans y parvenir. Son corps tremblant ne répondait plus, tout son cerveau étant connecté sur la souffrance foudroyante qu'il ressentait. Haletant, il tenta de se reprendre, ou au moins de réagir, sans vraiment y parvenir. A quelques mètres de lui, la discussion se poursuivait, mais le mécanicien n'y fit pas attention, jusqu'à ce qu'une phrase le heurte de plein fouet.

« Vous ne le tuez pas ? »

Le coeur de Jin Hei cessa de battre pendant un court instant, lui faisant presque oublier la douleur pendant une demi-seconde. Tuer ? Est-ce que tout ceci était sérieux ? Il ne voulait pas mourir. Pas maintenant, pas aujourd'hui, pas si tôt.

Pas sans avoir revu Sung Ki.

La voix froide et sans émotion de Kyu Jung attira son attention, et il tenta difficilement de lever les yeux, sans y parvenir pour autant. Il ne fit que ses grandes jambes, ce dernier s'approchant du pauvre corps tremblant du mécanicien, bien incapable de faire quoi que ce soit.

« Je veux d'abord savoir tout ce qu'il sait, et lui extirper le maximum d'informations avant de l'achever. S'il est venu avec quelqu'un ou c'est un agent des stup' infiltré, il est peut-être sur écoute. On ne sait jamais. »

Jin Hei ressentit une décharge douloureuse courir le long de son épaule, remontant à sa nuque alors que Kyu Jung agrippait son col. Se sentant traîner, le mécanicien écarquilla les yeux comme il ne l'avait jamais fait jusqu'à lors, en voyant une traînée de sang pour le moins inquiétant devant lui. Est-ce que c'était vraiment le sien ? Il y en avait une telle quantité qu'il manqua de tourner de l'oeil, mais la douleur le força à rester éveillé. Et tant mieux, puisqu'ainsi, il avait pu entendre distinctement les premières excuses du détective, soufflées à mi-voix avec une pointe de remords. Au bout d'une minute, il remarqua qu'ils se trouvaient dans une salle, bien que l'endroit lui paraissait très flou. Kyu Jung s'abaissa à sa hauteur, son comportement changeant alors du tout au tout :

« Jin, respire. Ça va aller. »

Respirer, il le faisait. Et à une telle vitesse qu'il avait l'impression d'avoir couru le marathon. Une fine pellicule de sueur commença à recouvrir la surface de sa peau, son front et son cou. Il n'eut pas le temps de réagir que déjà Kyu Jung arrachait son haut pour observer la plaie. D'après ce que comprenait Jin Hei, la balle n'avait fait que le traverser. Et heureusement, parce que si elle était rester logée dans son épaule, les complications entraînées l'aurait peut-être rendu invalide...Ou pire encore.
Ne voulant pas y penser, Jin Hei fut de toute façon interrompu dans le fil de sa réflexion, la douleur se réveillant d'un coup :

« Hmph... »

Serrant les paupières avec force pour retenir ses larmes, causées par la douleur, le mécanicien parvint à se reprendre après une dizaine de secondes, et rouvrit les yeux pour voir que Kyu Jung appuyait sur sa blessure, faisant une compresse avec du tissu. Préférant suivre les directives du jeune génie, il fut bien obligé d'appuyer lui-même sur sa propre blessure pour calmer un minimum l'hémorragie. Il n'avait pas tellement envie de mourir de cette manière. Heureusement, Kyu Jung était déjà en train de prévenir une ambulance.

« Je suis désolé...J'ai pas eu le choix, c'était pour te sauver. »

Jin Hei eut le souffle coupé un instant, se redressant pour appuyer son dos contre le mur, tout en murmurant d'un air un poil sarcastique :

« En me tirant dessus ? » Il grimaça de douleur, avant de grogner faiblement « Soit gentil, la prochaine fois...Ne me sauve pas. »

Il soupira doucement, tentant de calmer sa respiration désordonnée avec difficulté. Jin Hei posa ensuite doucement l'arrière de son crâne contre la surface lisse derrière lui, regrettant d'avoir quitté son lit plus tôt dans la matinée. Y'avait des jours comme ça, mieux valait rester couché...
Pourtant, son agacement se calma en croisant le regard de Kyu Jung. Il avait l'air sincèrement désolé et inquiet, un voile de culpabilité dansant dans ses grands yeux noisettes. Aussitôt, Jin Hei se détendit légèrement, n'étant de toute façon pas d'un naturel très rancunier. Continuant d'appuyer sur sa blessure, ses réflexes de "grand frère protecteur" reprirent le dessus, et il tenta de rassurer le jeune homme devant lui :

« Ne t'en fais pas. J'ai quelqu'un à séduire avant de mourir, alors je suis motivé... »

Il remarqua l'air surpris de son ami, ce dernier relevant les yeux vers lui avec une lueur de curiosité. Si le garagiste n'avait pas aussi mal, il aurait trouvé la force de sourire. Ça ne changeait pas, Kyu Jung avait toujours été doté de cette qualité depuis longtemps : sa grande curiosité. En même temps, il s'agissait d'une compétence essentielle pour être enquêteur privé. Décidé à faire la conversation, si ça pouvait lui faire oublier un petit peu la douleur et faire passer le temps plus vite, Jin Hei lâcha dans un souffle :

« On en avait déjà discuté...Et tu m'avais demandé de te prévenir le jour où je trouverais mon âme soeur, tu te rappelles ? Eh bien, c'est fait. »

Il savait que le sujet intéressait beaucoup Kyu Jung, mais ne s'attendait pas à une telle avalanche de question. A la fois surpris et amusé, il eut un très faible rire, qu'il regretta aussitôt, alors que la douleur reprenait les droits sur son corps. Combien de temps ça mettait à arriver, une ambulance ? Secouant la tête, il tenta de répondre à chacune des questions du détective, même s'il mériterait bien de rester dans le flou, après ce qu'il lui avait fait subir.

« C'est un homme...On a un peu près le même âge. Comment il...Quoi ? Comment il est ? Ce serait trop long à expliquer...Juste...Euh...Complexe ? On va dire ça comme ça. »

Peut-être que la fièvre le faisait un peu délirer, mais il était clair que décrire un homme comme Tae Sung Ki était difficile. Et pourtant, rien que d'y penser, ses lèvres recommencèrent à parler d'elles-mêmes, alors que l'image du procureur se frayait un chemin dans son esprit :

« C'est quelqu'un d'intéressant. Un peu bourru, sans doute. Il fait effrayant au premier abord, mais on ne peut pas lui ôter le fait qu'il ait beaucoup d'allure. Je ne l'ai jamais vu sourire. » Enfin, de son côté, il ne se souvenait pas non plus avoir sourit sincèrement en sa présence, lui non plus. Les circonstances de chacune de leurs rencontres ne le permettaient pas. « Son parfum est irrésistible...J'ai l'impression de le connaître depuis toujours, mais de ne rien savoir à son sujet, c'est troublant. Il a deux soeurs mais...Parfois, il a l'air incroyablement seul. »

Le mécanicien remarqua que Kyu Jung s'était assis face à lui, en silence, sans l'interrompre. Comprenant qu'il pouvait continuer, Jin Hei grinça à cause de sa blessure, mais reprit faiblement :

« Il m'obsède. En ce moment, dès que je ferme les yeux, c'est son visage qui apparait dans mon esprit. J'ai envie de savoir de quoi sa vie est faite, précisément. Si elle lui apporte du bonheur de cette façon, ou si c'est totalement l'inverse. Je crois...Que j'ai envie de tout connaître de lui. Ce qu'il aime manger, ce qu'il fait de son temps libre, et quel genre de pensée le fait sourire. Ce qu'il pense de moi, aussi. Quelque part, si j'écoutais cette voix en moi, je passerais ma vie à rêver de lui, imaginer ce qui le fait tenir en vie, et s'il respire pour quelqu'un ou quelque chose de précis. Et si un jour, il compte me donner de l'importance, ou si je dois passer le reste de mon existence à espérer des choses qui n'arriveront jamais ailleurs que dans mes songes. »

Jin Hei ferma un instant les paupières. Comment le lui avait dit Soo Jin déjà ? Ah oui. "Jin Hei, tu fais un peu pathétique..." Oui. C'était le mot.

Pathétique, il l'était.

« Je suis désolé...J'ai pas eu le choix, c'était pour te sauver. »

Je l’observais d'un air désolé, encore choqué d'avoir réussit à tirer une belle sur un de mes propres amis. Ce poids de culpabilité, je vais le ressentir encore longtemps, je le sais.

« En me tirant dessus ? » Je me mords ma lèvre alors qu'il gémit de douleur « Soit gentil, la prochaine fois...Ne me sauve pas.
- C'est noté. »

Je vois Jin Hei poser sa tête contre le mur, alors que sa respiration saccadée se calme très légèrement. Au moins, on sait qu'il n'y restera pas, c'est l'essentiel. Je jette un oeil à l'heure, espérant que l'ambulance est bien en route. Au pire, il n'en gardera qu'une cicatrice...
Je croise son regard pendant un instant, et aussitôt, le visage du garagiste se décrispe un peu, une expression plus douce prenant place sur ses traits. Je l'observe avec surprise, alors qu'il s'adoucit un peu plus, lâchant d'une voix qui se voulait rassurante :

« Ne t'en fais pas. J'ai quelqu'un à séduire avant de mourir, alors je suis motivé... »

Quelqu'un à séduire ?

Je le détaille avec surprise, sans comprendre. Séduire ? D'aussi loin que je me souvienne, il n'est pas en couple actuellement. J'ai cru comprendre qu'une de ses amies proches lui tournait autour, mais je ne crois pas que ce soit d'elle qu'il s'agisse, si ? Maintenant, je suis curieux, et ne peux m'empêcher de lâcher :

« C'est à dire...? »
- On en avait déjà discuté...Et tu m'avais demandé de te prévenir le jour où je trouverais mon âme soeur, tu te rappelles ? Eh bien, c'est fait. »

J'écarquille les yeux, plus que stupéfait. Comment peut-il annoncer cela avec tant de facilité ? Le coeur battant, j'observe le seul twao que je connaisse qui ait trouvé son âme soeur, et ma bouche réagit plus vite que le reste :

« Sérieux ? Raconte ! Comment elle est ? C'est un homme ou une femme ? Elle a quelle âge ? Comment vous vous êtes rencontrés ? Dans quelles circonstances vous vous êtes trouvés ? Qu'est-ce que tu penses d'elle ? »

J'en oublie presque ma mission, le lieu, l'endroit où nous nous trouvons, et sa blessure. Je suis plus qu'intéressé par ce qu'il a à m'apprendre, parce que j'ignore tout de ce processus. Comment c'est, pour un twao, de trouver son âme soeur ? Quel genre de sensation ça apporte ? Il ne me suffit que d'une minute pour voir le changement dans le regard du mécanicien. Ses yeux brillent d'une intensité que je ne lui avais jamais vu, et cette simple vision suffit à résumer l'état dans lequel il se trouve.

« C'est un homme...On a un peu près le même âge. Comment il...Quoi ? Comment il est ? Ce serait trop long à expliquer...Juste...Euh...Complexe ? On va dire ça comme ça. »

J'hoche la tête, concentré, et préfère ne pas l'interrompre, bien qu'à chacune de ses réponses, une foule de question se pressent dans ma gorge.

« C'est quelqu'un d'intéressant. Un peu bourru, sans doute. Il fait effrayant au premier abord, mais on ne peut pas lui ôter le fait qu'il ait beaucoup d'allure. Je ne l'ai jamais vu sourire. » Enfin, de son côté, il ne se souvenait pas non plus avoir sourit sincèrement en sa présence, lui non plus. Les circonstances de chacune de leurs rencontres ne le permettaient pas. « Son parfum est irrésistible...J'ai l'impression de le connaître depuis toujours, mais de ne rien savoir à son sujet, c'est troublant. Il a deux soeurs mais...Parfois, il a l'air incroyablement seul. »

Je ne peux retenir un léger sourire au coin de mes lèvres. Apparemment, Jin Hei semble déjà totalement épris de cet homme.

« Il m'obsède. En ce moment, dès que je ferme les yeux, c'est son visage qui apparait dans mon esprit. J'ai envie de savoir de quoi sa vie est faite, précisément. Si elle lui apporte du bonheur de cette façon, ou si c'est totalement l'inverse. Je crois...Que j'ai envie de tout connaître de lui. Ce qu'il aime manger, ce qu'il fait de son temps libre, et quel genre de pensée le fait sourire. Ce qu'il pense de moi, aussi. Quelque part, si j'écoutais cette voix en moi, je passerais ma vie à rêver de lui, imaginer ce qui le fait tenir en vie, et s'il respire pour quelqu'un ou quelque chose de précis. Et si un jour, il compte me donner de l'importance, ou si je dois passer le reste de mon existence à espérer des choses qui n'arriveront jamais ailleurs que dans mes songes. »

J'écarquille faiblement les yeux, en entendant les mots de Jin Hei. J'ai l'impression que chacun d'entre eux se gravent dans ma peau, tant ils sont forts, et prononcés avec une telle assurance. Je ne l'ai jamais entendu parler de quelqu'un de la sorte, jamais. Et pourtant, j'ai connu deux de ses relations, avec qui il avait pourtant l'air heureux. Mais là, ça n'a plus rien à voir. Cet homme a ravagé son coeur.

« Tu as l'air totalement mordu. »

Quand je l'écoute, je ne peux m'empêcher d'avoir le coeur serré. Il suffit de voir la lueur qui brille dans ses yeux pour comprendre. En trouvant son âme soeur, il s'est découvert lui-même, dans son entièreté. Est-ce que je retrouverais la même lueur un jour, dans le regard de mon meilleur ami ? Cette idée me terrifie. Je serais incapable de soutenir un tel regard. Pas avec une telle lueur dans les pupilles de velours de Ryu. J'inspire faiblement en me rappelant d'un instant en particulier, six ans auparavant. Je voudrais me souvenir de cette sensation. Je voudrais la saisir et de ne jamais être capable de l'oublier. Je me rappelle de nos souffles brûlants qui s'écrasent l'un contre l'autre. Je me souviens de nos regards, guettant les réactions de l'autre, alors que la tentation pécheresse et interdite nous vrillait l'estomac. Nous n'avions jamais été si proches, avant ça. Cette même envie que nous ressentions, dans les bras l'un de l'autre, en parfaite symbiose, était absolument délicieuse. Je ressens encore l'hésitation, son coeur palpitant contre le mien, enflammant mes sens. C'était un début parfait pour une histoire, mais quelle histoire ? Aucune... C'était un instant sans suite, et nous le savions tous les deux, ça se reproduira pas.
Pourtant, j'insiste encore aujourd'hui. Je voudrais me souvenir de cette sensation, et la retenir pour toujours, parce que c'est la seule chose à laquelle je peux encore m'accrocher.
Relevant les yeux, je me décide à me concentrer sur Jin Hei, et ses mots.

« Ce que je trouve bien dans ce que tu me dis...C'est que ce n'est pas simplement parce que c'est ton âme soeur, que tu t'y intéresses. Tu me donnes l'impression que c'est l'homme en lui-même que tu cherches à saisir. C'est plutôt une bonne chose. Au fond, on tombe amoureux d'une personne selon ses caractéristiques. Il suffit d'un regard différent, d'un rire à part, d'un esprit décalé ou une façon de pensée inhabituelle. Une vision du monde différente, ou nouvelle. Ce sont des petits détails qui change totalement selon les personnes...Par exemple...La petite ride qui se creuse lorsqu'il fronce légèrement les sourcils d'un air agacé, la blancheur de ses jolies dents lorsqu'il lâche un rire clair. Sa façon d'utiliser ses mains pour illustrer les détails du dernier pays qu'il a visité, ou simplement le son de sa voix lorsqu'il prononce ton prénom... »

Je souffle faiblement, n'osant même pas relever les yeux. Nous nous sommes rendus compte tous les deux à quel point je viens de dériver en décrivant une nouvelle fois mon meilleur ami. Pourquoi il ne veut pas se résoudre à sortir de mon esprit ne serait-ce que quelques heures ?
Secouant la tête, j'oublie une seconde mon meilleur ami pour me concentrer sur Jin Hei. Il hésite ? Mais pourquoi ? :

« Il y a une chose que j'ai compris. Il y a des êtres foncièrement mauvais sur cette planète. Des êtres à qui tu donneras ta confiance et qui vont te décevoir. D'autres, qui te tourneront le dos alors que tu avais désespérément besoin qu'ils te tendent la main. Ils vont parfois pousser le vice encore plus loin, et t'écraser le visage contre le sol, afin de te faire sentir que tu n'es qu'une petite chose sans importance. Un second choix qu'on oublie systématiquement. Ils vont t'arracher le coeur, et s'en servir comme serpillière pour y essuyer leurs pieds. Ils vont te donner envie de te glisser sous tes draps et de ne jamais te réveiller, ils vont se moquer de toi, se moquer de tes sentiments. Mais il suffit d'une rencontre, une, pour te transformer. Il suffit d'une personne pour t'apporter la lumière. Pour t'apprendre à nager quand tu as l'impression de te noyer dans ta tristesse. Si tu pleures trop parce que tu as perdu ton soleil, tes larmes t’empêcheront de voir les étoiles. Et je pense qu'une âme soeur représente tout ça. Une personne qui t'aime comme aucun autre ne le fera jamais, peut t'apporter tellement plus. Cet homme auquel tu penses, je suis certain qu’il peut tout te donner, si tu te donnes la peine de lui prouver que tu es exceptionnel et que tu le mérites. Peut-être qu'il ne te fera pas rêver les yeux ouverts, mais il aura le pouvoir de rendre l'air que tu respires, bien meilleur. Connaître quelqu'un sur le bout des doigts, c'est un don encore plus précieux que le plus incroyable des voyages au bout du monde. Tu veux vraiment prendre le risque de rater tout ça en abandonnant trop tôt ? »

Il me regarde pendant de longues minutes en silence, comme réfléchissant à mes mots. Peut-être que mon charabia ne veut pas dire grand-chose, mais je ne suis pas forcément de très bon conseil et je pense qu'il le sait, pour être au courant de chaque détail de ma propre et désastreuse histoire d'amour. Et puis je les entends, dans son souffle silencieux, toutes les raisons qui le font douter. Je peux comprendre ça. Je suis très bien placé pour ça, crois moi.

« Ce que je veux dire....C'est que tu penses trop aux complications tout autour. Je comprends ça, bien sûr, mais retiens une chose, Jin Hei. Oublie toutes les raisons pour lesquelles cela ne fonctionnera pas, et crois en la seule raison pour laquelle cela fonctionnera. »

Je souffle doucement, continuant d'observer mon ami, duquel j'ai attiré toute l'attention. Par contre, je ne m'attendais pas à ce qu'il me retourne mes mots. Il veut savoir, pour moi. Ah, oui, c'est vrai. Notre deal. Parle moi de ton histoire et je te dirais ce que tu veux savoir sur les twaos. Très bien.

« Je pense que c'est un regard qui décide de tout. Tu regardes une personne que tu pensais connaître, et soudain ça arrive, quelque chose se déclenche, quelque chose d'indéfinissable. A ce moment-là, tu sais que les choses vont changer, elles ont même déjà changées. Et à partir de là, plus rien ne sera jamais pareil. C'est ce qu'il m'est arrivé avec Ryu Jeong. Il parait qu'on ne se rend compte de la valeur de ce qu'on perd une fois que nous ne l'avons plus à nos côtés. Je pense que nous savons parfaitement ce que nous avons, mais que nous nous attendons simplement pas à la perdre. Et quand je l'ai perdu, c'est simplement l'évidence qui m'a frappé de plein fouet. J'étais déjà amoureux avant qu'il ne parte. »

Et dieu que je le regrettais, de ne pas le lui avoir dit, sur cette plage. Peut-être que ces mots-là auraient su le retenir. Au fond de moi, je le sais.

« Quand je regarde Ryu, J'ai l'impression d'avoir trouver une raison laquelle me battre. Comme si j'étais tombé sur cette étincelle qui m'enlève l'envie de tout quitter, celle qui redonne un sens à tout ce désordre qu'était ma vie. » J'ajoute doucement « Et je suis prêt à parier que tu comprends parfaitement ce sentiment. Je me trompe ? »

J'esquisse un sourire en voyant mon ami baisser les yeux, n'ayant aucun mal à deviner à quoi il pense. Mais il se fourvoie. Il est clair qu'il a trouvé la personne qu'il lui fallait, et au fond, si le type en question est prêt à bousiller ses chances d'être avec un homme qui l'aime à ce point, il va simplement gâcher sa vie. Aussi, plongeant mes yeux dans ceux de Jin Hei, je n'hésite pas à répliquer :

« Tu sais ce qu'on dit ? Il est difficile de vaincre une personne qui n’abandonne jamais. Alors continues de te battre pour lui, et tu verras ce qui t'attends au bout du chemin. »

« Tu as l'air totalement mordu.
- Je le suis. »

Jin Hei ne pouvait pas vraiment le nier. Il ne pouvait pas mettre de mots exacts sur ce qu'il ressentait pour Tae Sung Ki, mais il était clair que c'était bien plus fort que ce qu'il croyait. Son coeur tombait en chute libre lorsque Sung Ki faisait l'effort de le regarder dans les yeux, alors clairement, il ne pouvait pas répondre négativement aux mots de Kyu Jung.

« Ce que je trouve bien dans ce que tu me dis...C'est que ce n'est pas simplement parce que c'est ton âme soeur, que tu t'y intéresses. Tu me donnes l'impression que c'est l'homme en lui-même que tu cherches à saisir. C'est plutôt une bonne chose. Au fond, on tombe amoureux d'une personne selon ses caractéristiques. Il suffit d'un regard différent, d'un rire à part, d'un esprit décalé ou une façon de pensée inhabituelle. Une vision du monde différente, ou nouvelle. Ce sont des petits détails qui change totalement selon les personnes...Par exemple...La petite ride qui se creuse lorsqu'il fronce légèrement les sourcils d'un air agacé, la blancheur de ses jolies dents lorsqu'il lâche un rire clair. Sa façon d'utiliser ses mains pour illustrer les détails du dernier pays qu'il a visité, ou simplement le son de sa voix lorsqu'il prononce ton prénom... »

Jin Hei garda le silence, écoutant les mots de son ami. Et il était ravi de constater que ce dernier avait compris que oui, Jin Hei s'intéressait aussi à Sung Ki pour ce qu'il était, et pas uniquement parce qu'il s'agissait de son âme soeur. Selon des caractéristiques, qu'il disait ? Oh, pour ça, il en voyait déjà un paquet chez celui qui l’intéressait. Tout d'abord, il adorait l'odeur de sa peau, accompagné d'un parfum de pluie. peut-être était-ce une façon d'annoncer l'orage intérieur qui ravagerait le coeur de Jin Hei, à chaque fois qu'ils se croisaient ? Et pourtant. Il avait du mal à se passer de son odeur charnelle. Tout comme ses yeux. Les yeux d'ébène de Tae Sung Ki étaient sans nul doute les plus beaux que Jin Hei avait eut la chance de croiser. Ne serait-ce que dans son regard énervé. Jusqu'à la manière qu'il avait d'hausser son sourcil lorsqu'il entendait le mécanicien parler.

Je suis complètement maso.

Jin Hei oublia un instant son masochisme aïgue, intrigué par les derniers mots de Kyu Jung. En se concentrant dessus, il n'eut aucun mal à comprendre que le jeune homme s'était perdus dans ses propres sentiments. Il suffisait de voir de la façon dont il parlait de son meilleur ami... Aussi, il ne put s'empêcher de lâcher :

« Toujours aussi fou de Ryu Jeong, hein...? »

Kyu Jung soupira doucement, ne relevant même pas les yeux vers son ami. Refusant à priori de répondre, Jin Hei ne s'en offusqua pas, poursuivant la conversation en soufflant un peu pour lui-même :

« Tu sais, en soi...Il m'arrive d'hésiter, moi aussi. »

Le détective mit ses pensées de côté pendant un instant, et releva finalement les yeux, poursuivant sa tirade d'une voix aussi douce que déterminée :

« Il y a une chose que j'ai compris. Il y a des êtres foncièrement mauvais sur cette planète. Des êtres à qui tu donneras ta confiance et qui vont te décevoir. D'autres, qui te tourneront le dos alors que tu avais désespérément besoin qu'ils te tendent la main. Ils vont parfois pousser le vice encore plus loin, et t'écraser le visage contre le sol, afin de te faire sentir que tu n'es qu'une petite chose sans importance. Un second choix qu'on oublie systématiquement. Ils vont t'arracher le coeur, et s'en servir comme serpillière pour y essuyer leurs pieds. Ils vont te donner envie de te glisser sous tes draps et de ne jamais te réveiller, ils vont se moquer de toi, se moquer de tes sentiments. Mais il suffit d'une rencontre, une, pour te transformer. Il suffit d'une personne pour t'apporter la lumière. Pour t'apprendre à nager quand tu as l'impression de te noyer dans ta tristesse. Si tu pleures trop parce que tu as perdu ton soleil, tes larmes t’empêcheront de voir les étoiles. Et je pense qu'une âme soeur représente tout ça. Une personne qui t'aime comme aucun autre ne le fera jamais, peut t'apporter tellement plus. Cet homme auquel tu penses, je suis certain qu’il peut tout te donner, si tu te donnes la peine de lui prouver que tu es exceptionnel et que tu le mérites. Peut-être qu'il ne te fera pas rêver les yeux ouverts, mais il aura le pouvoir de rendre l'air que tu respires, bien meilleur. Connaître quelqu'un sur le bout des doigts, c'est un don encore plus précieux que le plus incroyable des voyages au bout du monde. Tu veux vraiment prendre le risque de rater tout ça en abandonnant trop tôt ? »

Jin Hei en eut presque le souffle coupé. Depuis quand Kyu Jung était-il capable de parler comme ça ? Il avait presque l'impression qu'il s'agissait d'un récit de sa propre histoire personnelle, tant ses mots étaient choisis avec soin et force. Kyu Jung parlait avec une détermination telle que le mécanicien aurait presque pu dire "Amen" à chacun de ses mots, si la situation ne l'en empêcher pas. Le détective lui avait tiré dessus, tout de même, et Jin Hei ne risquait pas de l'oublier, avec cette douleur qui le brûlait sans cesse. En revanche, ses mots résonnèrent en lui. Une rencontre peut tout changer ? Oh ça oui. Il était très bien placer pour le savoir...

"Il aura le pouvoir de rendre l'air que tu respires, bien meilleur."

C'était déjà le cas. Même si....

« Oui, c'est bien beau....Pourtant, il y a une chose qui pose problème. J'ai séduit sa petite soeur et rien que pour ça, je ne serais sans doute jamais rien de sérieux à ses yeux... »

Parce qu'il avait sa soeur. Parce qu'il ne la ferait sans doute pas souffrir, surtout pas pour une âme soeur pot de colle dont il ne voulait pas, pas vrai ? Sans compter que Jin Hei avait embrasser la cadette de Sung Ki sous ses yeux. Il ne le croirait pas s'il disait que Sung Ki était le seul à avoir bouleversé son coeur, pas vrai ? Le Faucheur ne semblait pas être du genre à s'émouvoir sur de tels mots.

« Ce que je veux dire....C'est que tu penses trop aux complications tout autour. Je comprends ça, bien sûr, mais retiens une chose, Jin Hei. Oublie toutes les raisons pour lesquelles cela ne fonctionnera pas, et crois en la seule raison pour laquelle cela fonctionnera. »

Jin Hei arqua un sourcil. Il était d'accord sur le fond, mais c'était plus facile à dire qu'à faire...Pas vrai ?

« Tu pourras te permettre de me donner de tels conseils quand tu les appliqueras, détective Choi... »

C'était dit sans ironie. Au contraire, Jin Hei avait un peu de peine pour Kyu Jung, par moment, quand il le voyait, quand il l'entendait parler d'Ahn Ryu Jeong avec tant d'ardeur, tant d'amour. Il ne savait pas vraiment si ses sentiments étaient partagés, mais leur relation avait l'air trop compliquée, et trop intense pour qu'elle puisse se régler d'un claquement de doigt. Et ça faisait six ans que ça traînait. Trois mots suffiraient pour tout régler...Mais ça, le mécanicien se garda bien de le dire. Il était mal placé pour juger, autant que pour parler. Parce que sa propre relation avec son âme soeur était loin d'être un empire de paix, de sérénité et d'amour.

« Je pense que c'est un regard qui décide de tout. Tu regardes une personne que tu pensais connaître, et soudain ça arrive, quelque chose se déclenche, quelque chose d'indéfinissable. A ce moment-là, tu sais que les choses vont changer, elles ont même déjà changées. Et à partir de là, plus rien ne sera jamais pareil. C'est ce qu'il m'est arrivé avec Ryu Jeong. Il parait qu'on ne se rend compte de la valeur de ce qu'on perd une fois que nous ne l'avons plus à nos côtés. Je pense que nous savons parfaitement ce que nous avons, mais que nous nous attendons simplement pas à la perdre. Et quand je l'ai perdu, c'est simplement l'évidence qui m'a frappé de plein fouet. J'étais déjà amoureux avant qu'il ne parte. »

Il a tellement raison.

Nous savons ce que nous avons, mais ne nous attendons pas à la perdre ? C'était le cas de bien des gens. A croire que tout est acquis, si facilement...Jin Hei ne quitta pas Kyu Jung des yeux, buvant chacune de ses paroles. Depuis le jour de leur rencontre, le jeune détective semblait continuellement en colère, seul, et perdu das un amour qui ne pouvait lui être parfaitement rendu. Une année plus tard, le voilà plus fort, plus adulte, et plus sûr de lui. A partir de quel moment avait-il changé de cette manière ? Il semblait prêt à assumer tout ce qu'il ressentait, alors que son histoire était loin d'être heureuse. Surtout d'après ses mots. Et le mécanicien regretta de ne pas avoir un tel courage. Lui qui avait l'impression qu'il ne serait plus jamais lui-même si Sung Ki disparaissait de sa vie...

"A ce moment-là, tu sais que les choses vont changer, elles ont même déjà changées."

Le mécanicien ferma les paupières pendant de longues minutes, alors que le visage de Sung Ki s'imposait une nouvelle fois à lui. Cet homme était totalement inaccessible. Son coeur...Quasiment impossible à atteindre, n'est-ce pas ? Il y avait trop de barricades, trop de barrière que le procureur dressaient contre ceux qui osaient s'approcher un peu trop près. Mais au fond, il y avait une phrase dont Jin Hei se souvenait, qui lui revenait en tête dès qu'il pensait à Sung Ki. « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait. »

« Quand je regarde Ryu, J'ai l'impression d'avoir trouver une raison laquelle me battre. Comme si j'étais tombé sur cette étincelle qui m'enlève l'envie de tout quitter, celle qui redonne un sens à tout ce désordre qu'était ma vie. » Il leva doucement les yeux en ajoutant « Et je suis prêt à parier que tu comprends parfaitement ce sentiment. Je me trompe ? »

Redonner un sens au désordre qu'était sa vie ? Oui, il comprenait un peu ça. Jin Hei n'était pourtant pas à plaindre. Il avait un frère génial et en bonne santé, une bonne affaire qui fonctionnait bien et qui lui rapportait suffisamment d'argent pour vivre à son aise. Un appart' et un colocataire sympathique, et deux chiens qui lui apportaient beaucoup d'affection. Même si sa relation était devenue plus que tendue avec sa meilleure amie, le mécanicien ne pouvait pas se permettre de se plaindre de sa vie, non. Mais il était désormais incapable d'oublier le procureur, et n'en avait, de toute façon, aucune envie.
En relevant les yeux, il croisa le regard de Kyu Jung, ce dernier ne cillant pas une seconde, avant de répliquer avec une force qui le colla presque au mur :

« Tu sais ce qu'on dit ? Il est difficile de vaincre une personne qui n’abandonne jamais. Alors continues de te battre pour lui, et tu verras ce qui t'attends au bout du chemin. »

Jin Hei écarquilla les yeux, à l'entente de ces mots. Comme un déclic, il respira beaucoup mieux, ayant l'impression que l'on lui avait enfin donner une bouffée d'air alors qu'il était en apnée. C'était tout ce qu'il avait eu besoin d'entendre, tout ce temps. Quelque chose qui lui signifierait que peut-être, s'il n'abandonnait pas, il aurait un jour la chance de voir Sung Ki lui sourire. Rien qu'un infime espoir, quelque chose qui lui donnerait envie de s'accrocher encore un peu, et que le résultat ne le décevrait pas.

« Merci. »

Que pouvait-il dire d'autre ? Jusqu'à ce jour, il n'avait jamais ressenti si fortement l'envie de remercier quelqu'un. Il avait eu besoin d'y voir clair, et surtout d'être certain que ce qu'il faisait n'était pas totalement vain, ridicule et idiot. Les mots de Kyu Jung lui donnait envie de se dépasser, et de mettre un peu plus de conviction dans ses mots. Ceux qu'il avait envie de dire à Sung Ki.

« Pour un génie aussi cinglé que toi, je trouve que tu donnes de bons conseils. Maintenant, j'attends de voir s'ils seront efficaces... »

Il esquissa un faible sourire, même s'il avait l'impression de commencer à tourner de l'oeil, à cause de la perte de sang considérable de son épaule. Il préférait ne pas regarder dans quel état était son bras, sinon, clairement, il ne serait plus en mesure de poursuivre la conversation. Jin Hei n'était pourtant pas une petite nature, et encaisser plutôt bien. Mais le liquide tiède qui ne cessait de couler en quantité le long de son bras, atteignant désormais la paume de sa main, n'était pas un spectacle dont il avait envie de se délecter. Soufflant doucement pour retrouver son calme, il murmura lentement :

« T'es un garçon bien, Kyu Jung. J'espère sincèrement que tu pourras trouver le bonheur. » Il eut un léger sourire en coin, malgré la douleur lancinante de son épaule. « Avec Ryu Jeong. »