- Bonjour Kim Dae Huang. Je suis l’une des psychologues du Centre. A la demande de vos parents, nous aurons quelques séances afin d’évaluer dans un premier temps comment vous vivez suite à la découverte de vos origines. Dans un premier temps, j’aimerais savoir comment vous vous décrierez. Physiquement parlant.


- On ne peut pas dire que j’ai quoique ce soit à envier physiquement parlant. Pas que je sois particulièrement… remarquable ? Disons que, malgré mes origines chinoises, je ne me sens pas vraiment différent des coréens qui constituent mon quotidien. Au contraire, comme chacun d’eux, je possède l’un des principaux traits caractéristique des asiatiques : une peau parfaitement laiteuse.  Sans compter sur mes traits fins et mes cheveux bruns en bataille. Ce n’est pas vraiment une question de style, juste de la pure paresse. De même pour style vestimentaire, je ne fais pas dans l’originalité. Disons que je me contente d’associer des vêtements qui me plaisent, sans que cela semble étrange bien évidement.  Sinon, d’après la seule photo que je possède de ma mère génétique, il semblerait que je lui tienne les traits fins qui constituent mon visage. Je devrais lui en être reconnaissant je suppose ? Peu importe. Je ne porte pas vraiment attention à ces traits dits de le génétique. Mis à part cela, j’ai aussi remarqué – enfin, on m’a fait remarquer – que j’avais des « manies ». Rien de bien extravagant, juste que j’ai pour habitude de fixer les gens, que j’ai souvent l’air absent et que je remettais sans cesse mes lunettes en place lorsque j’étais stressé. Enfin, quand je portais des lunettes. Je ne suis pas très expressif, j'ai l'habitude de dissimuler mes sentiments... Je ne vois pas ce que je pourrais ajouter d’autre. On peut passer à autre chose ?

- Très bien, je vois. Que pourriez-vous dire concernant votre personnalité ?


- Je n’ai jamais été très sociable. Et on ne peut pas dire que parler de moi aussi sérieusement soit la meilleure façon d’apprendre à me connaître. J’ai tendance à être froid et particulièrement distant. Je me sens mal à l’aise. Je n’aime pas parler de moi. Surtout depuis que je sais ce que je… « suis ». C’est une part de moi que je n’arrive pas à accepter. Enfin. Vous devez vous en doutez. Je ne serai pas là sinon… Au quotidien, je suis assez calme. Je ne tiens pas à me faire remarquer. Que l’on remarque ma différence. J’ai la mauvaise habitude d’accorder beaucoup trop d’attentions au monde alentour. J’aime observer les passants, mes voisins, les commerçants et ainsi de suite. Sont-ils comme moi ? Qu’ont-ils à cacher ?... Sinon, je pense être quelqu’un d’altruiste. C’est ce que me dit mon meilleur ami du moins. Avec les personnes qui me sont proches, je suis plutôt cynique. C’est une façon de montrer mon attachement je suppose… Vous trouvez cela étrange ? Les premiers temps après m’être fait adopter, j’ai du subir un « bizutage » de la part de mon demi-frère. C’était plutôt compréhensible. J’étais un intrus. Je le méritais. Je ne me prends pas en coupable, si c’est ce que vous pensez. Je suis simplement réaliste face à ma différence. Notre différence je devrais dire. Beaucoup de gens pense que pouvoir se distinguer des autres est un avantage. Mais je Hais cette « chose ».

- Enfin, pour terminer, j’aimerais que vous preniez cette feuille et que vous y fassiez un récapitulatif de votre vie. Comme un historique.


- Je n’ai pas grand-chose à dire sur mon enfance… Lorsque j’avais deux ans, je me suis fait adopter par un couple coréen qui avait des difficultés à procréer. Cette période est assez floue étant donné mon jeune âge, mais il me semble avoir été heureux. Heureux de savoir que l’on pouvait m’aimer. Seulement, un an plus tard, ils eurent un enfant. Leur enfant. Et moi, qu’étais-je à leurs yeux ? Même s’ils agissaient toujours comme des parents à mon égard, j’avais l’impression d’être de nouveau un fardeau. Je ne me suis pas tout de suite attacher à mon « demi-frère », je n’étais rien pour lui. Mais, malgré tout, celui-ci m’appréciait. Ce que je n’arrivais pas à comprendre. Lorsqu’il arriva à l’âge de pouvoir comprendre notre situation familiale, il changea radicalement d’attitude. Je n’étais rien pour lui.

Vers mes quatre ans, j’étais souvent hospitalisé. J’avais une insuffisance cardiaque. Les premières années, je devais régulièrement faire des examens de contrôle et arrivait à vivre comme n’importe qui d’autre même si certaines activités physiques m’étaient interdites. Puis, mon était s’est brusquement dégradé. Mes quelques visites devenaient des séjours d’une semaine jusqu'à devenir mon second foyer. Les blouses blanches ont constitués mon quotidien plus d’un an et demi. Les seules personnes dérogeant à la règle furent ma famille. J’étais épuisé d’être isolé. Epuisé de cette maladie. Epuisé de ne pouvoir vivre une vie normale.

Quelques jours après j’eus une étrange visite. Je ne comprenais rien à ce que mes parents disaient. Ou plutôt, je ne voulais pas comprendre. Mon état se détériora gravement. Je ne me rappelle pas grand-chose de ces quelques jours. Juste un vague souvenir : une odeur de menthe et un goût sucré au bout des lèvres. Les jours qui suivirent, mon état s’améliora miraculeusement. Depuis, au lieu d’aller à l’hôpital, j’allais dans un centre. Un centre Twao. On ne voulait pas m’expliquer. Mais ça n’avait pas d’importance. Juste que la façon dont on traitait ma maladie était vraiment étrange. Peu importait, j’allais mieux et je pouvais vivre avec ma famille. Tout allait bien. Je suppose.

Mon seizième anniversaire se passa dans l’un de mes restaurants préférés. C’est un souvenir auquel je tiens particulièrement. Mon demi-frère et mon meilleur ami m’offrirent un bracelet dont je ne me sépare jamais depuis. Savoir que ce cadeau venait également de la part de mon demi-frère – dont je m’étais rapproché entre temps – donna encore plus d’importance au cadeau qu’ils m’avaient fait. Quant à mes parents, ils me donnèrent une boîte. Cadeau étrange, n’est-ce pas ? J’étais assez surpris de son contenu, mais je m’y attendais d’une certaine façon. Dedans se trouvait plusieurs objets en lien avec mes origines : des vêtements, des photos, une couverture et une peluche. Les vêtements étaient ceux que je portais lorsque l’on m’avait déposé devant le centre d’adoption, avec la couverture et la peluche. Mais ce qui m’interpella particulièrement fut l’une des photos. Celle de mes parents biologiques. C’était étrange de voir à quel point je leur ressemblais. Un sentiment amer. C’est ce que je ressentais. Ils ne méritaient pas mieux. Au dos de cette « fameuse » photo se trouvait un message écrit en chinois - j’avais appris le chinois sous l’insistance de ma mère adoptive qui jugeait mes racines importantes. C’était une adresse. L’adresse d’une personne résidant en Corée. L’adresse d’un membre de ma famille biologique.

J’ai dans un premier temps refusé tout contact, je n’ai même pas cherché à savoir de qui il s’agissait et de quoi il était question. Quelle importance ? Pour moi, aucune, pour ma mère biologique, c’était autre chose. Elle m’imposa la visite de cette personne sans m’en laisser le choix. C’était mon grand-père paternel, c'était l'étrange visiteur de l'hôpital. Je me refusais à lui parler, alors il se lança sans vraiment savoir quoi dire de son côté. Il m’expliqua qu’il ignorait ce qu’il passé avec mes parents. Qu’est-ce que cela pouvait changer à ma situation. Je n’étais plus de leur famille et réciproquement. Cependant, ce n’était pas à moi d’en décider. Une fois de plus. En effet, il y avait une raison à ces troubles cardiaques dont j’avais souffert étant enfant. Etre un Twao. Il délirait. J’en étais persuadé. Il était anormal, pas moi.

On m’expliqua en quoi être un Twao faisait que l’on était « spécial ». En quoi être différent pouvait être bénéfique ? En quoi être faible était un plaisir ? J’ai tenté de me défaire de ce centre auquel j’étais si dépendant. Je n’avais pas tenu deux jours. Il fallait que je me rendre à l’évidence ; j’étais sellé à cette entité.

Dès lors, j’essaie de vivre avec, de me défaire au maximum de cette réalité. Je suis devenu mannequin et suis des cours de photographie. Deux à trois fois par semaine, je vais au centre Twao, comme on va la pharmacie. Le mode de transmission me met toujours mal à l'aise, mais je n'ai pas vraiment d'autres solutions. Il m’arrive d’être assis dans un café ou à la sortie d’un métro et de fixer les passants. Sont-ils comme moi ? Savent-ils ? De là, m’est étrangement venu la passion de la photo. Observer, se questionner ; mon hobby. Mis à part tout cela, je suis comme vous : « quelqu'un ».