A première vue, on pourrait penser que Sun Kyu est faite de glace. Son visage est la plupart du temps sans expression, portant parfois un air désintéressé qui la fait paraître plus âgée qu'elle ne l'est. Mais lorsqu'on la connait un peu mieux, c'est une jeune femme qui sourit beaucoup, faisant alors apparaître une petite fossette à chaque coin de sa bouche. Avec ses amis proches, il lui arrive même d'avoir d'interminables et irrépressibles crises de fou rire. Ses yeux se transforment alors en deux minuscules croissants de lune et elle finit par se rouler par terre d'une façon assez peu distinguée, avant d'arriver à se calmer.

   Quand elle s'ennuie - ce qui arrive souvent -, elle tord inconsciemment sa bouche dans toutes les directions tandis que son regard est vague, ses yeux ressemblant alors à plus ou moins à ceux d'un poisson. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, elle possède beaucoup d'expressions faciales, ce qui prouve qu'encore une fois, les apparences sont trompeuses.

   Sun Kyu, du haut de ses cent soixante-cinq centimètres, est mince sans tomber dans la maigreur. La taille fine, le ventre plat et les jolies jambes dont tout le monde rêve, elle les a. Après tout, elle vient à peine de sortir de l'adolescence et fait le sport nécessaire pour se maintenir en bonne condition physique.

    Elle possède de longs cheveux qui changent souvent de couleur - elle a testé le brun, le châtain, le roux et même le blond platine -, et tant pis si elle se retrouve chauve à quarante ans à cause de tous les produits chimiques qu'elle se fout sur le crâne. En ce moment, ils sont d'un rouge tirant vers le rose, si bien qu'il est tout simplement impossible de ne pas la remarquer lorsque vous la croisez dans la rue.

   Son visage est loin d'être parfait, mais il n'en reste pas moins agréable à regarder. Elle pourrait même devenir idole sans avoir recours à la chirurgie esthétique. Elle se maquille légèrement, n'ayant ni le temps ni l'envie de ressembler à un pot de peinture sur pattes. Un coup de mascara par-ci, un coup de crayon par-là, c'est amplement suffisant.

   En ce qui concerne son style vestimentaire, rien de bien exceptionnel. Au quotidien, elle privilégie le confort et l'aspect pratique et préfère le trio jean/t-shirt/baskets aux mini-jupes et talons hauts. Mais ce n'est pas pour autant qu'elle s'habille avec la première chose qui lui tombe sous la main. Elle choisit des vêtements qui, en plus d'être agréables à porter, la mettent en valeur et s'accordent parfaitement. Et puis, qui a dit que l'on ne pouvait pas être sexy en pantalon ?

   En somme, son apparence reflète ce qu'elle est : un subtil mélange de simplicité et de complexité...

  Derrière ses airs froids, Sun Kyu est une jeune femme joyeuse et pleine d'humour. Il suffit d'essayer de la connaître un peu mieux pour s'en apercevoir. Elle prend les choses comme elles viennent et vit au jour le jour, sans se prendre la tête. Elle se lie rapidement avec les gens, mais pour développer une véritable amitié avec elle, il faudra du temps et de nombreux poins communs. Si quelqu'un l'énerve ou lui fait du mal, elle n'hésitera pas à l'effacer de sa vie à tout jamais, sans aucun regret.

   Elle s'ennuie rapidement, et quand c'est le cas, elle ne manque pas de le faire savoir. Franche et directe, elle déteste l'hypocrisie et le fait de tourner autour du pot. Un peu égocentrique, ce n'est pas pour autant qu'elle ne pense pas aux autres. Même si sa façon d'être dépend des personnes avec qui elle se trouve, en fonction du niveau d'affinités, c'est une amie fidèle et quelqu'un qui se préoccupe des gens qui l'entourent. Enfin, tant que les autres en font de même.

   S'il y a une chose dont on peut être sûr, c'est que Sun Kyu ne se laisse pas marcher sur les pieds. Hors de question de s'effacer face à des imbéciles qui se croient supérieurs. Elle sait se défendre, verbalement comme physiquement, à l'aide de ses poings ou de petites piques bien placées.  

   La jeune femme considère son indépendance comme l'un des choses les plus importantes de sa vie. Être attachée à quelqu'un ou à quelque chose, ne pas pouvoir faire ce qui lui plaît : jamais ! Si vous essayez de lui enlever sa liberté, elle ne vous le pardonnera pas. De toute façon, c'est comme si vous tentiez de mettre un animal sauvage en cage : ce n'est pas si facile que cela. En tant que Receveuse, elle dépend néanmoins d'un Donneur, mais celui-ci dépend également d'un Receveur. Existe-t-il plus parfaite relation que celle basée sur l'égalité même ?

   En ce qui concerne son âme soeur, elle n'est pas pressée de la trouver. Non pas qu'elle n'en ait pas envie, mais elle estime qu'il ne sert à rien d'oublier tout le reste pour se lancer dans une espèce de quête, surtout quand on ne sait ni où chercher, ni combien de temps cela prendra. Les deux âmes soeurs seront réunies quand le destin l'aura décidé. En attendant, elle enchaîne les partenaires. Rien de bien fixe pour, encore une fois, ne pas avoir l'impression d'être enchaînée à quelqu'un.

   Il lui arrive d'être triste ou de se sentir blessée, mais elle ne le montrera pas. Ce genre d'émotions, elle le garde pour elle. Elle ne veut pas passez sa vie à se morfondre, alors elle tente de voir le bon côté des choses ou de le prendre à la rigolade. Certains épisodes sont plus difficiles à surmonter que d'autres, mais la vie continue !

   Autre point important : Sun Kyu aime les filles. Si l'on ne lui pose pas la question, elle n'en parlera pas. Toutefois, elle s'assume complètement, et tant pis pour ceux que cela dérange. Quand un homme lui fait des avances, elle le repousse gentiment - après avoir rit intérieurement, parce que les mecs ne se rendent pas compte à quel point ils peuvent être ridicules quand ils draguent.

   Parlons maintenant de ses occupations, quand elle n'est ni en cours, ni à la boutique. Elle pratique la boxe tous les mardis soirs depuis près de cinq ans, dans une salle située au sous sol d'un complexe sportif. Vous comprenez maintenant ce que cela implique quand je dis qu'elle sait se défendre. Elle possède également une petite caméra qu'elle emporte partout avec elle, afin de pouvoir immortaliser n'importe quelle scène qui attire son attention. Elle préfère le film à la photographie car elle trouve celui-ci plus vivant, plus complet qu'une simple image. A part cela, c'est une grande fan de cinéma et de jeux vidéos en tous genres. Elle est toujours partante pour une partie et déteste perdre.

   Ses qualités peuvent être des défauts, et ses défauts des qualités. Cela dépend de la façon dont vous la voyez.

« Raconter ma vie ? Pourquoi pas. C'est vrai que cela peut aider à comprendre ce que je suis maintenant. Alors, si nous commencions par le commencement ?

Je suis née le quatre février 1994 à Incheon. Mon père était professeur de littérature dans un des lycées de la ville et ma mère, infirmière psychiatrique. J'ai un grand frère, Soo Hyun. Il a quatre ans de plus que moi, ce qui, en soi, n'est pas énorme. J'ai toujours été proche de lui, même si nous avons passé les trois quarts de notre temps à nous disputer pour des broutilles.

Le douze juillet 1997, j'ai subi ma première crise. Même si je n'avais que trois ans, je m'en rappelle comme si c'était hier. Je jouais à chat avec mon frère et d'autres enfants du quartier dans le parc en bas de l'immeuble, quand je suis tombée. Mais je n'ai pas trébuché et personne ne m'a poussé, non, ce sont mes jambes qui ont tout simplement cessé de me porter. Ma mère, qui nous surveillait, assise sur un banc à côté avec d'autres parents, a réagi au quart de tour. Elle m'a prise dans ses bras et nous sommes immédiatement rentrés à la maison. Pendant qu'elle me portait, je sentais l'énergie quitter peu à peu mon corps, comme une irrépressible envie de dormir. Pendant que Soo Hyun appelait mon père pour qu'il rentre en vitesse, ma mère m'a allongée dans mon lit. Là, elle a doucement posé ses lèvres sur les miennes et je me suis tout de suite sentie mieux, comme si l'on avait rechargé mes batteries.

Quelques années plus tard, ils m'ont révélé que j'avais hérité de leurs gènes Twao. Soo Hyun, lui, n'a jamais développé le gène. J'en ai d'ailleurs longtemps été jalouse, puisqu'il n'avait pas besoin d'embrasser quelqu'un, chaque jour, pour pouvoir survivre.

Cette histoire d'âme soeur, cela me faisait rêver, au début. C'était un peu comme les contes dans lesquels le prince retrouve sa princesse, pour vivre heureux et avoir beaucoup d'enfants. Mais cela, c'était avant de comprendre que la réalité était bien différente : la mienne, d'âme soeur, n'allait pas tomber du ciel. Il fallait aller la chercher. Alors j'ai décidé que je pouvais être heureuse sans elle, comme mes parents l'étaient. Ils n'étaient que de simples partenaires : mon père est Receveur et ma mère, Donneuse - c'est d'ailleurs elle qui m'a permis de survivre pendant les dix-huit premières années de ma vie.

En 2002, mon père a été muté à Séoul et nous avons dû déménager. Au début, Soo Hyun a refusé catégoriquement, en prétextant qu'il ne voulait pas quitter ses amis. En ce qui me concerne, je n'ai pas le souvenir d'avoir été perturbée par la nouvelle. J'étais sans doute trop petite pour réaliser ce que cela impliquait. Nous avons quitté l'appartement d'Incheon pour un autre un peu plus petit, à l'ouest du fleuve.

A quatorze ans, j'ai commencé à pratiquer la boxe. Pourquoi la boxe, me direz-vous ? J'ai toujours aimé les sports de combat, mais la boxe était sans doute celui qui me correspondait le mieux. Et puis, c'était toujours utile d'être capable d'envoyer mon poing dans la face des imbéciles machos à l'égo surdimensionné qui me servaient de camarades de classe.

C'est durant mes années de lycée que je me suis rendue compte que j'étais attirée par les filles. Tandis que le cerveau de mes amies se transformait en guimauve dès qu'elles croisaient le regard d'un certain garçon, je restai totalement insensible au charme masculin. Moi, c'était quand je posai les yeux sur Min Ji, une fille de la classe supérieure, que mon coeur ratait un battement et qu'une nuée de papillons s'envolait dans mon estomac. Je ne l'ai jamais avoué à personne, seule ma meilleure amie du moment a fini par le deviner. Cela nous a été fatal. Du jour au lendemain, elle a refusé de me parler, effaçant toutes ces années durant lesquelles nous avions partagé l'une pour l'autre une affection presque fraternelle. Je garde en mémoire tous les bons souvenirs, mais il hors de question que j'essaye de retrouver son amitié.

Il y a deux ans, mon frère m'a surprise en train d'embrasser une de mes camarades avec qui j'étais censée travailler pour un dossier. Ce n'était pas une Twao. Elle a été ma petite amie pendant quelques mois, jusqu'à ce que ses parents le découvrent et nous interdisent de nous voir. J'ai alors tout avoué à Soo Hyun. Il s'est comporté en parfait grand frère - pour une fois, j'ai envie de dire -, et nous avons décidé d'un commun accord de ne rien dire aux parents. Je ne sais pas comment ils réagiraient. Embrasser une fille parce que c'est un besoin vital, c'est une chose. Être amoureuse d'une fille, c'en est une autre. J'assume pleinement mon homosexualité mais, honnêtement, j'ai peur de leur réaction. J'ai peur d'être déçue d'eux, comme j'ai été déçue de ma meilleure amie. Un jour, je leur dirai. Mais pas maintenant.

Le jour où j'ai définitivement quitté le lycée a été comme une libération. Plus d'uniforme, plus de matières inintéressantes, plus de disputes ridicules avec mes parents, mais une véritable vie d'adulte qui débutait. J'ai quitté l'appartement familial pour en prendre un en colocation, dans le quartier d'Hongdae. J'ai également trouvé un travail dans une petite boutique de vêtements, afin de payer le loyer et mes études d'audiovisuel. Mon but est de devenir réalisatrice, mais le chemin est encore long. En ce qui concerne mes partenaires, je me débrouille comme je peux. Il m'arrive de ne pas trouver de Donneur, mais je préfère cela qu'être attachée à un partenaire fixe.

Mon âme soeur... Je la trouverai peut-être. Demain, dans un mois, dans un an, dans dix, vingt ou trente ans, impossible de savoir. En attendant, je cueille le jour présent.

Qui sait ce que le destin me réserve encore ? »