Un couple se frayait à travers la foule, ayant chacun une valise à la main. Leurs visages étaient fermés et personne ne les accompagnait. Il n’y eut donc aucune scène d’au-revoir, aucun d’adieu déchirant pourtant il était certain que ce n’était pas un simple départ en vacances à la fin d’une année de travail bien remplie. C’était presque une fuite en fait, un nouveau départ dans un nouveau pays. Ils quittaient tous leurs repères. Park Bo Sun et Kim Hyo Jin n’avaient jamais quitté le territoire sud-coréen depuis leur naissance et le stress se tordait en des nœuds de plus en plus serrés dans leur ventre pourtant ils étaient bien décidés à prendre cet avion et à se construire une nouvelle vie.

Kim Hyo Jin passa presque machinalement une main sur son ventre, comme pour se rassurer. Le jeune homme à ses côtés prit sa main en la voyant faire et la serra légèrement comme pour lui montrer qu’il était bien là et qu’il serait toujours là. Ils montrèrent leurs cartes d’embarquement et leurs passeports et on leur autorisa l’entrée dans la salle d’embarquement. Le temps leur parut long, bien trop long mais ils finirent tout de même par entrer dans l’avion. Park Bo Sun avait choisi exprès des sièges voisins lors de la réservation de dernière minute qu’il avait effectuée, heureusement pour eux, il en restait justement deux. Elle se plaça près du hublot et observa le paysage durant toute la phase de décollage puis elle s’endormit rapidement sur l’épaule de son compagnon, tandis que ce dernier commençait le livre qu’il venait d’acheter dans une petite boutique à l’aéroport. Le vol dura exactement treize heures et quarante-huit minutes avant qu’ils ne puissent atterrir sur le sol de la ville d’Ottawa, en ayant eu une escale par Vancouver.

Le vent était frais, pour ne pas dire froid, mais il semblait pur. Park Bo Sun serra sa compagne contre lui, alors qu’elle ressentait encore des signes de fatigue. Il appela un taxi et donna l’adresse de l’appartement qu’il avait trouvé sur Internet. Le trajet dura une bonne quinzaine de minutes avant que le propriétaire de l’appartement ne soit devant eux pour leur donner la clef de leur nouveau chez eux.

Une nouvelle vie commençait. Loin de leurs familles, loin d’une famille en particulier, celle de la jeune femme. Kim Hyo Jin venait en effet d’une famille aisée de Séoul qui n’avait pas bien acceptée que leur fille aînée tombe enceinte alors qu’elle n’était pas encore mariée et d’un type ordinaire en plus de cela. Ils ne se préoccupèrent pas tellement du fait que ces deux-là s’aimaient réellement et ils demandèrent à leur fille de ne plus voir son ami. Cette dernière, majeure, décida alors de tout quitter, sachant que sa famille l’obligerait à avorter et à le quitter. Elle n’en était tout simplement pas capable. Elle ne savait pas très bien vers quoi elle se dirigeait mais elle sentait que c’était ce qu’elle devait faire. Et maintenant ils étaient là, à Ottawa, dans un pays qui leur était étranger. Leur passeport pour ce pays avait été la formation d’ingénieur du jeune homme, très prisé par les grandes boîtes américaines. Il n’eut pas eu de mal à obtenir un visa et plusieurs entretiens et le départ put ainsi s’organiser rapidement.

La grossesse de Kim Hyo Jin s’était passé sans trop d’encombres. Cela n’avait bien sûr pas toujours été facile, le fait d’être dans un nouveau pays, sans connaître personne mais aussi le fait que le nouveau travail de Park Bo Sun lui prenait beaucoup de temps même s’il essayait d’être le plus présent possible. Toujours est-il qu’elle arriva à terme sans que le bébé ne connaisse de problèmes visibles. C’est ainsi que Kim Hyo Jin donna naissance à un petit garçon nommé Park Ji Hyuk, le cinq mai 1991 dans le service maternité d’un hôpital d’Ottawa au Canada. Né de parents coréens, le petit garçon était sans surprise de type asiatique, sa petite tête parsemée de cheveux bruns. Il n’y eut aucune complication et le bébé souriait beaucoup. Le couple, ayant commencé à se faire quelques amis pendant leurs quelques mois ici, reçut plusieurs visites pendant le séjour de la maman à l’hôpital. Ils n’envoyèrent aucun faire-part de naissance en Corée. Ils avaient définitivement coupé les ponts.

Pourtant ils avaient tout de même choisi un prénom coréen. Ils ne voulaient pas nier leurs origines et ils auraient trouvé bizarre de lui donner un prénom occidental. C’était Park Bo Sun qui l’avait trouvé, une fois dans ses lectures. Il avait tout de suite su que ce serait le prénom parfait s’il avait un fils. Ji Hyuk n’était pas un prénom très courant, plutôt intellectuel. Park Bo Sun ne venait peut-être pas d’une famille aisée comme sa compagne, et c’était pour cela qu’ils étaient maintenant au Canada mais il était cultivé. Il adorait lire, et se promener dans les musées, et il y avait de grandes connaissances dans les sciences du fait de sa formation d’ingénieur, de son métier et de sa curiosité. Ji voulait dire « perception, connaissance, volonté, force, âme » et Hyuk, « être éclatant et brillant ». Le tout donnait une sorte de traduction comme celle-ci : « personne brillante avec une grande force d’âme et de grandes connaissances. » C’était ainsi qu’il voulait voir son enfant et il n’eut pas beaucoup de mal à convaincre Kim Hyo Jin. Ce serait donc 지 혁.

Les premiers mots de Park Ji Hyuk furent prononcés dans la langue de leur pays d’accueil, l’anglais. Pourtant, Kim Hyo Jin ne voulait pas que le petit garçon soit coupé de ses racines sans le décider de lui-même et lui parla donc le plus souvent possible en coréen.  Il développa rapidement un langage qui mixé les deux langues, ce qui ne le rendait que plus mignon auprès de tout le monde. Il resta ses premières années dans les jupes de sa mère ou dans les bras de son père, développant un côté timide qui l’empêchait d’aller facilement vers les autres. Il parlait peu, bien que les spécialistes du langage s’accordent à dire qu’il pouvait très bien parler s’il le voulait. Cependant, à part cette timidité, il était un petit garçon comme les autres, qui voulut très vite apprendre à marcher pour découvrir le monde. Il était également très souriant quand il se retrouvait seul avec ses parents, et réclamait des histoires chaque soir avant d’aller dormir.

Le petit Park Ji Hyuk, âgé de trois ans, jouait tout seul dans le coin jeux aménagé dans le salon alors que sa mère préparait le déjeuner en attendant que Park Bo Sun rentre du travail. Elle était devenue professeur de coréen dans une des universités d’Ottawa, ce qui lui laissait du temps chez elle pour s’occuper du petit. Cependant, ce n’était pas pour ça qu’elle était actuellement à la maison, elle attendait en effet depuis six mois maintenant leur deuxième enfant, une petite fille. La grossesse n’était pas aussi facile que la première l’avait été, elle la fatiguait beaucoup et elle avait dû arrêter de travailler beaucoup plus tôt que ce qui était prévu initialement. Elle restait donc à la maison et ce n’était pas toujours de tout repos avec un petit garçon de trois ans à s’occuper. Heureusement pour elle, Park Ji Hyuk était un petit garçon plutôt calme, qui savait très bien s’amuser tout seul. Il s’inventait facilement des mondes et il était même difficile de le tirer de ses rêveries pour le faire revenir au monde réel. Parfois ses parents se demandaient jusqu’où son imagination le menait.

Il jouait actuellement avec un avion en papier que son père lui avait plié ce matin juste avant de partir au travail, sur la table du petit-déjeuner. Le petit garçon avait pris le morceau de papier avec des yeux émerveillés et son père n’avait pu s’empêcher de sourire à cette vision. Park Ji Hyuk n’avait pas quitté l’avion depuis et avait fait au moins une centaine de voyages avec. Il ne connaissait pas encore la notion de pays, de continents ou même de voyages, mais il s’en inventait. Il rêvait qu’il pouvait aller aussi loin qu’il le voulait, peut-être même jusqu’à la maison de son copain William de l’autre côté de la ville. Il courait donc dans son petit carré de jeu, le bras tendu, levant vers le haut l’avion quand il s’écroula. Il ne se sentait pas bien depuis déjà quelques minutes mais il ne s’était pas soucié plus que cela de son état de santé tellement il s’amusait bien.

Sa mère accourut en entendant le bruit de la chute. Elle trouva le petit garçon allongé sur le sol, proie à une fièvre intense. Affolée, elle ne comprit pas tout de suite ce qui se passait et crut simplement qu’il avait attrapé froid. Après tout, ils étaient allés se promener ce week-end et le climat en Février au Canada était vraiment glacial. Elle l’emmena donc dans son lit et lui mit une serviette froide sur le front. Elle appela en vitesse un médecin et resta aux côtés de son garçon le temps qu’il arrive. Le médecin n’eut pas longtemps à examiner le petit pour déterminer ce qu’il avait, heureusement ce n’était pas son premier cas. Il prit la mère à part et lui demande si elle avait déjà entendu parler des Twao. Elle lui apprit qu’elle en était, elle-même, une, tout comme son mari. C’est ainsi qu’elle comprit, elle n’avait pas fait le lien notamment car elle était Receveuse. Elle tombait de fatigue, l’énergie l’abandonnant mais elle ne connaissait pas ce surplus d’énergie qui semblait consumer son garçon, même si elle l’avait déjà sentie auprès de son mari entre autres. Le médecin lui apprit qu’il avait justement diagnostiqué une petite fille Receveuse la veille et qu’il n’avait trouvé qu’une solution bancale à son problème en attendant de trouver un Donneur. Les coordonnées furent échangées et bientôt Kim Yo Jin eut au bout du téléphone la mère de cette petite fille. Il fut convenu que, pour le moment, et en attendant que les deux grandissent, ils seraient partenaires pour une question de survie. C’était ainsi que cela se passait, le reste viendrait plus tard.

La petite fille se nommait Kelly, elle avait seulement quelques mois de moins que Park Ji Hyuk. Elle était blonde, les yeux bleus et elle avait vraiment des lèvres très fines. Au début, le petit garçon ne comprit pas pourquoi il devait embrasser sur les lèvres cette nouvelle copine plutôt que sur la joue mais elle était plutôt jolie et bientôt il l’appela « son amoureuse » et elle en fit de même. Ils étaient trop jeunes pour comprendre tous les tenants mais ils savaient que quand ils commençaient à se sentir mal c’était vers l’autre qu’ils devaient se tourner. Park Ji Hyuk ne comprit ainsi pas tout de suite pourquoi quand sa fièvre montait vraiment beaucoup, qu’il avait chaud et froid en même temps, le simple fait d’appuyer ses lèvres contre celles, beaucoup plus douces, de la jeune fille lui donnait une impression de renaissance. Très rapidement, du statut d’ « amoureuse » Kelly passa à celui de meilleure amie. Ils étaient inséparables. C’était autre chose qu’une amitié ordinaire, ils étaient chacun la clef de la survie de l’autre, ils avaient littéralement la vie de leur ami entre les mains et c’était quelque chose qui n’était pas compréhensible pour ceux qui ne le vivaient tout simplement pas. Ils avaient des amis humains, beaucoup, et ils savaient que leur relation, de l’extérieur, paraissait complexe – et elle l’était. Oh que oui elle l’était. Inséparables, à faire tous les coups possibles ensemble, à rester des heures à parler toujours plus longtemps, et surtout à s’embrasser une fois par jour pour se transmettre de l’énergie. Ce n’était pas une relation normale, du moins pas de la vision des humains.

- Et donc, on jouait tranquillement dans le parc et…
- Excusez-moi les garçons de vous déranger mais… je pourrais parler à Ji Hyuk ?

Ethan se tourna vers Park Ji Hyuk, de sorte qu’il était dos à Emily Hall, et lui fit un regard qui voulait tout dire. Emily Hall avait un an de moins qu’eux, était arrivé en début d’année dans le lycée et n’avait pas manqué d’attirer le regard de tous les garçons de l’école. Elle était d’une beauté naturelle mais était également dotée d’une réelle timidité. Elle n’était pas du genre à fanfaronner comme la plupart des belles filles du lycée, plus à se passer discrètement une mèche de cheveux derrière l’oreille quand elle avait à se retrouver face à un garçon. Mais là, en ce moment-même, elle semblait avoir gagné beaucoup plus d’assurance en une seule nuit quand trois mois passés dans ce lycée. Les amis de Park Ji Hyuk s’éloignèrent, Nathan n’ayant pas hésité à donner une tape sur l’épaule du jeune asiatique.

Les deux jeunes gens se retrouvèrent donc seuls et le silence pris place. Avant, ce coin du couloir était rempli des discussions et rires des amis de Park Ji Hyuk qui n’avaient pas l’habitude d’être calmes ou de se retrouver dans un silence gêné comme celui-ci. La jeune fille essayait de sourire mais regardait dans les quatre coins du couloir comme si quelque chose allait pouvoir venir la sauver en distrayant le jeune homme. Ce dernier finit par prendre la parole.

- Emily ? Tu voulais me dire quelque chose ?
- Ha ? Heu… Oui. Je voulais te parler de la soirée de…
- Ji ?

Emily recula inconsciemment d’un pas à l’entente de la nouvelle voix. Kelly Miller se tenait juste à côté d’elle et regardait Ji Hyuk sans même faire ne serait-ce un minimum attention à elle. Kelly était une des filles les plus populaires de l’école. Jolie et intelligente, c’était une blonde aux yeux bleus qui attirait tous les regards mais son physique était loin d’être son seul atout. En réalité, la principale caractéristique qui rendait Kelly Miller particulière était son lien étroit avec un des garçons les plus convoités du lycée, le jeune Park Ji Hyuk, d’origine coréenne. Les deux jeunes gens semblaient inséparables, sachant tout sur l’autre. La jeune fille se tenait souvent à ses côtés, lui glissant des mots à son oreille que seul lui pouvait entendre. Il était de notoriété commune que ces deux-là se connaissaient depuis leurs trois ans, se voyaient tous les jours depuis, chez l’un ou chez l’autre, et n’avaient jamais eu de dispute sérieuse. En clair, une amitié sans nuages.

- Kelly, c’est urgent ?
- Non mais…
- On se voit tout à l’heure, ok ?

C’est à ce moment-là que la jeune blonde sembla remarquer la présence d’Emily. Elle passa son regard sur l’un puis sur l’autre avant de partir. Le dernier regard qu’elle adressa à la petite brune fut clairement glacial, un regard qui voulait dire « de quoi te permets-tu ? ». L’assurance qui habitait Emily à peine quelques minutes plus tôt sembla la quitter totalement. Cependant, Ji Hyuk ne sembla pas plus trouvé que cela de l’interruption de sa meilleure amie et revint facilement à Emily.

- Tu parlais d’une soirée ?
- Je… Je…
- Emily, je ne vais pas te manger tu sais.
- Viens avec moi au bal de Noël.

Park Ji Hyuk était légèrement blasé de l’attitude timide de la jeune fille. Certes, elle était jolie, et il mentirait s’il disait qu’il n’avait jamais pensé l’aborder pour plus qu’une discussion amicale mais il ne l’avait finalement jamais fait. Toutefois, elle venait de le prendre de court. Car, s’il avait bien entendu, elle venait de l’inviter à l’accompagner au bal de Noël qui aurait lieu dans deux semaines. Il n’avait pas encore de cavalière, pensant y aller avec Kelly, fait connu de tous étant donné qu’il était chaque année le cavalier de la jolie blonde au grand dam de la gente masculine de son lycée. Devant l’air hésitant et presque confus de Park Ji Hyuk, Emily se dit que c’était peut-être le moment pour elle de s’effacer. Elle n’aurait de toute façon jamais dû faire cela, elle n’aurait jamais dû écouter les conseils de ses amies qui l’avaient poussé à l’inviter. Elle s’apprêtait donc à faire demi-tour quand il prit de nouveau la parole, retrouvée miraculeusement après un léger éclaircissement de gorge.

- Ce serait avec plaisir. Je viens te chercher chez toi ?
- Heu… Oui.

A ce moment-là, le jeune Coréen adora le sourire timide qui se dessina dans le coin des lèvres de la jeune fille et il ne put résister à déposer un léger baiser sur sa joue. Cette partie de son corps rougit et il trouva cela adorable.

- Qu’est-ce qu’elle te voulait ?
- Pourquoi tu prends ce ton agressif Kelly ?
- Je ne l’aime pas.
- Qui ?
- Emily.
- Pourquoi ?

Park Ji Hyuk était estomaqué. Il était habitué au fait que Kelly n’aime pas beaucoup de personnes, en particulier les filles, surtout si elles s’approchaient de trop de son meilleur ami mais également Donneur d’énergie. Mais il devait avouer que là il ne comprenait pas très bien, Emily était l’incarnation même de la gentillesse et elle ne faisait jamais rien pour se faire remarquer. En outre, de ce qu’il avait vu jusque-là, elle n’avait jamais eu le cran de faire une faute de goût dans ses vêtements. En soit, rien qui ne justifie une telle haine de la part de Kelly.

- Je ne l’aime pas c’est tout. Alors qu’est-ce qu’elle te voulait ?
- Elle voulait m’inviter au bal de Noël.
- WHAOU MEC TU AS GAGNE LE JACKPOT !

Cependant, Ethan se tut à la seconde-même où il croisa le regard assassin de Kelly. Il avait encore perdu une occasion de se taire.

- Et qu’est-ce que tu lui as répondu ? Tu lui as dit que tu y allais déjà avec moi ?

Park Ji Hyuk avait, pour la première fois de sa vie, le regard fuyant devant sa meilleure amie et cette dernière comprit tout de suite que les règles du jeu avaient changé et que leur relation ne serait plus jamais la même. Le silence pesant gênait les amis du jeune homme qui ne savaient plus trop bien où se mettre et qui auraient sans doute trouvé les flammes de l’enfer beaucoup plus accueillantes que le bruit des talons impatients de Kelly Miller sur le carrelage scintillant du lycée d’Ottawa.

- Ji ?
- J’ai accepté.
- Et moi ?
- Kelly, on n’a plus douze ans. Tu as tous les garçons du lycée à tes pieds, il te suffira de claquer des doigts pour avoir bien plus d’une vingtaine de prétendants.
- Et si c’était avec toi que je voulais aller ?
- On en a fait plein des bals ensemble, et tu m’accompagnes à chaque soirée.
- Donc tu t’ennuies de moi ?
- Tu sais très bien que ce n’est pas le cas et qu’il ne s’agit pas de cela ici.
- Alors il s’agit de quoi ?
- Kelly, tu ne veux peut-être pas de petit-ami pour l’instant, avoir des amis et m’avoir moi comme meilleur ami semble te suffire pour l’instant mais Emily est une gentille fille, jolie qui plus est, et je ne vois pas pourquoi je devrais aller contre mes envies juste pour te faire plaisir.
- Si tu ne vois pas, je crois qu’on n’a plus rien à se dire.
- Kelly…

Kelly avait un caractère difficile, Park Ji Hyuk le savait bien. Il savait à quel point elle pouvait être susceptible et surtout possessive. Cela ne datait pas d’hier, et à vrai dire il ne voyait pas vraiment la gravité de la situation, il était certain que ça allait s’arranger dans quelques heures. C’est pourquoi il laissa sa meilleure amie partir. Il savait qu’elle avait besoin de digérer tout cela, elle reviendrait ensuite quand elle remarquerait la stupidité de tout cela.

Sauf qu’elle ne revint pas. Elle vint évidemment tous les jours, à la même heure, chez lui, pour le « baiser » afin que tous les deux ne meurent pas mais cela se voyait qu’elle venait plus à contrecœur qu’autre chose. Ce serait mentir de dire que Park Ji Hyuk n’essaya pas de lui parler pendant ces entrevues mais elle repartait aussi vite qu’elle était venue et il ne voulait pas l’obliger à quoi que ce soit. Bien vite, le vide s’installa, comblé partiellement par la présence d’Emily Hall à ses côtés.

Un jeudi, cependant, les choses s’accélérèrent. C’était la veille du bal et Kelly était en retard pour leur « rendez-vous » quotidien. Elle n’était jamais en retard. Il regardait agacé sa montre toutes les quinze secondes et il soufflait. Il ne savait pas vraiment s’il devait être énervé envers celle qui était censée être sa meilleure amie mais qui l’ignorait presque totalement depuis près de deux semaines ou s’il devait, au contraire, s’inquiéter de son absence. Elle arriva finalement avec une demi-heure de retard. Elle pressa légèrement, mais néanmoins brutalement, ses lèvres contre celles du jeune homme pour lui prendre son trop plein d’énergie, puis au lieu de s’enfuir comme elle en avait pris l’habitude ces derniers jours, elle ancra ses yeux dans les siens.

- Il va te falloir trouver un autre Receveur. Je ne veux plus de ça, et j’ai déjà trouvé un nouveau Donneur.

Non, leur relation ne serait plus jamais la même. Cela faisait treize ans qu’ils se connaissaient, treize ans qu’ils vivaient grâce à l’autre, treize ans de rire, de pleurs, de complicité partagé, de joies, de bonheur, de films, de gâteaux d’anniversaire, de batailles d’eau, de discussions, de nuits à la belle étoile, de « baisers », de bonbons, de mots glissés dans le creux de l’oreille, de bals. Treize ans partis en fumée.

Cela faisait un an et demi que les inséparables Ji et Kelly s’étaient finalement séparés. Bien sûr, cela n’avait pas été difficile au début, ils fréquentaient le même lycée, avaient les mêmes amis. Personne ne comprenait ce qui se passait et finalement Kelly déménagea. Par Ji Hyuk ne sut jamais si le déménagement était prévu avant tout cela, et si c’était pour cela qu’elle avait créé toute une histoire à partir de rien. Ou de presque rien, après tout Emily était à présent sa petite amie et sa Receveuse. Cela non plus n’avait pas été facile au début. Il n’avait toujours connu que Kelly comme « partenaire », pour lui c’était normal que ce soit elle. Il n’imaginait même pas cela autrement. Il savait qu’on pouvait avoir plusieurs partenaires dans une vie, mais Kelly c’était Kelly. C’était sa meilleure amie, son tout. La seule personne qu’il avait toujours eue à ses côtés, en plus de ses parents et de Boo Ja, sa petite sœur. Il ne s’était réellement jamais imaginé sans elle. Il était trop petit quand elle avait débarqué dans sa vie pour qu’il puisse le faire. Mais voilà, elle n’était plus là. Il n’avait pas eu sa nouvelle adresse et il n’avait pas réellement cherché à l’avoir, ayant peut-être un peu trop de rancœur en lui à ce moment-là.

Il avait donc fallu s’habituer à être en couple avec sa Receveuse, devoir équilibrer les baisers, ne pas les faire devenir trop passionnés, histoire qu’Emily ne prenne pas toute son énergie. Mais cela avait quelque chose d’agréable qu’il soit avec elle. Elle était douce, agréable et avait une bonne conversation. Il savait que ce n’était pas son âme sœur, il en avait conscience. Après tout, il avait toujours eu l’exemple des âmes sœurs devant ses yeux avec ses parents alors il savait que ce n’était pas cela. Ses parents s’étaient trouvés tels des aimants et ne s’étaient plus jamais quittés depuis, c’était contre leur nature. Ils avaient même quitté leurs familles respectives pour s’exiler à l’autre bout du monde. Parfois, Park Ji Hyuk ne comprenait pas. Il aimait Emily, il l’aimait réellement mais il savait qu’il ne pourrait pas faire certaines choses pour Emily que ses parents n’hésiteraient même pas à effectuer. Ses parents lui avaient parlé très jeune de cette histoire d’âme sœur en se prenant comme exemple. Park Ji Hyu n’avait ainsi jamais pu douter de la véracité de ce qui semblait être une légende pour certains – et notamment dans l’esprit de certains Twaos amis. Sa sœur adorait l’histoire de la rencontre de ses parents et elle ne cessait de leur demander de la lui répéter, encore une fois.

Leurs parents s’étaient rencontrés dans une galerie d’art. Leur père avait toujours été plus doué en sciences à l’école et c’est pourquoi il s’était dirigé vers une école d’ingénieurs, qu’il avait d’ailleurs très bien réussie. Cependant, il s’était toujours intéressé à tout ce qui touchait à la culture, dans toutes ses formes. Il adorait notamment la photographie et c’est pourquoi il assistait, grâce à l’aide d’un ami qui lui avait obtenu des invitations à la soirée d’ouverture, à cette exposition. Leur mère, elle, était professeur de littérature coréenne et le photographe qui exposait était un de ses amis. La suite était digne d’un film. Ils avaient, semble-t-il, eu soif en même temps et s’étaient donc dirigés vers le bar érigé pour l’occasion dans la galerie. Sauf que Park Bo Sun était du genre maladroit et qu’il avait renversé son verre sur la robe de la jeune femme. Il s’était empressé de s’excuser, mal à l’aise, et alors leurs regards s’étaient croisés, pour ne plus jamais se lâcher. Ou presque. Ils ne s’étaient pas échangés leurs numéros, ni même leurs noms et ils avaient quitté la soirée chacun de leur côté pensant qu’elle n’aurait aucun incidence sur le reste de leur vie. Il avait fallu que le destin leur donne une nouvelle chance pour qu’ils se croisent à nouveau et qu’ils commencent une vie à deux.

Non, Boo Ja ne se lassait jamais d’écouter cette histoire. Ji Hyuk savait que sa sœur rêvait de trouver son âme sœur. Ce n’était pas vraiment son cas, ce n’était pas qu’il ne voulait pas la trouver, il voulait juste laisser le temps faire son œuvre et profiter en attendant. Il ne voulait pas courir derrière l’inconnu, et il se disait que ça tomberait sur lui quand il s’y attendrait le moins. Après tout, c’est bien ce qu’on disait habituellement. Il ne voulait pas vivre de frustrations et ne pas avoir d’expériences et Emily était une gentille fille.

Il était justement parti en vacances avec elle pour deux semaines de l’autre côté du pays, dans un camping à Vancouver. Ils passaient leurs après-midis à se promener dans les parcs, ou dans les musées, ses parents lui avaient transmis l’amour de la culture et des arts, et leurs nuits à discuter au bord de mer. C’était plutôt agréable, un moment de répit l’année de leur majorité. Emily aurait en effet dix-huit ans en fin d’année, alors que Park Ji Hyuk les avait fêtés le mois de mai dernier. Ils avaient l’insouciance de leur jeunesse et c’était sans doute cela le plus beau.  Ils avaient obtenu leur diplôme de fin d’études en second cycle au début de l’été et ils allaient rentrer tous les deux à l’université l’année prochaine, en lettres modernes.

Ils étaient en train de déjeuner devant leur tente quand le portable de Park Ji Hyuk se mit à sonner. C’était un numéro inconnu, il fronça légèrement les sourcils mais décrocha tout de même avant que l’autre personne au bout du fil n’ait le temps de raccrocher.

- Allo ?
- Park Ji Hyuk ?
- Oui, c’est moi. Qui êtes-vous ?
- Agent Cooper. Je… Je suis désolé de devoir vous annoncer cela par téléphone, vos parents et votre sœur ont eu un accident.
- Ils vont bien ?
- Je… Ils sont morts sur le coup. Je suis désolé.

Il ne se l’était jamais demandé mais maintenant il savait ce que cela faisait de se sentir orphelin. Il venait tout juste d’être majeur et il n’avait plus personne. Cela ne pouvait pas être pire.

Park Ji Hyuk posait pour la première fois les pieds sur le sol coréen. Il n’y était pas né, étant donné que ses parents avaient fui pendant la grossesse de sa mère mais il constituait tout de même toutes ses origines. Il n’avait qu’une valise, n’ayant pas beaucoup d’affaires à emmener, à part quelques souvenirs et était un peu perdu dans toute cette foule qui parlait toutes les langues qui existent sur cette Terre. Il partit s’asseoir à un café, commanda un expresso, histoire de se remettre de la dizaine d’heures de vol. Il prendrait ensuite le bus pour se diriger vers Séoul, dans un des quartiers qui abritait sa résidence universitaire.

Park Ji Hyuk venait d’effectuer deux années en double licence Lettres Modernes / Histoire, alors qu’il aurait déjà dû en effectuer trois. En réalité, après la mort de ses parents et de sa petite sœur dans un grave accident de voiture, il avait été complètement chamboulé et notamment déboussolé. Il était parti un an faire un tour du monde. Il travaillait dans les bars de la ville qui l’accueillait afin de vivre malgré le peu d’argent qu’il avait emmené, marchait le plus possible afin d’économiser les billets d’avion ou de car inévitables. Il avait donc vu une grande partie du continent américain, européen et africain pendant cette année-là. Mais il avait totalement évité l’Asie, terre de ses ancêtres. Il ne se sentait pas capable d’aller demander des comptes à une famille qu’il ne connaissait même pas. Cette année-là avait été réellement difficile. Il avait tout d’abord rompu avec sa petite amie Emily qui avait essayé de comprendre ce qu’il traversait mais qui avait fini par partir sur une énième dispute de sa part. Il avait cherché des repères là où il n’en trouverait jamais. Le travail dans les bars avait été difficile, la tentation de rester boire et d’ainsi oublier pendant quelques heures ce qui lui arrivait étant grande. Mais il avait résisté. Il s’était forgé un caractère, une personnalité pendant cette année. Il avait vu des paysages plus magnifiques les uns que les autres, il avait appris le goût de vivre au jour le jour, « carpe diem » comme on disait. Il n’y avait plus de lendemain, plus de soucis, même s’il restait un hier, des souvenirs.

Son année sabbatique avait également renforcé son goût pour les langues et la culture. Il essayait de visiter le plus possibles les villes où il atterrissait et pas forcément les trucs de touriste qu’on lui proposait généralement. Non, il voulait de l’authenticité. Même si le continent américain l’avait passionné et que le continent africain l’avait émerveillé par ses paysages atypiques et sa façon de vivre, tellement plus solidaire parfois que dans les autres pays du monde, il avait une nette préférence pour le continent européen. Tout là-bas respirait l’histoire, la liberté et la culture. C’était sans doute sur ce continent-là qu’il avait visité le plus de musées, de ruines archéologiques ou de bâtiments historiques. C’est également sur ce continent-là qu’il a fait le plus de bars – sans y travailler forcément -, de boîtes de nuit et de sorties en tout genre. Il avait décidé de profiter de la vie et surtout, n’étant plus avec Emily, il avait besoin de trouver des partenaires Receveur pour éviter de mourir. Ce n’était pas toujours facile d’en trouver, surtout quand on voyage autant, mais il finissait toujours par aborder un Receveur ou une Receveuse et tout se passait bien, même s’il avait dû endurer la fièvre un jour ou deux.

C’était cette année-là qu’il avait réellement pris conscience qu’il ne voulait pas trouver son partenaire pour sa vie entière maintenant. Ou plutôt, il ne voulait pas se mettre en quête de le chercher. S’il venait à lui à un moment ou à un autre, cela serait parfait, en attendant il voulait profiter. C’était également pendant ces voyages qu’il avait eu son premier partenaire mâle. Tout avait commencé par une simple relation Donneur-Receveur, puis au fil des partenaires, des voyages et des mois passés, c’était allé plus loin, beaucoup plus loin.

Malgré qu’il passe de partenaire en partenaire comme il aurait pu changer de chemises, Park Ji Hyuk n’était pour autant pas un salaud. Il ne faisait pas croire qu’il avait des sentiments, il posait clairement les règles du jeu. Il voulait juste s’amuser, en réalité il voulait juste oublier. Le retour à la réalité fut dur, mais néanmoins nécessaire. Un jour, il se leva et il comprit qu’il avait besoin d’arrêter cette fugue qui n’avait que trop durée et il était rentré chez lui, à Ottawa. Son goût pour l’histoire s’étant approfondi pendant son année sabbatique, il avait décidé d’effectuer une double licence Lettres Modernes / Histoire. Les Lettres Modernes lui permettaient d’approfondir son côté littéraire tout en travaillant ses langues, il avait pris le coréen bien sûr, et le français. L’Histoire l’aidait à mieux comprendre les différentes nations du monde, comment elles en étaient arrivées là et pourquoi elles avaient ces relations-là. Il ne savait pas trop encore ce qu’il voulait faire de sa vie mais cette double licence le plongeait dans le travail et lui permettait de ne pas rester sans rien faire, avec comme seule compagnie ses pensées. Il eut le plaisir de retrouver ses amis, mais ce n’était quand même plus pareil, ils avaient tout le temps peur de faire une gaffe par rapport à l’accident. Cela lui rappela pourquoi il était parti d’Ottawa. Il en avait eu marre que tout le monde le regarde avec compassion et veuille l’aider ; au moins au bout du monde, personne ne savait sa situation. Ca s’était tout de même arrangé et il passa deux bonnes années à l’université. Son travail payait et il se situait largement dans les meilleurs élèves de l’établissement.

C’est en troisième année qu’il eut la possibilité de repartir mais dans un pays fixe cette fois-ci. Il y réfléchit pendant longtemps mais une seule idée ne cessait de s’installer et de prendre ses aises dans son esprit. Il devait aller en Corée du Sud, là où tout avait commencé. Il voulait connaître ses origines, et peut-être même retrouver sa famille et lui demander des comptes. Il resta le premier semestre à Ottawa afin de préparer au mieux son départ, et ayant en tête la possibilité de rester plus longtemps en Corée que ce n’était réellement prévu. Puis il commença à faire ses bagages mi-décembre et il décolla de l’aéroport d’Ottawa le 5 janvier au soir.

Cela fait donc quatre mois à présent qu’il est à Séoul, en Corée du Sud. Il a rapidement pris ses aises, son année sabbatique l’ayant certainement beaucoup aidé à être à l’aise n’importe où sur la planète. Il a également remercié bon nombre de fois sa mère mentalement pour s’être acharné à lui parler en coréen malgré les avis divergents de pas mal de personnes. Au moins il comprenait et pouvait parler la langue, malgré peut-être un accent légèrement différent, mais qui, parait-il, lui donner un certain charme. Il avait cherché un travail pour subvenir à ses besoins, n’aimant pas tellement l’idée de piocher dans son héritage et ayant conscience qu’il devrait un jour vivre par ses propres moyens. Ne changeant pas ses bonnes habitudes, il avait postulé dans des bars et avait finalement été pris dans l’un d’entre eux. Sa vie coréenne se partageait donc entre ses études à l’université – qui étaient allégées par rapport à Ottawa, étant donné qu’il avait déjà validé bon nombre de modules pour être tranquille à Séoul – et son travail certains soirs de la semaine et surtout le week-end au bar.