J’arpente la rue commerçante à la recherche d’une activité quelconque. Au départ, je venais acheter du matériel pour ma céramique mais finalement, ça ne m’inspire plus du tout. J’ai envie d’offrir des cadeaux, mais je n’ai pas grand-monde près de moi ces derniers temps. Ou plutôt devrai-je dire que les seules personnes à qui j’ai envie d’offrir quelque chose ne sont pas là pour une durée plus ou moins longues. J’ai perdu le compte du temps, alors tout compte fait, je pourrais tout simplement offrir un petit quelque chose à Grace, histoire de me faire pardonner la distance que j’ai placé entre nous avec mon comportement. Mais que pourrais-je bien lui offrir ? Plus le temps passe, plus je me rends compte que je ne sais pas grand-chose sur elle. Je suis persuadée que n’importe quoi lui ferait plaisir, mais elle mérite mieux que n’importe quoi. Peut-être qu’on pourrait aller au restaurant ensembles, toutes les deux. Papa et Maman sont tellement heureux de croire que je tiens le coup et que je suis enfin devenue féminine qu’ils me couvrent de cadeaux et me donnent tout l’argent que je pourrais leur demander. Je n’ai même plus besoin de penser à travailler. Et de toute manière, je ne pourrais plus assurer un emploi ne serait-ce qu’un jour par semaine. Quoique non, le restaurant n’est pas une bonne idée. Je n’aime pas m’afficher.

Je m’arrête devant la vitrine d’une boutique remplie d’objets totalement adorables. J’avoue que les mugs imprimés chats sont très mignons. Peut-être que je pourrais les prendre, ça nous ferait un item de couple. Ce n’est pas ce que les gens sont censés avoir ? Enfin de toute manière, entre nous, c’est platonique, et je suis gênée lorsque Grace semble vouloir aller plus loin. Je ne suis plus si sûre que ce soit une bonne idée non plus. Aish, depuis quand est-ce que je me prends autant la tête pour si peu ? En plus, je commence à avoir mal aux pieds dans ces fausses baskets à talons. Certes, j’attire les regards, mais marcher avec ces trucs est quand même une torture. Heureusement qu’il ne fait pas chaud.

Je reprends mon errance, étrangement à l’aise dans mon short court et moulant noir, mon collant couleur chair et mon débardeur kaki. C’est alors qu’une jeune femme m’adresse un regard et un sourire étrange. Il a l’air plein de tendresse. Je la fixe sans comprendre. Venant d’une parfaite étrangère, il y a de quoi être décontenancée. A moins qu’on ne se connaisse mais qu’on se soit perdues de vue depuis longtemps ? Impossible. J’ai trop changé pour que ce soit le cas. Mais je la vois se diriger vers moi rapidement après avoir dit quelque chose à un couple. Elle me prend dans ses bras et, prise au dépourvu, je lui rends maladroitement son étreinte. Puis elle murmure à mon oreille un surnom, Eunnie, avec une directive, faire comme si on se connaissait. Ok, là, je suis définitivement perdue. Elle me relâche et prend ma main, entrelaçant nos doigts comme Grace le ferait. Je rougis instantanément et essaie doucement de me dégager, en vain. Elle se retourne vers le couple qui s’est avancé vers nous et je prends la couleur d’une tomate trop mûre.

« Tu as été bien longue, Eunnie. Qu’est-ce qu’il s’est passé ? »

J’essaie de prendre un air aussi naturel que possible bien que je sois incapable de mentir réellement. Je ne sais pas du tout ce qu’il se passe, alors ça ne devrait pas être trop difficile à faire. Quoiqu’il en soit, cette Eunnie a l’air d’avoir besoin d’aide. Est-ce que ces gens lui veulent du mal ? Ils ont l’air tellement inoffensif que je n’y crois, d’autant plus qu’elle non plus ne semble pas méchante. Je la fixe avant d’oser regarder du côté du couple qui paraît nous juger avec sévérité. Et bing, voilà de nouveau ce regard, celui qui nous est accordé à Grace et moi lorsque nous avons le malheur de trop nous montrer en public. Je me sens triste.

« Il y a un problème ? »

Je demande en fixant mes aînés de mes grands yeux bleus, avec toute mon innocence.

« Désolée, j'ai croisé une fille que je voulais éviter et du coup j'ai pris une autre rue et je me suis perdue... Tu connais mon sens de l'orientation légendaire... »

Cette fille joue drôlement bien le jeu. Sauf que moi, je ne sais pas faire comme elle. Je ne suis pas à l’aise dans le mensonge, je ne l’ai jamais été, et je ne le serai jamais. Pourtant j’essaie. Je fais de mon mieux. Peut-être que je protège une criminelle, mais je persiste à croire que ce n’est qu’une femme qui a des ennuis. Heureusement, le couple s’éloigne sans tarder, balbutiant quelques excuses. A l’instar de la jeune femme, je soupire de soulagement. Elle finit par me relâcher et je cesse de me sentir comme un imposteur.

« Désolée de t'avoir embarqué dans tout ça... Mais tu m'as bien sauvé la mise ! Tes grands yeux innocents ont du être la chose qui m'a poussé vers toi. »

Je rougis instantanément, flattée par cette confiance qu’elle m’a accordée sans même me connaître. Mes iris bleus marquent les esprits, ils font qu’on ne m’oublie pas, ils font qu’on me juge digne de confiance.

« C’est gentil, merci. Et… Ce n’est pas grave. Je suis contente d’avoir pu t’aider. Enfin… vous aider. Enfin… Ah, je suis perdue ! »

Je fronce les sourcils et ébouriffe légèrement mes cheveux courts comme si cela avait pu m’aider à organiser mes idées.

« Enfin tu as eu de la chance… Je suis totalement nulle en mensonge. »

Je lui souris timidement.

« Je m’appelle Ae Ri. »

Je la fixe, m’armant d’un grand sourire radieux à l’idée d’avoir fait cette nouvelle rencontre très distrayante.

« Dis, tu ne veux pas m’expliquer ce qu’il s’est passé ? Enfin… Si ce n’est pas trop indiscret… Même si j’avoue que j’aimerais beaucoup savoir dans quoi je me suis retrouvée, ou dans quoi j’aurais pu me retrouver. Enfin… »

Je grimace et une moue boudeuse se glisse sur mon visage.

« Aish ! C’est vraiment trop compliqué pour moi tout ça ! »

Elle rit, mais elle n’a pas l’air de se moquer de moi. Elle semble simplement amusée. Enfin vue ma réaction, elle pourrait bien se moquer sans que je ne le prenne mal.

« Tu peux me tutoyer si tu veux, je ne vais pas me formaliser là dessus après le coup de main que tu viens de me donner. »

Me voilà rassurée. Je lui souris en guise de remerciement. Au moins, je ne me sens pas embarrassée. Du moins pas pour une question de politesse.
Lorsque je me présente, elle me tend la main, façon rencontre d’affaires. Je fixe sa main un instant avant de comprendre qu’elle attend de moi que je la serre et de m’exécuter. Bien, j’ai l’impression que je n’ai pas fini de passer par une cruche avec cette « Eunnie ».

« Eun Sun. Ravie de te connaître Ae Ri! »
« Enchantée ! »

Elle ne semble cependant pas pressée de m’en dire plus sur les conditions du « coup de main » que je lui ai donné. Si je n’étais pas aussi curieuse, j’aurais laissé tomber, et je serais partie, tout simplement. Se Jong m’a répété de me méfier des inconnus. Mais je suis bien trop curieuse pour abandonner. J’ai envie de savoir. Alors je lui lance mon regard le plus adorable qui soit, dans l’espoir qu’elle cède et me donne des explications. Même un mensonge fera l’affaire. De toute manière, je n’ai aucun moyen de vérifier ses dires, d’autant plus que je ne sais pas reconnaître les gens qui mentent.

« Je te propose d'aller prendre un café ou toute autre boisson qui te conviendrais pour en discuter. Ça te convient ? On sera mieux installé dans tout les cas! »
« D’accord. Il y a un café à deux pas d’ici. Ils font d’excellents cappuccinos ! »

Nous en prenons la direction. Lorsque nous y entrons, je me laisse assaillir par l’ambiance chaleureuse et feutrée de l’endroit. Il n’y a que quelques clients installés, certains solitaires occupés à lire ou à pianoter sur leur tablette, d’autres, comme Eun Sun et moi, bavardant doucement. L’odeur de café rend mon humeur légère. Elle est réconfortante. Je souris au serveur qui nous place avant de nous mener la carte.

« Un cappuccino gourmand, s’il-vous-plaît, avec plein de crème ! »

Le serveur a l’air amusé par ma demande. Je laisse mon étrange rencontre du jour commander puis le serveur s’éloigner pour continuer.

« Alors, Eun Sun. De quel mauvais pas la petite Ae Ri qui passait par là par hasard t’a-t-elle tirée ? Tu n’es pas obligée de rentrer dans les détails, ma curiosité se satisfera bien d’un truc général ! »

Je croise mes jambes sous la table et appuie mon menton sur mes mains, coudes appuyés sur la table.