Depuis tout petit, Lee Chin Hae a toujours été considéré comme quelqu’un de « beau », et ce naturellement. Des traits fins, un nez droit, des lèvres ni fines ni vraiment pulpeuses et des yeux bridés mais plutôt grands. Voilà le visage de Chin Hae. Du moins dans les grandes lignes. Mais un visage presque parfait serait bien fade, sans quelques détails sortant de l’ordinaire. Car son charme réside peut-être dans ses grandes oreilles, qui encadrent une figure certes délicate mais assez masculine. Sans parler de ses cheveux épais. Tantôt longs et noirs, avec une frange pour souligner son regard profond et doux. Mais plus souvent courts et bruns ou châtains tirant sur le roux (une vieille habitude datant de son voyage en Europe), parfois relevés pour dévoiler un front plutôt large. Quelque soit son âge, il a toujours été plus grand que la moyenne, se stabilisant désormais à un peu plus d’un mètre quatre-vingt. Ce qui lui a toujours été utile pour pratiquer de nombreux sports, comme le basket, lui taillant un corps musclé. En sommes, physiquement, Chin Hae n’a pas vraiment à se plaindre. Mais même s’il en est conscient, il ne s’en soucis guère. Mais méfiez-vous, son arme ultime reste son sourire. En effet, lorsque le jeune homme vous montre sa belle dentition, il n’est pas rare que deux fossettes viennent creuser ses joues de chaque côté, vous perturbant quelques instants.

Chin Hae a la chance de pouvoir porter de tout. Avec son corps bien proportionné et ses airs angéliques, il peut se permettre les styles les plus élégants comme les vêtements les plus mignons. Mais la mode n’est pas l’une de ses passions. Il a un faible pour les gilets, doux. Et préfère porter des vêtements décontractés, confortables et sages. Clairs ou dans les tons pastels le plus souvent, avec une exception pour le bleu-marine, couleur à laquelle il ne résiste pas. Chin Hae ne porte ni boucles d’oreilles, ni colliers. Et aucun tatouage ne décore sa peau. Seuls deux anneaux en bois foncés, portés à l’annulaire droit l’un en dessous de l’autre attireront peut-être votre œil scrutateur. Vestiges d’une amitié forte, que rien ne pouvait briser.

Lee Chin Hae n’a pas toujours marché fièrement. Fut un temps où il regardait ses pieds plus que ce qui se trouvait face lui. Mais le jeune homme qu’il est devenu a confiance en ses capacités, ses opinions et son physique. Correct en tous points, il se tient toujours droit, soucieux d’être bien vu, de paraître respectable et bien élevé. Il sourit souvent, mais c’est parfois pour cacher sa gêne, ou user du charme de ses fossettes. Ceci dit, il aime rarement être observé, puisqu’il est le plus souvent celui qui observe dans son coin, loin de se pavaner et de vouloir être au centre de l’attention. Et lorsque quelque chose le contrarie ou le fait angoisser, il peut lui arriver de se mordre l’intérieur de la joue, créant ainsi un petit creux dévoilant encore une autre fossette.

Si Lee Chin Hae a cruellement manqué de confiance en lui lorsqu’il était petit, il a toujours voulu voir le côté le plus ensoleillé et coloré de la vie, sans pour autant être extraverti. Son enfance difficile aurait pu faire de lui quelqu’un de mauvais ou d’instable. Mais au contraire, le jeune homme a toujours espéré connaître le bonheur, et l’attend de pied ferme. A première vue, Chin Hae paraît surtout extrêmement rêveur et réservé. La tête en l’air, scrutant les nuages, trébuchant sur tout ce qu’il rencontre ou renversant son verre deux fois par jours en s’excusant avec un sourire contrit… Le brun semble être l’homme le plus inoffensif du monde. Il faut dire qu’il n’a pas l’habitude de fréquenter des gens, et de se sentir aimé par qui que ce soit. Il préfère largement s’éloigner de la foule, se recueillir dans le temple bouddhiste le plus proche, se promener dans la forêt et photographier ce qu’il y trouve, faire des randonnées dans la montagne… Comme certains rêveurs, Chin Hae entretient son imagination par la poésie, la lecture ou bien l’histoire. Il n’est pas rare qu’il s’isole pour aller lire en paix, loin des nuisances du monde. Sortir en boîte ? Faire les magasins ? Très peu pour lui. Il fuit la frivolité et le divertissement. Il trouvera une excuse. Son chez lui est ce qu’il y a de mieux. Il y retrouve son chat, Cesar, sa bibliothèque, et les quelques photos de sa mère qu’il a pu dénicher. Et lorsque son trop plein d’énergie se fait sentir, son ballon de basket est son meilleur allié.

Cependant, Lee Chin Hae est un jeune homme bien plus complexe qu’il ne le laisse penser. Il est né rêveur et doux, mais les aléas de la vie l’ont empêché de grandir naïf. Privé d’amour toute son enfance, il a su se débrouiller seul, apprendre à s’aimer. Aimer les autres en revanche… Il ne sait rien de cela. Et a plutôt tendance à se méfier des gens, et de leur façon de vivre. Il ne voit pas l’intérêt d’exprimer son affection par une étreinte ou par un baiser. Et en savoir plus ne l’intéresse pas. Les contacts humains lui sont étrangers, alors même qu’il refuse d’être Twao. Il aurait aimé essayer, de se comporter comme une personne normale. De serrer une autre personne dans ses bras. Mais à quoi bon. L’occasion ne se représentera pas. Etre proche de Chin Hae est alors presque impossible. Car il ne donne sa confiance à personne. Il ne croit qu’en lui, qu’en son passé et qu’à ses rêves. Le type même d’un jeune homme blessé au plus profond de lui-même, qui cache sa douleur pas de beaux sourires réconfortant.

Très studieux et persévérant, Chin Hae possède une excellente mémoire auditive. Ce qui lui est indispensable tant il est désorganisé et tête en l’air. Rien ne le déconcentre lorsqu’il étudie. Il espère travailler un jour en ambassade, ou devenir traducteur. Car même si le changement l’effraie, il veut voyager et profiter de sa liberté avant qu’on ne vienne lui voler.

Et surtout, il souhaite mener sa vie comme il l’entend. Car Chin Hae est avant tout quelqu’un d’obstiné et qu’il est suffisamment fort pour parvenir à ses fins.

Lee Chin Hae est né au levé du soleil, le 16 Mars 1992, dans un petit village à proximité de Busan. Il faisait très froid ce matin là, le ciel était pâle, presque blanc. La rosée avait alors recouvert toute la pelouse du jardin de ses parents, et l’écho des vagues s’écrasant sur la plage résonnait jusqu’à leur petite maison de pêcheurs. C’est son père Lee Chin So, un Twao, qui l’a mis au monde dans la chambre conjugale. Sa mère, humaine, quitta ce monde-ci au moment même où il laissait entendre sa voix pour la première fois. Elle avait regardé son unique enfant quelques secondes. Juste le temps de l’apercevoir dans les bras de son père, grelottant à cause du vent frais qui s’engouffrait par la fenêtre ouverte. Elle avait esquissé un sourire serein, puis avait délicatement posé sa tête sur son oreiller parsemé de fleurs roses imprimées, les yeux clos. Lee Hyun Hee était alors la femme la plus heureuse du monde. Et elle parti ainsi, le teint rose, l’air apaisé, laissant un homme désemparé et un bébé aux cheveux noirs éparpillés, qui braillait de toutes ses forces en serrant ses petits poings.

L’enfance de Lee Chin Hae n’a pas toujours été facile. Son père le tenant responsable de la mort de sa femme, le petit brun fut parfois mis à l’écart. Privé dès la naissance de l’amour d’une mère qui lui était indispensable, sa sensibilité fut mise à rude épreuve maintes et maintes fois. Et c’est très tôt que le jeune garçon apprit à éviter son propre père, fuyant ses mots durs et son regard emprunt d’une profonde tristesse. Un matin, peu de temps après son quatrième anniversaire, Chin Hae se réveilla malade et fiévreux. Lee Chin So, assis sur le lit de son fils, hésita quelques instants avant de poser ses lèvres gercées par le sel sur les petits croissants de chair roses de celui-ci. Chin Hae ouvrit brusquement les yeux, tandis que son père fermait les siens en sentant une énergie puissante le parcourir. Le petit brun était un Twao, un Donneur. Cette nouvelle fut un soulagement pour Lee Chin So, le pêcheur du village, qui devait rendre visite trois fois par jour à sa sœur pour recevoir ses charges. Un soulagement d’ordre pratique seulement. En effet, l’homme choisit son fils comme partenaire, laissant le soin à sa sœur de s’occuper de sa propre fille, du même âge que Chin Hae. En revanche, cette situation ne fut pas la bienvenue pour l’enfant, qui n’aimait pas son père, et ne supporta jamais ce contact. Très dynamique et grand pour son âge, Chin Hae produisait énormément d’énergie. Et deux fois par jour, il donnait un baiser à son père. Léger, furtif, fuyant. Une contrainte, une lourde charge pour l’enfant, qui ne recevait pas plus d’amour de la part de son père pour autant.

Malgré une situation familiale difficile, Chin Hae était un petit garçon serviable et un élève studieux. Qu’il pleuve, qu’il neige ou que les rayons du soleil chauffent sa nuque, le brun remontait toujours le village en courant, un sourire aux lèvres, sans se soucier de la lourdeur de son cartable. Il lui suffisait en général d’entendre la leçon une fois pour la retenir, ce qui ravissait ses professeurs. Pas spécialement timide, il profitait de la bonne humeur générale pour se défouler. Il jouait dans la cour avec ses camarades et voisins comme n’importe quel enfant : inventait des histoires, des mondes imaginaires, construisait des cabanes et était le capitaine de son équipage.

Exceptée sa première crise, la vie de Lee Chin Hae ne connu pas d’évènement marquant jusqu’à la fin du collège. L’adolescent montrait un intérêt grandissant pour l’histoire, les langues, et la nature. Il aidait parfois son père en fin de semaine, priait au temple lorsque son cœur était trop lourd, faisait ses devoirs avec application, et passait le reste du temps avec son meilleur ami. Jusque là, Chin Hae avait évité les Twaos le plus possible. Ils étaient rares, en dehors des membres de sa famille, à vivre aux alentours du village. Pour lui, être Twao ne représentait pas grand-chose. Mais chaque fois qu’il y pensait, il revoyait le visage de son père face au sien. Ces yeux qui le fixaient sombrement, ces lèvres rêches qui demandaient à frôler les siennes. S’il tournait légèrement la tête, il apercevait également des mains abîmées s’abattre sur ses épaules, comme pour lui signifier qu’il n’avait pas intérêt à se défiler, à fuir son devoir. Chin Hae n’était pas stupide. Il savait que ce rituel était autant indispensable à sa survie qu’à celle de son géniteur. Ces moments étaient devenus symboliques. Ceux qu’il détestait le plus, mais aussi ceux dont il avait le plus besoin pour se débarrasser de cette énergie si menaçante.

Chin Hae n’avait pas « choisi » son meilleur ami, comme beaucoup d’enfants. La maîtresse de CE1 qui avait mal prononcé le nom d’un élève, un regard, un fou rire, et une punition commune… une suite d’évènements qui les avaient rapproché pour ne plus les séparer durant plusieurs années. Shin Bo Wan était petit pour son âge, avec des yeux sombres mais rieurs. Mais surtout, il était humain. Un être totalement innocent, ne sachant rien du secret de son meilleur ami. Quelques années plus tard, si on avait demandé à Chin Hae ce que représentait Bo Wan pour lui, il aurait répondu « ma moitié », sans hésiter. Mais le destin ne laissa pas le temps aux garçons de prendre suffisamment de recul. Un soir d’automne, alors qu’ils n’avaient en tête que l’espoir d’être dans le même lycée l’année suivante, une voiture noire s’arrêta à leur hauteur. La vitre côté passager s’ouvrit doucement. Encore trop jeunes, trop purs peut-être, les deux têtes brunes se contentèrent d’attendre qu’on leur demande le chemin jusqu’à l’hôpital le plus proche, ou bien la direction du port. Mais c’est le canon d’un revolver qui leur fit face. Un cri étouffé, un garçon qui s’élance pour protéger l’autre. Bo Wan s’était affalé aux pieds de Chin Hae depuis deux secondes lorsque la voiture reparti en trombe pour disparaître dans la nuit.

Inutile de dire que l’adolescent fut traumatisé par cette scène. A quoi bon préciser qu’il ne s’en remit jamais. Tous les villageois félicitèrent son sang froid et sa force. Chacun d’eux racontait à qui voulait l’entendre l’histoire de Lee Chin Hae d’un air admiratif. Ce jeune homme qui avait porté son meilleur ami jusqu’à la maison du docteur, celui qui vivait par là-bas, derrière le village. Si l’histoire s’est mal terminée ? Bien sûr que oui, vous vous y attendiez. Shin Bo Wan était parti avant même que son ami ne parcoure cinq-cents mètres. Et ce dernier força tellement sur ses jambes qu’il s’évanouit en débarquant chez le médecin. Le seul qui ne salua pas le courage du garçon fut Lee Chin So, son propre père. La tristesse de Chin Hae n’était pas suffisante, il fallait que son père lui reproche sa stupidité, la facilité avec laquelle il s’était mis en danger. Effectivement, si Lee Chin Hae était venu à disparaître, son père aurait pu en pâtir… Quelques jours plus tard, Lee Chin So ouvrit la porte de la chambre de son fils pour recevoir l’une de ses charges quotidiennes. Mais celui-ci avait disparu. Avec sa cousine receveuse, Kim Na Min, il était parti pour l’Europe. Loin de son père et du souvenir de Bo Wan.

Ayant toujours eu un excellent niveau en Anglais, Chin Hae intégra un lycée écossais, où il rencontra deux autres Twaos. Une donneuse originaire d’Amérique du Nord, et un receveur d’origine asiatique également. Il se lia d’amitié avec eux et apprit l’histoire des Twaos, mais ne pu accepter d’en être un pour autant. Il apprit également que certains humains détestaient les Twaos, au point de vouloir qu’ils disparaissent. Et c’est ainsi que Chin Hae comprit que son meilleur ami avait probablement été l’injuste victime de cette traque des Twaos. Trois années passèrent sans que le jeune homme ne demande des nouvelles de son père. Il vivait en Ecosse sa propre vie, une vie de lycéen presque ordinaire, aux côtés des humains, et de ses deux amis Twaos. Mais il su plus tard de sa cousine que son père se fatiguait de plus en plus, se faisait vieux. N’ayant pas hérité de la rancune de son géniteur, il rejeta l’opportunité d’étudier dans une université anglaise et reparti pour la Corée du Sud.

Aujourd’hui, Lee Chin Hae a vingt-et-un an et vit à Séoul depuis deux ans, dans un petit appartement acheté avec les économies de son père. Il étudie l’anglais et la civilisation anglo-saxonne à l’université, tout en s’adonnant à sa passion : la photographie. Lee Chin So, quant à lui, bénéficie de ses charges trois fois par jours grâce à son fils, et apprend à vivre dans cette ville immense. La situation ne s’est pas vraiment arrangée entre eux. Disons que le caractère doux et la maturité de Chin Hae rendent leur mode de vie supportable, mais sans plus.
Le jeune homme est célibataire. Mais peut-être aussi parce qu’il l’a toujours été jusque là. Le brun évite les Twaos comme les humains. Il a d’autres choses à penser et ne souhaite pas finir pêcheur comme son père. Il connaît seulement le chemin de la fac, et de son restaurant italien préféré. Lee Chin Hae ignore tout de l’amour. De l’amour maternel, de l’amour paternel. De l’amour d’une femme, ou de celui d’un homme. Parfois, il repense à Bo Wan. Souvent même. Mais les larmes apparaissent sitôt qu’il se remémore les plus beaux souvenirs comme les mauvais. Des larmes de tristesse, salées et chaudes. Qui se mêlent parfois à d’autres perles bien plus amères. Celles du désespoir. Celles de la rage, et de l’injustice. D’une vengeance pas encore concrète, mais qui le sera peut-être un jour.

Car après tout, il n’est pas à Séoul pour rien