Il n’y a rien à dire de plus. Rien à ajouter. Je suis ce que vous voyez. Vous voyez ce que je suis.
Ou peut-être pas. Qui sait ?
Lee Yum est un jeune homme ténébreux, qui, du premier regard, ne parait pas très engageant et encore moins abordable. Son être entier semble dégager une désagréable sensation de froideur, comme si une barrière invisible se dressait entre lui et le reste du monde, le rendant inaccessible.
Son visage est étrangement neutre, n’exprimant rien de plus qu’une indifférence sans limite, un air parfois mélancolique ou blasé. Mais est-ce donc vraiment tout ce qu’il peut ressentir ?... Ses traits, eux, sont fins est doux, lui donnant l’aspect d’une poupée de porcelaine, d’un pantin inanimé, fragile et doté d’un charme ombrageux.
Le regard de Lee Yum, celui-ci ne s’attardant jamais plus de quelques secondes sur la moindre chose ou personne, est d’un noir d’encre, insondable. Le regarder droit dans les yeux n’est qu’une perte de temps, il n’y aura rien de plus qu’un vide béant, oppressant. L’étincelle si particulière qui brille dans les prunelles des autres s’est éteinte depuis longtemps dans les siennes. Il n’y a plus de place pour l’espoir, pour le bonheur ou encore même l’amour. Juste pour l’attente. Une attente douloureuse, incertaine.
De la même couleur que ses yeux, sa chevelure est d’une teinte obsidienne, mi longue et parfaitement entretenue. Elle fait sans doute partie des rares choses auxquelles il porte un tant soit peu d’attention.
Le jeune homme est d’une assez grande taille, celle-ci tournant autour du mètre quatre-vingt-deux, et dispose d’un corps particulièrement gracile, aux membres fins et élancés.
Son épaule droite et entièrement tatouée d’un dessin imposant, semblant ressembler de près à un dragon.
Son physique, que l’on ne peut qualifier d’ingrat, a influencé son choix quant à se lancer dans une carrière de mannequin. Lee Yum n’apprécie pas franchement les cours et se passerait volontiers d’études supplémentaires si son corps, seul, lui permettrait de gagner convenablement sa vie.
Il serait d’ailleurs certainement qualifié comme étant particulièrement beau si l’idée de sourire un peu plus lui venait à l’esprit…
Lee Yum apprécie le fait de bien s’habiller et il ne lui est pas désagréable de voir son dressing rempli à son maximum. Son intérêt pour la mode et son goût pour les vêtements font également tous deux partis des choses qu’il apprécie.
Il n’a aucune préférence pour un style vestimentaire bien qu’il a une certaine tendance à se tourner vers les habits sombres.
Il ne déteste pas non plus les accessoires et en porte régulièrement, tels que les bracelets, colliers, boucles d’oreilles ainsi que des lunettes -de soleil ou non.
Il n’est pas rare de voir le jeune homme une cigarette à la main ou à la bouche, celui-ci ne détestant pas la nicotine.
Ne penser à rien, ne pas réfléchir à ce que l’on pourrait avoir. Ni à ce que l’on pourrait ne plus avoir.
Pourtant…il n’y a rien à gagner. Et tellement à perdre.
Je ne sais pas ce que je dois en penser. Non, je n’en sais strictement rien. Je n’ai même pas envie d’y réfléchir. Comme si souvent. Je n’ai pas envie de faire cela.
Je n’ai plus envie de me préoccuper pour des choses qui me dépassent. Pour des choses dont le sens m’échappe. Pour un but qui n’a pas lieu d’être.
Pour un but qui n’a jamais été mien.
Et qui ne le serai jamais.
Je ne pense pas pouvoir être qualifié comme quelqu’un de sympathique ou bien encore agréable. Non, cela ne me correspond pas le moins du monde. Je ne veux pas qu’on attende de moi quelque chose. Je ne veux pas que l’on me prenne pour une personne que je ne suis pas et que je ne veux pas être. Que l’on m’apprécie pour l’image qu’on a de moi. Une image erronée.
Je me fiche royalement des « autres ». De tous ces individus qui vivent dans le même monde que moi, respirent le même air que moi et perçoivent les mêmes choses que moi. Je m’en contrefiche même. Pour moi, le contact humain ne se résume qu’à une idée aux consonances étranges, insaisissables. Une idée abstraite. Dénuée de toutes significations.
Je n’attends rien de la société. Ni de tous ceux qui la constituent.
Créer un lien et tu verras qu’il se brisera plus vite que tu ne l’avais imaginé. Tend une main secourable à celui qui en a besoin et tu verras qu’il te prendra aussitôt le bras. Fais confiance à celui qui te sourit et tu verras qu’il causera ta perte.
Plutôt que d’être blessé, je préfère blesser. C’est stupide. Enfantin. Egoïste. Et pourtant, tellement justifiable.
Je n’ai jamais été doué pour dire ce que je ressens réellement, ainsi que ce que je pense. Comme pour bien d’autres choses d’ailleurs. Je ne suis pas social. Peut-être même que je suis misanthrope. Non pas que je sois timide, juste désintéressé. Totalement désintéressé. La vie des autres ne m’intéresse pas, de la même façon qu’elle ne me concerne pas. Chacun devrait savoir rester à sa place et prendre en compte cette unique idée : dans ce monde, la seule personne sur qui l’on peut compter n’est autre que nous même.
Il y a beaucoup de choses que je déteste. Bien trop pour qu’elles soient énumérées dans leur intégralité. Pourtant, je peux en citer les principales ; la pitié, la naïveté, les utopies, la faiblesse…ainsi que mes semblables. Les Twaos.
Je n’ai jamais pensé que nous étions des monstres. Jamais. Tout comme je n’ai jamais pardonné à ceux qui nous qualifiaient comme tels. Je peux concevoir le fait que les différences révulsent. Qu’elles terrifient. Je ne peux le concevoir que trop bien. Mais peu importe sa constitution, ses dissemblances, l’être humain est et restera un être humain à part entière. Il sera toujours capable de pleurer. Toujours capable de rire. De souffrir et de sourire. Oui, il sera toujours capable de cela. De vivre aussi inutilement qu’il l’a toujours fait.
Nous ne faisons pas exception à cette règle. Nous sommes ce que nous sommes. Et nous le resterons. Mais malgré cela, nous avons tous cette « particularité ». Celle d’être faibles. De devoir, inévitablement, dépendre les uns des autres. De ne pas pouvoir exister par nos propres moyens.
Je déteste cela. Cette histoire d’âme sœur, cette solidarité insensée qui nous rassemble tous, tels des animaux grégaires, qui sont dans la parfaite incapacité de vivre seul…je déteste cela. Je le hais.
Si j’ai besoin de Donneurs, ce n’est qu’une absurde question de survie. Je ne veux pas de cette vie. Et pourtant je ne veux pas mourir. Je suis obligé d’avoir recours à eux. Tout comme ils sont dans l’obligation d’avoir recours à moi.
C’est un équilibre trop parfait. Une harmonie malsaine. Je ne veux pas dépendre de quiconque. Je ne veux pas être redevable…Je ne veux pas avoir à m’attacher à quelqu’un de la sorte. Et c’est pourtant un devoir. Un but qui n’est pas mien, qui m’a été imposé de force. Un but qui régulera toute mon existence. Jusqu’au dernier souffle que je pousserai.
Une malédiction ?
Lee Yum est une personne indéchiffrable, qui ne peut être cernée qu’avec difficulté et patience. Il semble ne porter d’attrait que pour de rares choses, si ce n’est aucune. Il vit. Simplement. Il se contente d’exister, d’attendre patiemment que le temps passe. Que le cercle s’achève, que la boucle soit bouclée.
Il a été blessé bien trop tôt pour se rendre compte que les autres n’étaient pas que des ennemis, qu’ils n’étaient pas simplement là pour nous causer des souffrances inutiles. Il n’accordera jamais sa confiance à la moindre personne. Il en semble d’ailleurs dénué. Pour lui il ne s’agit rien de plus qu’une chose morte, une chose brisée, sauvagement piétinée. Une chose qui ne reviendra plus.
Il ne parle que très peu, d’une voix posée et impassible, et que quand il juge cela nécessaire. Il n’agira jamais impulsivement, que cela soit sous l’effet de la colère ou du désespoir. Il se contente simplement de baisser les yeux, de faire ce qu’il doit faire, dans le calme et le silence. Lee Yum dispose également d’un sang-froid remarquable, celui-ci ne semblant connaître de limites. Il ne s’énerve pas, ne se réjouit pas. Ne pleure pas et ne sourit pas. Il est comme hermétique à toutes sortes de sentiments, qu’ils soient bénéfiques ou négatifs.
Du moins ce n’est qu’en surface…
Treize années s’étaient déjà écoulées. Treize longues et interminables années.
Treize années durant lesquelles il avait souffert. Treize années qu’il aurait voulu oublier.
Treize années qui l’avaient marqué à vif. Et à jamais.
Point de vue externe.
4 ans.
« Maman, je peux sortir maintenant ? »
Silence.
« Ouvre-moi, Maman… Je serai sage, promis ! »
Pas de réponse.
« Maman…je veux sortir… »
Quelques bruits de pleurs étouffés se firent entendre de derrière la porte fermée à double tour.
« Pourquoi est-ce que tu pleures, Maman ? »
Le garçonnet s’assit en tailleur sur la moquette, contemplant tristement le sol.
« C’est à cause de ce que le monsieur a dit ?..c’est parce que je ne suis pas normal ? »
***
Point de vue interne.
17 ans.
Je n’ai jamais pu oublier ce jour. Ô combien même je l’ai voulu, je n’ai jamais pu le rayer de ma mémoire. Jamais.
C’est durant ce fameux jour que j’ai appris la vérité. Que j’ai découvert ce que j’étais réellement. Un individu en marge de la société, une anomalie de la nature ; un Twao.
Jusqu’à mes quatre premières années, je disposais d’une santé fragile, d’un corps fébrile et maladif. Du moins, c’est ce que nous croyons tous. Car le jour où je me suis retrouvé allongé dans un lit d’hôpital, ma tension frôlant dangereusement le point de non-retour, rien ne fût en mesure de me soigner. Absolument rien.
Mis à part un médecin. Un « Donneur ».
J’étais totalement perdu. Déboussolé. Les mots que prononçait l’homme assis en face de moi sonnaient faux, comme sortis tout droit d’un rêve, brumeux et insaisissables. Ce n’était pas la réalité. Non, ça ne pouvait pas être vrai. Je n’étais pas un de ces êtres dont il parlait. Ils n’existaient pas, j’étais normal. Juste normal. J’allais me réveiller, mettre fin à ce rêve illogique.
Ma mère reviendrait me border et elle me sourirait. Tout prendra fin. Tout redeviendra normal.
Je me rendormirai et me réveillerai dans quelques heures.
Tout ira pour le mieux.
Je me trompais. Je me trompais lourdement…
***
Point de vue externe.
4 ans.
« Ca va aller, Maman ! Je ne le dirai à personne, on fera comme-ci rien n’avait changé ! »
Il entendit un léger mouvement venant de l’autre côté de la porte.
Un sourire lui vint sur le visage. Elle allait lui ouvrir et le serrerait dans ses bras, comme elle le faisait toujours.
« Tu ne comprends pas, Lee Yum ! »
La voix de sa mère, vibrante de détresse et de colère lui fit l’effet d’une douche froide.
Qu’y avait-il de plus à comprendre ?
« Comprendre quoi ?... »
Un silence pesant s’installa dans l’appartement.
« Que j’ai accouché d’un monstre. »
***
Point de vue interne.
17 ans.
Elle m’avait dit qu’elle ne voulait plus de moi. Que je n’étais plus son fils. Que j’étais une créature répugnante. Que si elle l’avait su, elle aurait laissé mon père m’emmener en Amérique avec lui. Pour ne plus jamais me revoir.
Beaucoup de mots sont susceptibles de blesser un enfant. Un million, même. Mais, de tous, je pense que ceux-ci étaient les pires. Ils m’avaient brisé, détruit, de la même façon qu’une tempête réduisait à néant tout ce qui se trouvait sur son passage. Ça ne cherchait pas plus loin. C’était ravageur, dévastant. Douloureux.
A partir de ce jour, on me plaça dans un foyer pour enfants. Je ne revis plus jamais ma mère. Et, pour tout dire, je ne voulais plus la revoir. J’avais été blessé dans mon amour propre, je me sentais comme trahit. Délaissé. C’était d’ailleurs le cas ; elle m’avait abandonné.
***
Point de vue externe.
10 ans.
Le garçon regardait par la fenêtre, le regard perdu derrière la vitre glacée. Depuis combien de temps était-il là déjà ? Longtemps. Bien trop longtemps, lui semblait-il.
Il passa une main blême dans sa chevelure de jais, soupirant faiblement. Il était épuisé. Complètement vidé. Et tout cela à cause cette foutue
particularité, celle qu’il détestait plus que toutes choses. Celle qui lui avait tout prit…
Il se leva maladroitement de la chaise sur laquelle il s’était assis, chancelant jusqu’à son lit.
Ça n’allait plus. Il avait besoin de plus d’énergie, bien plus que celle qu’il recevait quotidiennement. Beaucoup plus.
***
Point de vue interne.
17 ans.
J’ai changé de Donneurs un nombre de fois incalculable. Il me fallait une grande quantité d’énergie, bien plus que celle qu’un Donneur pouvait me fournir une fois par jour seulement. Cela variait, allant de deux à trois fois en vingt-quatre heures.
Tsss…c’était risible. Moi qui avait horreur de cela plus qu’autre chose en avait besoin plus que quiconque. Risible. Il n’y avait aucun autre mot.
Malgré cet inconvénient, j’avais pu jusqu’ici mener une vie –à peu près- banale. J’allais en cours comme tous lycéen de mon âge, je vivais normalement.
J’essayais.